Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

luke haines

  • CHRONIQUES DE POURPRE 657 : KR'TNT ! 657 : KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE / HONEYCOMBS / LUKE HAINES / BLACKSTAFF / TONY MARLOW / POP POPKRAFT / TWO RUNNER

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 657

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 09 / 2024 

     

    KID CONGO / ROXY MUSIC / JOHN SQUIRE

      HONEYCOMBS / LUKE HAINES

    BLACKSTAFF / TONY MARLOW 

    POP POPKRAFT / TWO RUNNER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 657

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

     - Congo à gogo

     (Part Four)

     

    z24862kidcongo.gif

             En examinant la dune qui se dresse devant lui, l’avenir du rock a clairement l’impression de l’avoir déjà vue.

             — Ne serais-je pas déjà passé par là ?, s’enquiert-il auprès de sa mémoire flagada. Et il ajoute, avec tout l’enthousiasme de carton-pâte dont il est encore capable :

             — Une de perdue, dix de retrouvées, ce qui bien sûr n’a pas plus de sens que d’errer dans le désert depuis belle lurette.

             La belle lurette est devenue son unité de mesure préférée. Tout est belle lurette : les nuits, les jours, les étoiles, les grains de sable. En redescendant la dune, il croise un mec déguisé en explorateur colonial, qui s’apprête à la monter et qui a l’air complètement paumé. Histoire de le distraire un peu, l’avenir du rock lui lance, d’une voix chantante :

             — Que fais-tu là Petula/ Si loin de l’Angleterre ?

             Raté. L’explorateur colonial ne rit pas. Il semble un peu constipé.

             — Je m’appelle Stanley. Suis dûment mandaté par Leopold II, roi des Belges. Vous n’êtes pas Livingstone, I presume...

             Ça faisait belle lurette que l’avenir du rock n’avait pas ri de si bon cœur :

             — Ya pas plus de Livingtone que de beurre en broche, Stan !

             — Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer la direction de la jungle ?

             — Quelle jungle ?

             — Bah la jungle jungle...

             — La junjungle ?

             — Oui la junjungle toute verte avec des arbres... Vous m’avez l’air complètement abruti, mon pauvre ami. La junjungle qu’on traverse en pirogue... Pi-ro-gue... Sur un fleuve... Fleu-ve...

             — Le fleufleuve ?

             — Fleufleuve Con-go..., vieux con !

             — Ahhhhhhh oui ! Je connais très bien Kid Congo.

     

    z24867kidmaintendues.jpg

             Sur scène, Kid Congo est certainement l’un des artistes les plus accomplis de son temps. Il rocke le boat et fait du cabaret, il t’émerveille et t’émancipe, il te donne à voir et à entendre, il mélange Tempest Storm et Jeffrey Lee Pierce, Lou Costello et Lux Interior, s’il porte la moustache de John Waters, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar, s’il fait rebattre le cœur du vieux «Sexbeat» au cabaret burlesque, c’est encore moins un hasard, et s’il multiplie les hommages à Jeffrey Lee Pierce, alors on est bien obligé d’admettre que tout cela finalement tombe sous le sens, enfin, le sens qui t’intéresse - Viva Jeffrey Lee Pierce ! - Avec le Kid sur scène, on se retrouve dans la meilleure conjonction cosmique possible : tout de blanc vêtu, il perpétue la mémoire d’une vieille énergie sauvage, et il la perpétue à merveille. Il en est le dernier survivant, c’est la raison pour laquelle il est d’une certaine façon devenu un peu crucial. Lux et Jeffrey Lee ont quitté la planète, alors le Kid porte le flambeau de ce vieux no-sell-out calorique qui fit la joie des imaginaires en des temps assez reculés. Et il jette dans ce cérémonial toute son énergie, claquant des moutures qu’il faut bien qualifier d’extraordinaires.

    z24866multipliépartrois.jpg

    Tout son corps bouge, le Kid danse avec les loops, tu ne vois pas ça tous les jours, une superstar en mouvement perpétuel, un Tinguely du Sexbeat, avec le punch de Muhammad Ali. Ses Pink Monkey Birds jouent en formation serrée, comme dirait le général Mitchoum, et ça te donne des versions dévastatrices. Comme le disait si bien Lux Interior, «ta mâchoire se décroche et pend comme une lanterne sur ta poitrine.» Le Kid claque ici et là des killer solo flash qui en disent assez long sur son passé d’apprenti sorcier, lorsque Jeffrey Lee Pierce lui enseignait les évangiles selon Saint-Rock, c’est-à-dire le blues et le free. Et comme ça menace de beaucoup trop chauffer («She’s Like Heroin To Me», «Sexbeat» et l’infernal «Thunderhead» tiré de Mother Juno, pour le Gun side + «Primitive», «Goo Goo Muck» et «You Got Good Taste» pour le Crampsy side), alors le Kid tempère le set avec des rumbas extraordinaires («Ese Vicio Delicioso» tiré du Vice album, et «La Arana» tiré de l’album précédent). Et pour faire planer un voile de mystère sur la salle, il t’emmène au cabaret et interprète «The Smoke Is The Ghost», avec des grands gestes théâtraux et le regard perdu dans la voûte.

    z24868kid+gretch.jpg

    Le petit mec sur la Gretsch s’appelle Gabriel Naim Amor, un expat français qui nous dira au bar qu’il a eu «de la chance de rencontrer Kid.» Pour finir le set en beauté, le Kid sort deux lapins de sa manche, les deux hits du Vice album, «Wicked World» et «A Beast A Priest», avant de demander : «You wanna dance?». Il évoque le mashed potatoes et d’autres vieux coucous et bham ! «Sexbeat» ! Le Kid réussit non seulement l’exploit de régénérer la légende du Gun Club, mais il régénère en plus tous les imaginaires rassemblés à ses pieds. L’awsome t’assomme.

    z24869kidaumicro.jpg

             On trouve d’éminentes traces de modernité sur son dernier album, That Delicious Vice. Au moins deux. La première s’appelle «Wicked World», un World monté en neige de fuzz. Posture effarante. La fuzz congolaise n’est pas la même que les autres fuzz : la sienne te lèche la conscience.

    z24870delisiousvice.jpg

    La deuxième trace de modernité s’appelle «A Beast A Priest», un Beast monté sur l’heavy beat de bass/drum de Mark Cisneros et Ron Miller. Alors le Kid se pointe, pour lui c’est du gâtö - Until I felt the pressure drop - Et il ajoute avec cet accent tellement angelino : «I’m too old/ To Win/ I’m afraid.» Il pèse de tout son poids sur le mystère. Il y a du shaman chez le Kid. Puis les autres cuts vont refuser d’obtempérer. Le reste de l’album ne marche pas. Il s’enfonce dans le western spaghetti avec «Silver For My Sister» et la samba avec «Ese Vicio Delicioso» - At the age of three I knew/ What I wanted to be - Toute la fin de l’album part à vau-l’eau. Le Kid abandonne son Congo Powers.

             Il est beaucoup plus à l’aise avec le Wolfmahattan Project. Sur le what ?

    z24871bluegenestew.jpg

             Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, the Wolfmanhattan Project est un super-groupe. Le trio se compose de Mick Collins, Kid Congo et Bob Bert, une sorte de conglomérat Cramps/Gories/Chrome Cranks. Leur premier album s’appelle Blue Gene Stew et Bob Bert a peint la pochette. On y entre comme on entre dans le lagon d’argent, bien conscient de la présence des dieux. C’est inespéré de down the drain dès «Now Now Now» que le Kid chante dans la pénombre, alors que Mick Collins envoie ses jets d’acide. Le Gorie prend ensuite le chant pour «Braid Of Smoke» et sale le plat au sonic brash. Non seulement il le sale, mais il le noie de disto. On croise ensuite quelques cuts étrangement inconsistants, et en B, «Smells Like You» nous rappelle à l’ordre, car plus garage, plus Pussy Galore par le côté défiant et le drumbeat indus de Bob. C’est monté sur le riff de «Gimme Some Lovin’» et chanté en désespoir de cause. Dernier spasme avec «Silver Sun» que Mick Collins chante au feeling insidieux. Il s’engage dans l’avant-garde du beat déployé, il s’étonne lui-même d’être tellement en avance sur son époque, you need the silver sun now, et fait entrer dans la danse un sax free. Alors on est vraiment content d’être venu. Avant d’envoyer l’album coucher au panier, on note que «Last Train To Babylon» pioche dans l’ancien farfouillis de Roxy, à moins que ça ne soit dans celui du Babaluma.

    z24872summer.jpg

             Summer Forever And Ever est leur deuxième album. Avec «Like Andrea True», tu te croirais chez les Cramps. T’as même le petit tiguiliguili à la Ivy League, ça gratte dans les vieux replis de la légende, c’est comme abandonné aux bons soins d’une modernité à la dérive. Et puis soudain Mick Collins attaque au three two one yeah ! Cover de Jerry Nolan : «Countdown Love». Ces trois vieux crabes sont encore capables de rocker une heavyness joyeuse et fébrile. On sent tout le poids des Gories dans cette furie. C’est le Kid qui chante «Summer Forever», il place sa voix à la surface du beat infectueux. C’est forcément génial, plein d’esprit, battu sec par Bob et soutenu aux chœurs par ce démon de Mick Collins. Il profite de l’occasion pour tailler une vrille malsaine. Ils terminent leur balda avec «Hypnotize Too», un petit instro visité par un sax free. Weird, humide et fascinant. La B est moins héroïque. Ils l’attaquent avec un «H Hour» gratté à la Gories. Ça tombe sous le sens, très saccadé, quasi JSBX, coincé dans un coin. Ils s’amusent encore avec «Silky Narcotic» et envoient des spoutnicks. Ils travaillent des idées, on les sent fébriles dans leur quête de modernité. Ils bouclent avec «Raised/Razed», un groove Congolais, le Kid tartine bien son all over the sky et son turn you on/ because I can raise you.

    z24873neardeathexperience.jpg

             Pour retrouver l’énergie d’un set de Kid Congo, l’idéal est d’écouter le Live In St Kilda de Kid Congo Powers & The Near Death Experience, un In The Red sorti l’an passé. C’est qui Kilda ? On a l’explication en ouvrant le gatefold : Kim Salmon avait invité le Kid pour la parution de son book à Melbourne. St Kilda est donc un patelin de la banlieue de Melbourne. Honoré par l’invitation de celui qu’il surnomme «my long time Scientist Surrealist Beast of a friend», le Kid monte un set avec le groupe d’Harry Howard, ex-Crime & The City Solution, Harry Howard & The Near Death Experience, «as the logical choice». Tu retrouves l’ambiance explosive du set des Pink Monkey Birds, avec comme point commun, une belle introduction : «You like to dance?» Et il ré-énumère les mashed potatoes et les autres vieux dance crazes qui datent de Mathusalem, «but you’ve not heard the one called Sexbeat!» Et re-bham, et t’es de nouveau frappé par l’infernale modernité du beat de Sexbeat. Dans ses liners écrite à la main, le Kid te dit : «Enjoy the racket». C’est bien d’un racket dont il s’agit dès «LSDC» - This is a place called/ L/ Sssss/ Diiii/ Ciiii - Et il embraye avec l’un de ces instros du diable dont il a le secret, «Black Santa», et de conclure la bouche en cœur : «It’s Christmas all of the tiiiiime.» Contrairement à ce qu’indique le track-listing d’In The Red, c’est «New Kind Of Kick» qui boucle le balda - You are searchers of some other sort of new/ Kind/ Of/ Kick - Et il tape une version demented en souvenir d’un groupe demented. C’est donc «Sophisticated Boom Boom» qui ouvre le bal de la B - Especially for Kim, by the Shangri-Las, you know the Shangri-Las ? Sophisti/ Cated/ Booooom/ Booooom». Il fait du big atmospherix avec «Diamonds Fur Coat Champagne» et termine l’album avec l’une des plus grosses dégelées royales de tous les temps : «Garbage Man» - Here comes/ The Garbage Man - Grosse attaque Crampsy - You ain’t no punk/ You punk - Qui dira la grandeur des Cramps, la portée de cette clameur binaire, l’heavy beat en crabe, qui dira l’impact surnaturel du do you understand et du stuff I use ?

    z24874swing.jpg

             Au merch, une autre pochette te fait de l’œil : Swing From The Sean DeLear, un maxi de Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Sean DeLear était un queer punk icon de la scène de Silver Lake. Ron Miller te bat «Sean DeLear» sec et net, ça frise le Sexbeat. Puis le Kid introduit à sa façon cet instro du diable qu’est «(Are You) Ready Freddy» et il embraye aussi sec sur «(I Can’t Afford) Your Shitty Dreamhouse». Il y va au take your hair out my air, ou out of my hair, c’est comme on veut, et on retrouve le bassamatic bien ordonné de Kiki Solis. En B, il passe avec «He Walked In» au heavy groove ténébreux et bien noyé d’underground angelino, là-bas, sous le soleil de Satan - The flesh of a man/ The face of a friend - Et il t’invite au jump inside, il voyage chez les morts et bizarrement, ça se termine en mode rumba des îles, en big latin flavour avec Mark Cisneros à la flûte bucolique.

    Signé : Cazengler, Kid Con tout court

    Kid Congo. Le 106. Rouen (76). 11 septembre 2024

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. That Delicious Vice. In The Red Recordings 2023

    Wolfmanhattan Project. Blue Gene Stew. In The Red Recordings 2019

    Wolfmanhattan Project. Summer Forever And Ever. In The Red Recordings 2022

    Kid Congo Powers & The Near Death Experience. Live In St Kilda. In The Red Recordings 2023

    Kid Congo & The Pink Monkey Birds. Swing From The Sean DeLear. In The Red Recordings 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Roxy ça vaut pas Jerry Lee

    z24865roxymusic.gif

             Se foutaient pas le doigt dans l’œil Eddick Ritchell, Sharon Glory et Jimmy Freud quand, dans «Ego-Dames», ils clamaient la main sur le cœur «Ziggy et Roxy ça vaut pas Jerry Lee !». Ils tournaient le glam en dérision. La fière équipe d’Au Bonheur Des Dames est arrivée dans le rond du projecteur un peu après Roxy, mais la parenté crevait l’œil, au moins au niveau visuel. Du côté d’Au Bonheur, on rigolait, mais pas du côté de Roxy. Au Bonheur Des Dames fut ce qui arrivait de mieux à la France de 1974, de la même façon que Ziggy et Roxy à l’Angleterre de 1972. On sentait alors une volonté clairement affichée de réinventer le rock de part et d’autre de la Manche. Le rock ne s’est jamais mieux porté qu’en ces années-là.

    z24875roxymusic.jpg

             On a tous flashé sur le premier Roxy paru en 1972 sur Island. Cet album parfait est resté un point de repère, pour une seule et unique raison : «Re-Make Re-Model», avec son intro de piano historique et le tagaga de Paul Thompson. Et aussitôt après, Manza foutait le feu, t’avais des chœurs de lads - I tried but coundn’t find a way - L’un des cuts parfaits de l’histoire du rock anglais. T’ouvrais le gatefold et t’avais ces six portraits supersoniques. Par contre, le reste de l’album te laissait sur ta faim de loup.

    z24876foryourpleasure.jpg

             Il fallut attendre For Your Pleasure, paru un an plus tard, pour calmer cette faim de modernité. T’avais encore cinq portraits fantastiques dans le gatefold. Pas de bassman. Un certain John Porter était crédité à la basse. Et Chris Thomas produisait. Trois cuts allaient te marquer la cervelle au fer rouge : «Do The Strand», «Editions Of You» et «The Bogus Man». Tu retrouvais la fantastique énergie de la décadence dans un «Do The Strand» épaulé par le sax d’Andy Mackay. Tu retrouvais des accords de piano dans l’intro d’«Editions Of You», mmmmmhh, et la frappe sèche de Paul Thompson. Alors John Porter entrait en lice et ça virait au demented are go. T’étais au cœur du phénomène Roxy. Ils bouclaient leur balda avec «In Every Dream Home A Heartache», un Big Atmosphrix d’I blew up your body/ But you blew my mind ! Et en B, t’avais bien sûr l’excellent «Bogus Man» et la belle frappe sèche de Paul Thompson, renforcée par l’adroit bassmatic de John Porter. Ils faisaient en fait du Babaluma, de l’hypno à Nono, et Manza grattait des poux funky dans le déroulé. Puis Ferry repartait dans son maniérisme à la mormoille avec «Grey Lagoons» que venait tempérer Andy avec un solo de porcelaine de sax. C’est dingue comme ces mecs savaient développer.

             Et puis, les choses vont se dégrader. Une fois Eno viré, Roxy va devenir un groupe commercial, à l’image d’un Bryan Ferry dévoré d’ambition. La modernité de Roxy va s’étioler d’album en album, d’abord avec Stranded et Country Life, puis sombrer enfin dans la daube commerciale que l’on sait. Rien à tirer des albums suivants.  

    z24878bookrevoliution.jpg

             Roxy revient dans l’actualité via l’autobio de Phil Manzanera, Revolucion To Roxy. Tu chopes l’info, tu te frottes les mains, tu baves même un peu : toute littérature concernant Roxy est ultra-bienvenue. Tu t’attends même à un big book, étant donné que tu considères Manza comme un élégant personnage cosmopolite. Avant ça, tu n’avais eu que le book de Michael Bracewell à te mettre sous la dent : Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music, un book bien documenté,  très axé sur le concept de Roxy, mais qui manque d’épaisseur humaine. On n’y sent pas bien les personnages. Manza va-t-il combler ce déficit ?

    z24903concert.jpg

             Il comble que dalle. Tu l’as dans le baba. C’est l’une des grandes déconvenues du siècle. Manza fait d’autres choix. Roxy, c’est juste deux chapitres, et tout le reste concerne la gloriole, les tournées mondiales, les raids en Amérique latine, la fréquentation de lascars comme David Gilmour, les maisons, les bagnoles, les awards, les gosses, les arbres généalogiques, et puis bien sûr les épisodes de reformation de Roxy avec les millions de dollars, c’est l’histoire d’un groupe qui fut passionnant le temps de deux albums et qui a fini par tourner en eau de boudin, c’est-à-dire en grosse machine à fric vide de sens, mais qui remplit les stades. Là est le paradoxe. On le connaît par cœur, ce paradoxe. On ne peut pas lutter. Comme si la dimension artistique ne comptait plus. Ne reste que la gloriole et l’Hall of Fame, toute cette drouille immonde qui gâche la légende d’un art qu’on croyait sacré et qui n’est au fond qu’un business de plus. Tu lis ce book et t’es atterré par le spectacle qu’il t’offre. C’est un peu comme si tu lisais les mémoires de Jagger ou celles de Gilmour, des books que tu n’approcherais jamais, même avec une pince à linge sur le nez. Bon, là, tu dois bien reconnaître que tu t’es fait baiser.

             On attendait de Manza qu’il nous parle d’Andy Mackay en long et en large, ou d’Eno, ou de Paul Thompson. Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Et pas un mot sur Johnny Gustavson, le mec des Big Three qui joue de la basse sur 4 albums de Roxy, ni sur Sal Maida. Rien ! Que dalle !

             Roxy avait passé une annonce dans le Melody Maker : «Wanted. The perfect guitarist for avant rock group: original, creative, adaptable, melodic, fast, slow, elegant, witty, scary, stable, tricky. Quality musiciens only.» Manza passe l’audition avec sa Gibson ES 335 et comme ils n’aiment pas  le look de la 335, ils lui disent de revenir avec une Strato. Mais c’est David O’List qui décroche le job. Manza est déçu. Le seul défaut d’O’List était d’arriver en retard aux répètes, et c’est comme ça que Manza finit par décrocher le job. Il est là, alors les autres lui demandent de jouer. Dans la première mouture, le bassman s’appelle Graham Simpson. Et comme Manza connaît bien les cuts, Bryan Ferry lui propose un CDI à 15£ la semaine. En 1972, il devient professionnel.

    z24901gate1.jpg

             Manza donne des détails importants : au début, Roxy n’a pas de blé, alors le groupe doit redoubler d’inventivité. Comme ils viennent de décrocher un contrat avec Island, on les confie à Anthony Price, un fashion designer qui doit peaufiner leur image. Manza est sapé comme l’as de pique et Price qui bien sûr est gay fait «no, no, noooo» et lui demande de porter un blouson de cuir et des lunettes d’extra-terrestre, sur lesquelles sont collés des clous en diamant. Manza a son look en 5 minutes. Le problème, c’est qu’il ne voit rien avec ces «bug eyes». Il ne voit que ses pieds. Pour gratter ses poux, c’est l’enfer. La photo des «bug eyes» est dans la page. Tu les vois aussi quand tu ouvres le gatefold du premier Roxy.

    z24902gate2.jpg

             C’est aussi là que commencent les problèmes : Bryan Ferry décide de tout. La pochette du premier Roxy, c’est lui. Manza rappelle aussi que Graham Simpson était dans le premier groupe de Bryan Ferry, The Gas Band, au temps de la fac de Newcastle. Puis Simpson va traverser une mauvaise passe et se faire virer. C’est là que commence le bal des bassistes. Manza en dénombre 15. Il indique aussi que Bryan Ferry et Andy Mackay sont revenus transformés d’un concert de Ziggy. C’est là qu’ils décident de se transformer en gravures de mode, comme l’ont fait les Spiders From Mars. Et le plus avancé, dans cet art, c’est bien sûr Eno. Il tombe toutes les filles et Manza sous-entend que Bryan Ferry le jalouse.

    Z24904CHISTHOMAS.jpg

    (Chris Thomas)

             C’est Chris Thomas qui va enregistrer Music For Your Pleasure. John Cale l’a recommandé à Roxy. Manza rappelle aussi que Thomas a bossé sur le White Album. Alors wham bam ! Mais Bryan et Brian ne s’entendent pas. Eno se considère comme un «Independant mobile unit» et un «non-musician». Il ne supporte pas l’autorité. En plus, il est le plus flamboyant du groupe - which I’m sure Bryan didn’t enjoy - Il va subir le même sort qu’un autre Brian, Brian Jones. En plus, Eno est très extraverti, alors que Bryan Ferry reste impénétrable. Ils sont à l’opposé l’un de l’autre. En plus, Bryan Ferry continue de faire ses coups en douce. Il a déjà quasiment réglé la question de la pochette du deuxième album sans en parler aux autres. Manza le redit : Bryan Ferry n’a consulté personne. Il a choisi Amada Lear pour le recto et c’est lui qu’on voit au verso déguisé en chauffeur. Les membres du groupe émettent une molle protestation et Bryan Ferry la prend en compte. Puis une petite shoote éclate entre Bryan et Brian, à propos d’une gonzesse. Brian Eno joue une dernière fois avec Roxy en 1973 et il quitte le groupe avant de se faire virer.

    Z24895COUNTRYLIFE.jpg

             Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on a sur Roxy. Manza donne aussi des détails sur la pochette de Country Life avec les deux belles gonzesses en petite tenue. Il rappelle aussi qu’entre 1972 et 1984, il n’a pas gagné un rond, malgré les tournées mondiales et les disques d’or : le management et probablement Bryan Ferry s’en s’ont mis plein les poches. Puis les choses vont se détériorer dans le groupe. 1976 nous dit Manza est le commencement de la fin. Il voit encore Bryan Ferry faire ses coups en douce et traiter les autres membres comme son backing band. À la fin de la tournée Avalon, en 1982, Andy Mackay et Manza donnent leur démission : «It’s been a great pressure working with you. Goodbye.»

             Il leur faudra attendre 18 ans pour se reparler. Ce que Manza veut dire à travers tout ça, c’est qu’on ne peut pas être pote avec un mec comme Bryan Ferry. C’est impossible.

    z24898egodames.jpg

             C’est le gros billet qui va les motiver pour la reformation, comme c’est le cas pour tous les groupes de vieux crabes. Tout ce qu’ils veulent, c’est se payer des belles baraques dans la campagne anglaise et des Rolls. Tu vois un peu le niveau ? On leur propose 7 millions de livres. Bryan Ferry, Manza et Andy Mackay acceptent le principe. Ils se retrouvent en studio à Londres et tentent de jouer «Virginia Plain». Ça marche. Paul Thompson est là aussi, avec Guy Pratt on bass. Il est question d’un nouvel album produit par Chris Thomas. Eno fait aussi partie du projet. Ça se passe bien jusqu’au moment où ils s’assoient pour papoter tous ensemble, et Eno fait remarquer que chaque membre rejoue le rôle qu’il jouait 35 ans auparavant. Alors Manza comprend que le projet est foutu. Chacun repart de son côté. Roxy, ça vaut pas Jerry Lee. 

    z24877mojo.jpg

             Le Mojo Interview est mal barré : Manza apparaît tel qu’il est aujourd’hui, en petit pépère souriant. Fini l’allure de wild rocker glamour. Il pose pour un autre portrait en fin d’interview avec les fameux «bug eyes» qu’il a conservés. Et si sa plus belle heure de gloire était d’avoir accompagné Robert Wyatt sur Ruth Is Stranger Than Richard ? Pour mener l’interview, Mat Snow ne se casse pas la nénette : il repart de l’autobio. Père anglais, possible agent double, et mère argentine. Rusé comme un renard, Snow amène vite Manza sur le terrain de Roxy. Alors le pépère souriant y va de bon cœur : «I wanted to be more like the Velvet Underground, textural. Les autres ont amené des choses différentes : Eno had systems music, Bryan a mixture of Motown and the Velvet Underground, Andy loved King Curtis and Paul loved Led Zeppelin.» Chacun amenait sa petite contribution, conclut gaiement Manza. Pour lui c’est un collectif. Eno avait inventé le mot «scenius». Snow revient sur l’éviction d’Eno. Manza n’est pas clair là-dessus, il indique qu’Andy en sait plus que lui, aussi recommande-t-il d’attendre qu’Andy écrive son autobio - Et quand j’ai dit à Bryan l’autre jour que j’écrivais un book, je lui ai dit qu’il devrait en faire autant - j’aimerais bien enfin savoir ce qui s’est passé - Andy et Manza se sont quand même posé la question de savoir s’il fallait suivre Eno ou rester dans Roxy. Ils ont décidé «de rester pragmatiques» et sont restés dans Roxy. Manza va aussi filer un coup de main à Eno sur Here Come The Warm Jets et à John Cale sur Fear et Slow Dazzle. Manza précise que Roxy avait demandé à Calimero de produire For Your Pleasaure, mais comme il était sous contrat avec Warners, il ne pouvait pas, et il recommanda Chris Thomas. 

    z24879bookremake.jpg

             Après toutes ces déconvenues, il est grand temps de ressortir le Re-make/Re-model: Becoming Roxy Music de Michael Bracewell. Finalement, c’est lui qui a raison : avant d’être une aventure humaine, Roxy est un concept - Above all... a state of mind, lâchait Bryan Ferry en 1976 - Bracewell souligne très vite la proximité des «wily strategies of Duchampian aesthetics», cette proximité qui nous conduisit à l’époque à délirer sur Roxy et pondre un Conte, cot cot !  Bracewell ose des parallèles extraordinaires entre Roxy, Smokey Robinson, Marcel Duchamp, le Velvet, John Cage et Gene Kelly, «all in their different ways, forcefully and glamourously modern.» Bracewell ajoute qu’avec le premier Roxy, Ferry «presented his carte de visite to the world. The record was arch, thrilling, elegant, unique, clever and richly romantic.» C’est bien ce qu’on reproche à Ferry, le côté trop clever, mais Bracewell a raison de souligner l’élégance et la singularité. Bracewell établit aussi en lien entre Joe Meek et Roxy - the Meekian other-worldniness - symbolisé par «Ladytron». Parmi les influences de Roxy, Bracewell cite le «Bad Penny Blues» d’Humphrey Lyttelton, produit par Joe Meek, dont l’intro de piano sera reprise par les Beatles dans «Lady Madonna». Ferry cite aussi le Charlie Parker Quintet avec Miles Davis, et bien sûr LeadBelly - a black dandy, a precursor to Bob Dylan - Et là, effectivement, Bracewell navigue à un autre niveau que Manza. Comme quoi, il y a book et book.

    Z24896hamilton.jpg

             Bracewell lance encore des ponts entre le Velvet et Roxy via l’art moderne, puis établit le lien fondamental entre Andy Mackay et Dada, un Andy qui flashe aussi sur les Bonzos - There is definitevely the English art school influence of Dada rediscovered - et puis le lien Richard Hamilton/Marcel Duchamp qui est au cœur de Roxy, car Bryan Ferry fut l’élève d’Hamilton, le théoricien du Pop Art, héritier de Duchamp - No living artist commands a higher regard among the younger generation than Marcel Duchamp - Hamilton enseignait à Newcastle, où vivait encore le jeune Ferry. Un Hamilton qui va d’ailleurs concevoir la pochette du White Album. Le concept, rien que le concept. C’est ce qu’il faut comprendre. Roxy n’est pas un groupe ordinaire. 

    z24896peinture.jpeg

    ( Peinture de Mark Lancaster)

             Et ça qui vaut tout l’or du Rhin : Mark Lancaster évoque sa rencontre avec Marcel Duchamp - J’ai rencontré Marcel Duchamp chez Richard Hamilton à Londres, quand il est venu pour son exposition à la Tate Gallery en 1966. Il m’a demandé : ‘Êtes vous artiste ?», and when I said yes, or «Oui», he said, «Moi aussi.» Quelques jours plus tard, je l’ai rencontré avec sa femme Teeny à Carnaby Street. Je venais d’acheter un costume jaune vif. Ils l’ont admiré, mais je n’ai pas osé lui demander de le signer - C’est quand même plus intéressant que le Rock’n’roll Hall Of Fame, n’est-ce pas ?

    z24897duchamp.jpg

    ( Marcel Duchamp)

             Liens encore avec le «Moon River» d’Henri Mancini et Breakfast At Tiffany’s, avec les photos de Mark Lancaster de yellow cabs qu’il a photographiés depuis le «fire escape of Andy Warhol’s Factory», Bracewell n’en finit plus de rappeler que les racines de Roxy sont la trilogie suprême de l’art moderne : Andy Warhol, Marcel Duchamp et Richard Hamilton. D’où les portraits qui ornent le gatefold de Roxy Music. Bracewell s’en donne à cœur joie : «Serré dans une chemise noire, Mackay est incroyablement beau - a mascaraed rocker, greasy quiff piled high at the front and straggling in disdainful rat-tails down the nape of his neck. Le menton dans la main, chaque doigt portant une lourde bague, son image est celle du rebelle solitaire et introverti, a one-shot amplification of the rock and roll style of fifties Americana.» Les six portraits sont des œuvres d’art moderne. On avait tous flashé là-dessus en 1972. Et Bracewell de rappeler que Mackay était aussi un dandy fasciné non seulement par Dada, mais aussi par «Swinburne, Audrey Beardsley and the Preraphaelte Brotherhood». Personnage complet.

             Signé : Cazengler, Roxy Musette

    Roxy Music. Roxy Music. Island Records 1972

    Roxy Music. For Your Pleasure. Island Records 1973

    Mat Snow : Phil Manzanera - The Mojo Interview. Mojo # 366 - May 2024

    Phil Manzanera. Revolucion To Roxy. Expression 2023

    Michael Bracewell. Re-make Re-model. Faber & Faber 2007

     

     

    L’avenir du rock - Squire boy

             Le jusqu’au-boutisme n’a aucun secret pour l’avenir du rock. Sans vouloir manquer de respect aux ceusses qui se poseraient la question de savoir pourquoi, disons qu’une nature conceptuelle sans jusqu’au-boutisme n’est pas concevable. Un concept qui ne pas va au bout des choses n’est pas un concept. L’avenir du rock ne manque pas une seule occasion de mettre ce postulat en pratique. Pour d’obscures raisons éditoriales, il a besoin de se faire traiter de square, aussi décide-t-il de se déguiser en beauf atroce et d’aller provoquer Boule et Bill à la terrasse de la Civette. Il mouille son peigne et se coiffe les cheveux vers l’arrière, les plaque avec du saindoux, il se dessine une grosse moustache au feutre, puis il enfile un marcel, un short en nylon rouge, des chaussettes noires et chausse des charantaises. Il complète l’ensemble avec une vieille casquette Ricard du Tour de France et des lunettes de soleil miroir. Avant de sortir, il prend soin de placer quelques traces de Nutella sur le marcel et sur l’arrière du short pour que le côté douteux des choses ne laisse absolument aucune chance au doute. Pour compléter le panorama, il s’est acheté des boules puantes chez son fournisseur préféré. En arrivant à destination, il allume bien sûr un cigarillo bien puant. Boule et Bill l’ont vu arriver de loin. Ils ne cachent pas leur dégoût lorsque l’avenir du rock, sans même leur demander leur permission, s’assoit face à eux.

             — Tu nous fous la honte, avenir du rock. En plus tu schlingues comme un putois.

             L’avenir du rock leur souffle la fumée du cigarillo dans la gueule et lâche le plus sonore des pets. Prrrrrrrrrrr ! Tous les gens installés sur la terrasse se retournent.

             — Alors les deux réactionnaires, toujours sur la brèche ?

             — Avec un lascar comme toi, on ne sait jamais ce qui va nous tomber sur la gueule. Tu veux quoi, avenir du rock ?

             — Chais pas, Boule. Une petite insulte ?

             — Tu veux qu’on te traite de beauf ?

             — Ah oui mais en anglais !

             Bill qui connaît trois mots d’anglais saute sur l’occase :

             — Fooking square !

             Radieux, l’avenir du rock lâche un gros Prrrrrrrr dionysiaque et corrige le tir :

             — Non pas square, fooking Bill, Squire !

    z24861johnsquire.gif

             John Squire superstar ? Aucun doute là-dessus. Il refait l’actu en compagnie de Liam Gallag : les voilà tous les deux en devanture de Mojo. Tapis rouge : douze pages et des photos à gogo. Promo presse pour un nouvel album, comme au temps d’avant.

    Z24886MOJOLIAM.jpg

             Douze pages. T’es obligé de t’y reprendre à deux fois - It’s the best bits of Oasis with the best bits of The Stone Roses, they promise - La classe des deux ! Tu te rinces l’œil. Ces deux vétérans ont de vraies allures de rock stars anglaises, surtout Squire Boy avec sa petite coupe de douilles seventies et cette façon qu’il a de te regarder droit dans les yeux. Liam Gallag raconte qu’il a offert deux paires de mocassins à Squire Boy qui était sorti de sa réclusion pour venir jouer en rappel sur «Champagne Supernova», à Knebworth, en juin 2022 - Hand-made from Portugal, with tassels - c’est-à-dire avec les glands. Mod shoes. Liam Gallag raconte qu’il s’est toujours intéressé aux pompes de Squire Boy, d’où l’idée du cadeau des mocassins. En échange, Squire Boy lui offre deux chansons et lui demande : «Would you like to sing on them?». Of course. C’est là que naît l’idée de leur collaboration. Et Liam Gallag d’ajouter : «John’s songs are the reason I got into music in the first place.»

             Quand les frères Gallag voient Les Stones Roses pour la première fois en 1988, ils flashent  comme des bêtes - If they can do it, I can definitively do it - Noel Gallag dira même à Squire Boy qu’Oasis doit son entière existence aux Stones Roses. Il faut rappeler qu’entre 1988 et 1990, les Stone Roses régnaient sans partage sur l’Angleterre. Parmi les adorateurs/followers des Stone Roses, se trouvaient les Inspiral Carpets, dont Noel Gallag était le roadie. Ted Kessler chante les louanges des Stone Roses en termes de «musicianship, particularly the expansive playing of Squire and drummer Alan ‘Reni’ Wren», un Squire, ajoute Kessler, «who was harking back to the more flashily fluid styles of Jimi Hendrix and Jimmy Page.»

    z24882second.jpg

             Si on suit Squire Boy à la trace depuis plus de trente ans, la raison en est simple : elle porte le doux nom de Second Coming, le deuxième album des Stone Roses. On s’en souvient peut-être, les Stone Roses étaient un groupe de surdoués : section rythmique de rêve et un Squire Boy on fire. Le maillon faible était sans doute Ian Brown, le chanteur. Les Stone Roses groovaient comme des dieux, et ce dès «Breaking In Heaven». Là t’avais Squire Boy au décollage, il avait déjà tout bon, il déployait une sorte de sauvagerie, et le bassmatic de Mani entrait au bout du compte. Ian Brown n’avait pas de voix, mais ça marchait quand même. Ils restaient dans une espèce de power fondamental avec «Driving South». Dans l’instant T, ils étaient réellement les meilleurs. «Ten Storey Love Song» sonnait comme un balladif frappé de magie, et sur ce coup-là, Ian Brown s’en sortait plutôt bien. Au beurre, Reni avait une fâcheuse tendance à voler le show. On sentait aussi chez eux une volonté affichée de psychedelia («Your Star Will Shine», pas loin du «Tomorrow Never Knows» des Beatles, on sentait le power sous la toile de jean) et ça repartait de plus belle avec le groove de «Straight To The Man». Classique mais rondement mené. Ils revenaient au groove sauvage avec «Begging You». Fantastique énergie, wild as fucking fuck, c’était d’une rare violence comportementale, mille fois plus puissant que Primal Scream, tout était dense, compressé à l’extrême, même les poux de Squire Boy, et Reni battait le beurre du diable. Puis ils te swinguaient «Tightrope» fabuleusement - I’m on a tightrope baby - avec des clap-hands, avant de replonger dans le caramel du groove, c’est-à-dire «Good Times», pure niaque de ‘Chester, t’en revenais pas d’entendre l’élégance du gratté de poux de Squire Boy. Avec ces mecs-là, tu nageais en plein bonheur. Ils bouclaient avec «Love Spreads», un heavy groove drivé au yeah yeah yeah, admirablement bien balancé, my sister/ She’s alright and she’s my sister !

    z24881stoneroses.jpg

             Second Coming était nettement supérieur au premier album sans titre des Stone Roses. Tu y sauvais deux cuts, «I Wanna Be Adored» et «She Bangs The Drums». Le Wanna Be Adored sonnait comme un hymne, rien que par le thème. Même sans voix, ça passait comme une lettre à la poste. Squire Boy foutait bien la pression. Et tu retrouvais ce son unique dans «She Bangs The Drums», t’avais là-dedans toute l’ampleur de la pop anglaise, poppy puppy popette de poppah. Puis ce premier album allait décliner lentement, malgré les efforts de Squire Boy. Dans «Waterfall», il se livrait à un brillant numéro ondoyant et il revenait avec «Don’t Stop» à la Beatlemania psychédélique. On assistait là à une fantastique tentative d’osmose. Puis tout virait poppy popette («(Song For My) Sugar Spun Sister» et «Made Of Stone»), bien dans la veine de la tradition, ils entraient même dans le ventre mou de la pop anglaise («Shoot You Down»). Reni battait «I Am The Resurrection» comme un diable, mais ça n’en faisait pas un hit pour autant, même si ça se terminait en heavy groove dévastateur. Kessler est marrant car il dit exactement le contraire : il parle d’«one great album and a dissappointing follow up». Il n’a rien compris au film.

             Quand Oasis joue à Knebworth en 1996 devant 200 000 personnes, ils invitent Squire Boy à venir jouer sur «Champagne Supernova». Et 26 ans plus tard, Liam Gallag lui refait le coup en le présentant à la foule comme étant «the coolest man on the planet.»  C’est encore Noel Gallag qui rend hommage aux Stones Roses : «They kicked the door open for us, then we came in and nailed it to the wall.»

             Liam Gallag et Squire Boy ont commencé par enregistrer des démos et sont ensuite allés passer 15 jours chez un producteur de Los Angeles nommé Greg Kurstin, lequel Kustin a proposé de bassmatiquer et de rapatrier le batteur Joey Waronker.

    z24880liam+john.jpg

             L’album s’appelle Liam Gallagher John Squire. Ils ne se sont pas cassé la nénette pour trouver un titre. Et t’as le Liam qui s’impose aussitôt avec «Raise Your Hand». Non seulement t’as du son, mais t’as aussi la voix. Le Liam écrase son raise au fond du cendrier et Squire Boy claque un solo d’étranglement. Le Liam est toujours aussi Oasien. Il va toujours chercher le bon ton au sommet d’un rock ultra-saturé. «You’re Not The Only One» est le coup de génie de l’album. C’est fin, racé, ficelé, c’est même un hit pour la radio, on retrouve le goût des Anglais pour le big time, Squire Boy y passe un killer solo flashy comme pas deux. Liam Gallag + killer Squire, ça fait revivre la vieille Angleterre. C’est à la fois délicieusement classique et imbattable. Avant de cracher sur Oasis, écoute cette merveille. Si tu veux un album de rock anglais, c’est là.  Et t’as aussi un «One Day At A Time» écrasé de power et de singalong Oasien. Liam Gallag n’en finit plus de traîner la savate dans le chant. C’est d’une rare puissance. Puis ils tapent dans l’heavy blues avec «I’m A Wheel». Pas de problème ! Mais l’album finit par tomber dans la routine Oasienne. Squire Boy fait des efforts considérables pour la briser. Avec «Love You Forever», ils jouent le hard blues des seventies. Ils n’inventent pas la poudre, c’est juste un prétexte à jouer dans le bac à sable. On entend Squire Boy claquer ses mighty carillons dans «I’m So Bored». Il est l’un des guitaristes les plus infectueux d’Angleterre. Il gratte toujours tout ce qu’il peut.

             Selon Kessler, l’album de Liam Gallag et Squire Boy n’aura pas le même impact qu’ont eu sur la rock culture les deux premiers albums d’Oasis et le premier Stones Roses, «but it’s the best thing either have recorded since those early records.» Kessler parle d’un «sleek rock album», c’est-à-dire élégant, bourré d’«unshakably sticky melodies and choruses.» Kessler y retrouve toutes les influences dont Squire Boy et Liam Gallag sont tellement friands : Jimi Hendrix dans «Love You Forever», les Stones et les Beatles dans «Just Another Rainbow», les Faces dans «Make It Up As You Go Along» et Liam Gallag trouve que «Raise Your Hands» sounds like Roxy Music. Et puis bien sûr Oasis et les Stone Roses - It’s a perfect mariage of the two bands - Ailleurs dans l’article, Kessler ramène aussi le duo De Niro/Pacino dans Heat, un autre exemple de perfect mariage. Squire Boy dit bien son admiration pour Liam Gallag : «He brings a passion and intensity that I can’t muster. There’s something about his voice that meshes with the way that I play guitar.» Il parle de complémentarité. Kessler termine en beauté, puisqu’il les voit se lever pour aller faire leur photo-shoot, «just like in the old glory days - which surprisingly, may be still ahead of them.» Une chute qui tinte merveilleusement bien à l’oreille de l’avenir du rock.

    z24883doyourself.jpg

             Après la fin des Stone Roses, Squire Boy va monter The Seahorses et enregistrer Do It Yourself. C’est un album qui vaut le déplacement. Pour au moins quatre raisons, dont deux Beautiful Songs, «Love Me & Leave Me» et «Head». Dans Love Me, Squire Boy ne croit en rien, don’t believe in Jesus, don’t believe in Jah, il croit en lovers, c’est fameux et surtout très gratté, ça te donne une belle rengaine enluminée de poux scintillants. «Head» sonne aussi comme une grosse compo. Les Seahorses auraient pu devenir énormes. Squire Boy fait là du power balladif, avec un Chris Helme qui pose bien sa voix et qui l’entortille quand il faut, il a du poids et du ruckus. «1999» sonne comme un coup de génie, c’est très Oasis dans le ton, avec du sharp slinging de Squire Boy, ça sonne comme du heavy Quicksilver avec l’aura de Madchester et t’as l’incroyable clameur du Squire Boy qui du coup se met à sonner comme Stylish Stills. Ah il faut voir cette bravado ! Belle attaque encore avec «I Want You To Know», pas loin d’Oasis et un Squire Boy qui fout le feu avec ses poux. C’est un son très anglais. Chris Helme fait encore merveille sur «Blinded By The Sun», il a la voix un peu grasse, comme une huître, une voix juteuse et colorée, et derrière lui t’entends le Squire Boy voyager dans le son. «Suicide Drive» coule bien dans la manche et Squire Boy y joue un solo au long cours, avec le feu sacré. Ils se confrontent ensuite à la shakespearisation des choses avec «The Boy In The Picture», ça veut dire qu’ils entrent en dramaturgie, avant de revenir à un son plus heavy avec «Love Is The Law». Chris Helme fait son Liam Gallag. Il vise clairement l’Oasis. Il se croit dans le désert, et après un joli break de basse, Squire Boy part en vrille de poux demented. Yeah yeah ! Il gratte encore comme une brute dans «Round The Universe», cut de belle pop enjouée aux joues bien roses. Il descend une fois de plus au barbu avec une science aiguë du solo flash. Ils frisent plus loin le Sabbath avec «Standing On Your Head», on se croirait sur le premier Sabbath tellement c’est bien foutu. L’in the sky vaut bien celui d’Ozzy. 

    z24884changes.jpg

             En 2002, Squire Boy enregistre son premier album solo, Time Changes Everything. Bon, c’est déjà plus la même chose. Pour le dire autrement : c’est autre chose. On admire tellement Squire Boy qu’on ne peut pas dire du mal de ce premier album solo. Il fait du Dylanex avec «Transatlantic Near Death Experience». C’est exactement Queen Jane Approximately, avec les mêmes descentes de couplets, mais sans l’orgue Hammond. Squire Boy tartine fantastiquement. Pour le reste, il y va à l’insidieuse («Joe Louis»), il fait de la belle heavy pop avec un certain goût de revienzy («I Miss You»), mais c’est pas Liam, il chante à l’écrase-syllabe. Il est cependant meilleur que Ian Brown au chant. Il a même du cachet. Il sait challenger un cut (le morceau titre) et il pense toujours à ramener du big guitar slinging. Son «Welcome In The Valley» est excellent, bien tenu par la colle d’un chant à la ramasse. Il a d’excellents réflexes comportementaux. Il se laisse aller avec l’heavyness de «Strange Feeling». Globalement, c’est un album honnête, très sonnant, très trébuchant, mais sans idées. D’où ‘l’autre chose’.

    z24885marshall.jpg

             Son deuxième album solo s’appelle Marshall’s House et sort deux ans plus tard. Il fait encore quelques étincelles sur «Summertime», il tente bien le coup en grattant une belle clairette, il barde bien la barcasse de barda. Squire Boy est un mec assez balèze. Il tartine son morceau titre à n’en plus finir, mais on en restera là. Il force trop sa voix. Il se prend pour Liam, mais il est loin du compte. Il tente le coup du power absolu, mais la voix n’y est pas. Trop affectée. Il se gratte la glotte. Dommage. Dès qu’il chante, il ruine tous ses efforts. Il finit en mode Big Atmospherix avec «Gas». Il se réconcilie avec le gros son. Bye ! Bye Baby ! Il se jette dans la balance, il envoie sa dégelée et ça devient l’hit de l’album. Squire Boy se noie dans son son. Aucun espoir de le sauver. «Gas» est un cut entreprenant, totalement remonté des bretelles.

             En 2016, les Stones Roses tenteront de se reformer en enregistrant deux singles, «All For One» et «Beautiful Thing» - It proved to be a mirage - Une dernière tournée, puis Squire Boy dit stop. Il ne s’entend plus très bien avec son vieux copain d’école Ian Brown. Il préfère se consacrer à sa peinture et à sa famille. Enough monkey business.

    Signé : Cazengler, John Square

    Liam Gallagher John Squire. Liam Gallagher John Squire. Warner Records 2024

    Stone Roses. The Stone Roses. Silvertone Records 1988

    Stone Roses. Second Coming. Geffen Records 1994

    The Seahorses. Do It Yourself. Geffen Records 1997

    John Squire. Time Changes Everything. North Country 2002

    John Squire. Marshall’s House. North Country 2004

    Ted Kessler : What the world is waiting for. Mojo # 365 - April 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Just like Honeycombs

             Tu ne pouvais imaginer Baby Honey qu’au lit. Et bien sûr dans tes bras. Elle symbolisait le paradis, comme on aimait à l’imaginer au sortir de l’adolescence. Franchement, le paradis c’était pas compliqué : il te suffisait d’avoir un grand lit, des draps de satin jaune et le corps nu de Baby Honey que tu pouvais butiner encore et encore. Tu poussais même le fantasme jusqu’à imaginer qu’elle aimait à se faire butiner, puisqu’elle en réclamait encore et encore. Tu l’entendais soupirer : «encore... encore...», et tu t’arrachais aux torpeurs d’un premier sommeil pour couvrir le centre de son corps des baisers le plus attentionnés. Le jour se fondait dans la nuit et la nuit dans le jour, le paradis avait gommé tous les aspects rugueux de la réalité, le premier étant de s’arracher à ses bras pour aller bosser. Tu ne quittais le paradis de satin jaune que pour aller au frigo préparer une bricole à grignoter, une salade de tomates et une tranche de jambon, ou servir l’un de ces Américanos à l’orange dont Baby Honey était tellement friande, puis quand le frigo était vide, tu te hâtais d’aller faire trois courses pour revenir te jeter dans ses bras. Le paradis semblait infini, tu voulais y vivre pour le restant de tes jours, et lorsque tu demandais à Baby Honey si elle voulait partager cet infini avec toi, elle plissait les yeux et murmurait «encore... encore...», en te prenant la main pour la poser à l’endroit le plus sensible de son corps. Les jours et les semaines passaient, sans que rien ne vînt troubler la paix du paradis de satin jaune. Il n’existait rien de plus sacré que de réveiller Baby Honey avec un baiser, elle ouvrait doucement les yeux et ses yeux semblaient rire. Elle rayonnait de mysticisme amoureux et tu t’abreuvais en elle. Toi qui n’étais pas croyant, tu finissais par trouver Dieu sympa, puisqu’il avait inventé, rien que pour ta pomme, le paradis sur la terre. À aucun moment, tu n’aurais imaginé que ce paradis allait se transformer en enfer. Il te faudra cinquante ans de recul pour comprendre que ce basculement des genres est d’une grande banalité.

    z24863honeycombs.gif

             Baby Honey n’a rien à voir avec Honey, la batteuse des Honeycombs. Baby Honey est blonde et Honey brune. Baby Honey hait le rock et Honey Lantree le jouait en 1964 de façon spectaculaire. Il ne fallait donc pas se tromper d’Honey. Autant Baby Honey était une mauvaise pioche, autant Honey Lantree est la bonne.

             Qui se souvient des Honeycombs ? Un groupe londonien des early sixties produit par Joe Meek ? Honey Lantree y battait le beurre, et l’excellent Alan Ward était l’un des premiers à claquer de killer solos flash en Angleterre. Mais quand on voit les clips sur YouTube, on est vite fasciné par cette batteuse paradisiaque qu’est Honey Lantree.

    z24887honeycombs.jpg

             Le premier album sans titre des Honeycombs était très en avance sur son temps. Ce Pye de 1964 taillait bien la route. C’est Dennis D’Ell qui chante, et à propos du solo spatial d’Allan Ward sur «Once You Know», Meeky Meek parle de «brillant solo work».  Meeky Meek signe une partie des liners, au dos de la pochette. Bon, les compos sont parfois laborieuses, et c’est le son qui fait l’intérêt. La batteuse Honey chante sur «That’s The Way», et quand elle chante, elle donne du jus. Allan Ward prend encore un solo superbe dans «I Want To Be Free (Like A Bird In A Tree)» et ils bouclent leur balda avec leur big time hit, «Have I The Right». Full tilt de Meelky Meek ! Il a exactement la même intelligence du son que Totor. En B, on entend Honey battre sec et net «Nice While It Lasted». Il faut l’entendre relancer avec ses petits roulements pète-sec ! Grosse fête foraine dans «She’s Too Way Out». Space guitars & wild bassmatic, le pur génie productiviste de Meeky Meek est à l’œuvre et l’Honey bat ça si sec ! - Exceptional pretty and clever girl drummers are hard to find - Avec «Ain’t Necessary So», Meeky Meek fait sonner la guitare d’Allan Clark comme celle de Billy Harrison dans les Them. Pour 1964, The Honeycombs est un album extrêmement moderne. Bizarre que l’Angleterre ne s’en soit pas aperçue.

    Z24888HONEY.jpg

             Le deuxième album des Honeycombs est fantastique. All Systems Go! sonne, aussitôt l’«I Can’t Stop». Ils ont du son. Et quel son, my son ! Solo de sax et solo de gratte demented, que veux-tu de plus ? Résonance exceptionnelle des basses, elles t’embooment l’oreille. Coup de génie pur avec le morceau titre, un wild ride transpercé en plein cœur par un wild killer solo flash, et visité dans les entrailles par cet ingé-son de génie qu’est Meeky Meek. Il sait faire claquer la charley ! Meeky Meek est le roi du killer solo flash. Allan Ward joue lead, mais c’est Meeky Meek qu’on entend. Ils tapent une belle reprise de l’«Ooee Train» du grand Bobby Darin, puis il refoncent dans le tas avec un «She Ain’t Coming Back» signé Meeky Meek. Tout est savamment meeké par Joe. On entre dans le territoire du génie productiviste, l’apanage de Totor, de Gary Usher et de quelques autres. Belle poussée d’exotica avec «Our Day Will Come». Meeky Meek fournit tout le boniment, c’est-à-dire le son. Ils enchaînent avec le «Nobody But Me» de Doc Pomus. Pure craze ! Encore une dégoulinade de kitsch avec «There’s Always Me» et retour à l’exotica avec «Love In Tokyo». Chaque fois, Meeky Meek crée les conditions du succès.  

    z24889angelrecords.jpg

             Angel Air sort en 2016 l’album de la reformation des Honeycombs, 304 Holloway Road Revisited. Laisse tomber. C’est la reformation des vioques qui font du Buddy Holly sans Meeky Meek ni Honey, ce qui est un double anathème. Ça pue la reformation greedy, ces mecs-là feraient n’importe quoi pour palper un billet. Avec «Mary Jo», ils font du glam de vieux branleurs. Il n’y a rien de Meeky dans leur sauce. On se demande rapidement pourquoi on écoute cette daube de charognards. Avec «It’s Crazy But I Can’t Stop» et «That’s The Way», ils sont pathétiques et même atroces de putasserie. On en dégueule. Ils osent même retaper l’«Have I The Right». Comment osent-ils ? Pas de son, pas de Meeky, pas de rien.

    Signé : Cazengler, Honeycon

    Honeycombs. The Honeycombs. Pye Records 1964

    Honeycombs. All Systems Go! Pye Records 1965 

    Honeycombs. 304 Holloway Road Revisited. Angel Air Records 2016

     

     

    Luke la main froide

     - Part Six

    z24864lukehaines.gif

             Il se trouve que Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll est une mine d’or à ciel ouvert. Luke la main froide a la main lourde sur les recommandations. Alors on les suit.

    z24894songakan.jpg

             Par exemple Cathal Coughlan. On rapatrie aussi sec son Song Of Co-Aklan, histoire de voir ce que ce Cathal a dans la culotte. Song Of Co-Aklan est son ultime album. Luke la main froide y gratte des poux. Dès le morceau titre, t’as une belle pop tendue à se rompre et un big beurre de Nick Allum. Luke s’y tape le bassmatic. C’est du Big Atmospherix. Le mot-clé de cet album est la dramaturgie. Cathal monte le Dog de «Passed-Out Dog» en neige. Pour lui, le Big Atmospherix doit voyager dans le ciel comme un gros nuage d’apocalypse. Tout est très dense, très sombre, plongé dans une sorte de malheur théâtral. Cathal donne trop de caractère à ses cuts. Ça ne peut pas prendre. Un album suffit pour se faire une idée. Il repart en belle pop d’allant martial avec «Let’s Flood The Fairyground». Cathal est un fier Coughlan, et le cut décolle à la seule force du chant. Mais il revient ensuite à ses travers. Il est trop dans le théâtre du rock. On se croirait chez Ariane Mouchkine. Il sauve l’album avec «The Knockout Artist», un cut qui ne se connaît pas de limites. Cathal se jette dans l’avenir. Un vrai gardon ! Il donne un peu le vertige. Ça devient magique ! Puis avec «Falling Out North Street», il préfigure Michael Head. Il fait une belle pop ambitieuse et là, t’adhères au parti. 

    z24893getwisz.jpg

             La main froide recommande aussi deux Flies, «London’s Flies and New York’s Flies». Elle qualifie ces groupes de «blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock». Alors tu vas voir ça de plus près. Tu commences par le New York’s Flies. L’album s’appelle Get Wise. Fantastique énergie du Boston Sound 1984. «Put All That Behind Me Now» est bardé du plus beau barda, c’est même ravagé par des lèpres soniques. Ce power trio a un sens inné du power. T’as presque envie de serrer la pince de la main froide pour le remercier du tuyau. Tu trouves à la suite un «Endless Summer» sauvagement riffé et battu à la diable. Ils cultivent les dynamiques infernales, tu t’enfonces toujours plus loin dans la balda et soudain tu tombes sur une incroyable cover du «2000 Light Years From Home» des Stones. Magic Stuff ! En plein dans l’œil du cyclope ! I feel so very/ Lonely ! En B, ils se donnent des faux airs de Velvet dans «The Only One». C’est indéniable et fabuleusement inspiré. C’est monté sur les accords de Gloria. Le mec connaît la harangue ! Ils bouclent avec un «Everybody’s Trying To Be My Baby» encore très Velvet dans l’esprit, lourd, très lourd, chargé de sens, très All Tomorrows Parties, avec un chant harangue dylanesque. Quel brouet spectaculaire ! 

    z24892collection.jpg

             Tu serres la pince de la main froide pour le remercier, et tu passes aussitôt aux London’s Flies. Ça tombe bien, il existe une brave petite compile sur Acme : Complete Collection 1965-1968. Rapatriement immédiat. T’es pas déçu du casse-croûte, comme on dit sur les chantiers. Tu tombes dès l’ouverture de balda sur le fameux «(I’m Not Your) Stepping Stone» qui fit les beaux jours du Volume 1 de Chocolate Soup For Diabetics : heavy psyché psychotic, fantastique mélasse, sans doute la meilleure cover de ce vieux hit des Monkees et des Raiders. Les Flies ont bien failli connaître leur heure de gloire, puisqu’ils traînaient dans le bon circuit à la bonne époque. On les sent timorés dans «Turning Back The Pages», mais aussi dotés d’une volonté tentaculaire. Ils chantent «Gently As You Feel» à l’horizon clair, c’est pur et doux comme un agneau. Une vraie Beautiful Song. Puis ils tapent dans les Kinks avec «Tired Of Waiting For You», mais en sonnant comme les Byrds, alors tu commences vraiment à les prendre au sérieux. Car quelle vélocité ! On comprend que les Flies aient pu taper dans l’œil de la main froide. En B, tu retrouves avec «A Hymn With Love» cette petite pop innocente et douce comme un agneau. Bêêêêêêê. «Where» est encore un shoot de pop qui colle bien au papier. Leur where/ Where have you been flirte avec le génie. Puis ils passent au Dylanex avec le chant de nez pincé sur «There Ain’t No Woman», le mec fait du pur It ain’t me babe. On saluera pour finir cette pop de rang princier qu’est «Winter Afternoon. La main froide ne s’est pas fourré le doigt dans l’œil. Elle devrait écrire des bouquins plus souvent.

    z24891blasters.jpg

             Parmi ses recommandations, on trouve aussi les mighty Electric Eels de Cleveland, l’archétype du groupe proto-punk. Vient de paraître un double album compilatoire, Spin Age Blasters. Tu peux y aller les yeux fermés, même s’il coûte un billet. Au dos de la pochette, tu vois les quatre Eels, et notamment Nick Knox, à la veille de son heure de gloire avec les Cramps. L’autre batteur des Eels n’est autre qu’Anton Fier, qu’on va retrouver sur un seul cut, «Spinach Blasters» et qui ira ensuite battre le beurre sur le premier album des Feelies. Les cuts rassemblés sur Spin Age Blasters datent de 1975, donc ils sont très en avance sur leur époque. C’est en tous les cas ce que révèle le «Splittery Splat» d’ouverture de balda : wild proto-demolition. Mais ils sonnent aussi très punk anglais. On se demande même parfois si les Buzzcocks n’ont pas écouté le premier single des Eels paru chez Rough Trade, mais après vérification, il apparaît qu’«Agitated/Cyclotron» est paru après Spiral Scratch, donc pas de problème. Pourtant la parenté est troublante. «Agitated» et «Cyclotron» sonnent exactement comme les cuts des early Buzzcocks. Pur ‘Chester punk ! Exactement la même énergie. D’autres influences flagrantes : celle des Dolls dans «Refregirator», et des Stooges dans «Cold Meat». Ils attaquent «Jaguar Ride» à la Johansen. On se croirait sur «Jet Boy». Et sur «Zoot Zoot», McMahon passe un solo d’accoutumance discursive totalement révolutionnaire. En C, tu vas tomber sur un cut atroce, «Silver Daggers», gratté à la cisaille et chanté sans pitié. En D, ils tapent une cover proto-punk du «Dead Man’s Curve» de Jan & Dean, mais en sonnant comme des punks anglais. Encore un shoot buzzcocky avec «Accident» et t’as à la suite cet «Anxiety» atrocement concassé dans l’idée et dans le son des grattes de Morton et de McMahon. Franchement, t’en reviens pas de tomber sur un groupe aussi en avance sur son époque. 

    z24890eyeball.jpg

             The Eyeball Of Hell fait un peu double emploi, mais cette fois tu l’écoutes au casque et t’en prends plein la vue, dès l’ohhh I’m so agitated d’«Agitated», suivi du Buzzcocky «Cyclotron».  Tu croises plus loin l’explosif «You’re So Full Of Shit», protozozo comme pas deux, avec McMahon qui chante comme un voyou. Tu retrouves aussi l’«Anxiety», McMahon chante mal, mais c’est ce qui le rend révolutionnaire. McMahon joue encore comme un atroce démon incisif sur «Silver Daggers» et le «Zoot Zoot» éclate de modernité. Cleveland était alors un vrai jackpot. Retour au simili-Buzzcocks d’«Accident» et «Refrigirator» sonne tout simplement comme l’enfer sur la terre. Avec «Bunnies», ils sont mille fois plus modernes que Pere Ubu. McMahon joue de la clarinette et injecte un shoot de free dans la scie du punk. «Spinach Blasters» vire jazz. Bifarx me sir ? «It’s Artistic» : même power underground que les Swell Maps. John Morton se dit fan de Dada-euro-trash. Les Eels étaient beaucoup trop en avance sur leur époque. Ils se sont brûlé les ailes.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Electric Eels. The Eyeball Of Hell. Scat Records 2001

    Electric Eels. Spin Age Blasters. Scat Records 2023

    The Flies. Complete Collection 1965-1968. Acme 2000

    The Flies. Get Wise. Homestead Records 1984

    Cathal Coughlan. Song Of Co-Aklan. Dimple Discs 2021

     

     

    *

    J’ai vu la couve, elle m’a plu, par son côté outrancièrement kitch, j’ai tout de suite eu envie que l’on me lise une histoire, personne ne s’est proposé alors c’est moi qui m’y colle, je vous avertis vous risquez d’avoir peur.

    STORYTELLER

    BLACKSTAFF

    (Numérique / Bandcamp / Sept 2024)

             Black, ok vous voyez le style, ce n’est pas la bibliothèque rose, pour le staff, à boire et à manger, le personnel est un peu maigre. Se réduit à une seule personne. Ou à toute une colonie. C’est selon. Expliquons-nous, il y a de plus en plus de gars, post-metal, post-stonner, post-death, post-tout-ce-que-vous-voulez qui concoctent tout seul, dans leur coin, leur petit opus. En règle générale je ne chronique point trop ce genre de solitaires, sont à mon goût davantage ‘’genre’’ que solitaire, en gros ce n’est pas souvent original et pas très particulier. Bref Blackstaff se résume à un unique individu : Dustin Cleary. Oui mais sur son bandcamp il vous colle en toute honnêteté une liste longue comme un jour sans pain, tous les individus qu’il a rencontrés et qui l’ont inspiré, encouragé, filé un coup de main, aidé à monter son projet. D’où le terme de colonie.

             Vient de Seattle, l’a l’air d’y avoir dans cette ville une bande de groupes un peu frappés de la cafetière, ce qui n’est pas pour me déplaire. Dustin a déjà sorti deux EP et trois titres cet été qui se retrouvent sur son album.

    z24858couveblackstaff.jpg

             La couverture est d’Adam Burke un tour sur son instagram (night jarillustration) s’impose, l’ensemble est superbe, les esprits délicats risquent d’en ressortir effrayés, entre macabre, imaginaire médiéval et fantastique… Longue table de bois, le maître de noir vêtu, de loin il ressemble à un étron, est assis à la place du roi ou de Dieu, choisissez votre option. Devant lui est posé le grimoire sacré, le public l’écoute lire une histoire. L’assistance n’est pas au mieux de sa forme, des squelettes avachis, se tiennent droit sur leur chaise mais l’on sent que dès le lecteur aura tourné le dos, ils se laisseront – dans la série tu retourneras à la poussière - tombés par terre, soyons compréhensifs, ils sont fatigués de vivre. Le plus proche de nous nous jette un regard angoissé, nous pose la question existentielle essentielle, la mort ne finira donc jamais… Au fond de l’image l’espèce de vortex calamiteux n’incite pas à la joie. Pas plus que les arbres dépenaillés qui tendent leurs bras comme un appel au secours sans espoir.

    Seidr : en gallois ce mot signifie cidre : bruits indistincts, puis une note noire qui semble vouloir s’étendre jusqu’à la fin des temps, redondante elle rebondit pour se perpétuer, ambiance lugubre, vous avez envie de refermer le livre mais coup de théâtre de sombres effluves s’en échappent, vous êtes prisonnier, comme une bolée de cidre empoisonnée que rien ne vous empêchera de boire en une longue lampée interdite, vous point l’envie de lire l’histoire interdite.

    z24859cloack.jpg

    Cloack of stars : nous illustrons ce morceau avec la couverture du deux titres Seidr+Cloack of stars qui doit être de Maxime Taccardi (voir plus loin). Cloack ne signifie pas cloaque (tellement death metal !), question guitare ça ne baisse pas d’un cran, noir, son épais violent plus la batterie qui claque de tous les côtés, oui mais il y a en summum, une voix sludge à vous arracher les ongles des pieds, Dustin était destiné à devenir clameur, il vaudrait mieux qu’il ne clame pas trop haut because les lyrics sont inquiétants, tout ce qui est beau, grand et grandiose, peut de par la primauté qu’on lui accorde et devenir comme un Dieu et vous asservir comme du bétail. Une histoire un peu triste quand on y pense, l’on comprend mieux la tonalité écrasante de cette musique qui ne vous laisse aucune espérance. Procession of ghouls : ne fantasmez pas, dans les nouvelles fantastiques, les goules sont généralement de belles et énigmatiques jolies filles ou femmes qui se donnent à vous sans chichiter, au matin vous vous apercevez que ce ne sont que d’infâmes créatures diaboliques qui ont abusé des désirs du héros, ici aussi mais c’est présenté sous son aspect métaphysique, le côté érotique de ces nuits torrides n’est pas évoqué, vous avez l’implacabilité phonique du son qui vous avertit que l’instant est grave, et puis le chant, une espèce de sludge asthmatique, qui vous enfonce les clous de la peur dans la moindre fibre de votre chair tétanisée d’horreur, c’est la mort qui avance vers vous et vous pénètre lentement pour vous faire souffrir encore davantage, pour que vous compreniez que la vie n’est pas un chemin qui conduit à la mort, au contraire c’est la mort qui est un chemin qui s’achève dans votre vie, la batterie sonne votre déroute mentale, maintenant vous savez, cela ne vous rend pas heureux, car au moment où vous savez vous êtes mort.

    z24860swarm.jpg

    Swarm : le morceau précédent vous donnait l’épure, l’abstraction schématique, avec celui-ci nous rentrons dans les détails. Enfin ce sont les détails qui entrent vous, des millions d’insectes, vous les entendez voler en groupe, l’essaim vous a repéré et fonce sur vous, c’est horrible, c’est terrible, Dustin grogne comme le goret que l’on allonge dans l’auge pour lui prendre la vie, silence l’on murmure à votre chair, l’on vous apprend que votre lymphe est le miel du fruit mûr et elles les abeilles qui se posent sur vous plantent leurs dards pour s’enivrer de la substantifique moelle de votre sang, si vous comptiez que l’on vous expliquerait tout ce qu’il vous arrive avec la subtile musique des sphères, erreur fractale, non l’on vous fait comprendre à grosses pelletées de doom, elles vous assènent sans pitié et sans faillir des vérités mortuaires comme des implants nécrologiques que l’on vous enfonce à coups redoublés dans votre tête.  Maxime Taccardi est un saigneur de l’illustration death Metal, nous lui consacrerons une chronique à part entière, celle-ci semble s’inscrire par ses arabesques rouges dans ses œuvres réalisées avec son propre sang, la légende, grande raconteuse d’histoires affirme que certains se disputent ses originaux pour les lécher,  cette mort qui s’avance vers vous auréolée de ses spirales sanglantes, le lecteur sera sidéré tant elle épouse parfaitement les lyrics… Worm : une ode démantibulante au ver vainqueur, vocal visqueux, batterie-pioche et riffage foreur, il est en vous, il vous désosse, il emporte en lui-même tout ce dont vous n’avez plus besoin, je ne suis que cadavre, le background comme une pelleteuse sur une fosse commune, fin de charnier, le ver a éteint ma lumière, j’en étais fier, elle irriguait le monde, subsiste toutefois cette absence de moi que le ver glouton emporte en rampant dans son ventre. Spider : vous croyez que l’histoire s’est terminée, non il reste des addendas philosophiques, entrée majestueuse, batterie hachoir, guitare suaires de plomb, une dernière moquerie, les hommes vivants aiment la mort, le mal court parmi eux comme une araignée malfaisante, ils ne la voient pas, ils se prennent pour des héros que la gloire rendra immortels, les guerriers galopent, ils se lancent les uns sur les autres, l’aragne mortelle emporte leurs corps morts dans ses cavernes ombreuses, elle suce leur sang, ils survivent un certain temps empreint d’une glaçante léthargie létale, bientôt vidés de leur substance molle, ils ne sont plus que des trophées soyeux entassés sur la toile de la mort. C’était une petite leçon de nihilisme de ma mère la tarentule aux tulles tubéreux. Thrill of the hunt : bonus track, même la mort qui vous court après peut être sympa, issu de la session 23 de l’enregistrement de leur deuxième EP trois titres Godless : musicalement ne dépare en rien des titres précédents si ce n’est peut-être la guitare qui klaxonne comme une voiture derrière vous qui demande que vous passiez au vert, le vocal aussi davantage articulé, sinon encore une histoire impie, impitoyable, la mort court après vous, vous êtes le gibier, vous ne échapperiez pas même si vous vous terrez au fond de votre lit en espérant lui échapper.

             Agréablement surpris, se débrouille bien tout seul notre Dustin Cleary. Porte pourtant un patronyme qui ne lui convient pas. Pas clair du tout, sombre, très sombre.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Comment faire beaucoup avec peu ? La recette nous est proposée par Seb le Bison et Tony Marlow. La gageure semble impossible : comment réaliser une vidéo sur un voyage en avion vers les cieux cléments d’une île méditerranéenne quand, c’est-là où le problème se corse, on n’a pas prévu un avion dans le casting ?

    LE GRAND VOYAGE

    TONY  MARLOW

    (Official Video / Bullit Records / Juin 2024)

    Oui ils ont un avion, on ne voit que lui, un superbe bimoteur à hélices, le genre de coucou que l’on a commencé à mettre au rebut dans les années cinquante. Non je ne suis pas un menteur. C’est vrai qu’il est sur l’image dès la deuxième seconde du clip, en surimpression graphique. Puis il disparaît. Le bruit du moteur s’estompe avantageusement remplacé par la guitare de Tony Marlow. D’ailleurs le voici le Marlou, marche à pied, comme tout le monde, heureusement qu’il porte son étui à guitare, sinon de loin on ne le reconnaîtrait pas, il arpente, silhouette grise dans un beau paysage, attention la vidéo n’est pas en couleur, on est surpris : pour un extrait de l’album Cryptogenèse, l’on s’attend à une phénixiale explosion de mille feux multicolores genre poster à la Jimmy Hendrix, mais non c’est tourné en noir et blanc, vu la beauté de l’image l’on a envie de dire en argentique.

    z24866marlowwmarche.jpg

    Petit moment de réflexion nationaliste : c’est un beau pays la France, je ne parle pas des petites villes sinistrées par le chômage ni de ces grandes agglomérations défigurées par des constructions à bon marché mais de ses paysages. De cette campagne façonnée durant deux millénaires par la main de l’homme, de cette osmose réussie entre nature et ouvrages d’arts. Ici pas de fières structures édifiées en pierres de taille, juste  un pont étroit jeté sur  un canal bordé d’arbres, ou une modeste rivière aux eaux paresseuses quasiment immobiles, que longe Tony sur un simple chemin de terre, le voici maintenant en pleine campagne sur cette longue voie vicinale déserte.

    Depuis son avion, ce sont les paroles qui l’affirment, il aperçoit des voitures minuscules, cette fois l’image est davantage surréaliste, objet insolite planté dans l’agreste décor un tabouret de bar solitaire, surgi de nulle part, hors-sol pourrait-on dire même si ses pieds reposent sur la terre, esseulé le trône à pastis semble attendre qu’un passant veuille bien faire cas de lui. Tony ne se refuse pas à l’appel de ce siège, si les objets inanimés ont une âme lamartinienne, peut-être se sent-elle cette chaise curule désertée comme un chien abandonné et éprouve-t-il l’intense ferveur nostalgiques des apéros de comptoir… Voici Tony, étui ouvert, guitare sur le giron, acoustique bien sûr, aucun pylône électrique dans les parages où se brancher, il gratte et il tourne sur lui-même, de fait c’est l’image qui tourbillonne, presque un miracle, la statue de Marlow semble mue dans un étrange tourbillon, dans le ciel tout là-haut, un éclair de soleil jaune salue ce miracle.

    Du coup l’on retrouve Tony en ville, il déambule sur une piste cyclable, voudrait-il, lui le rocker, lui le biker, nous faire accroire que c’est ainsi que l’on vit dangereusement, en tout cas la ville déserte s’anime, Marlow marche prudemment comme sur des œufs sur un large trottoir, mon dieu toi qui n’existes pas, que se passe-t-il, aurions-nous trop insisté lors de l’apéritif, le Marlou se dirige vers nous mais les voitures filent à reculons, Marlow sourit,  un rocker en perfecto, se porte à sa hauteur, hélas lui aussi est pris de cette bizarre dérive reculatoire et il disparaît dans les limbes de la pellicule, l’est aussitôt suivi d’un deuxième individu qui, encore un, est happé en arrière par cet étrange vortex inexplicable… tiens une jolie fille, va-t-elle être aussi accaparée par cet extraordinaire phénomène, non le pouvoir sensoriel de Marlow la garde à ses côtés, mais au plan suivant elle n’est plus là, les habitants de cette cité sont tout de même touchés par cette étrange maladie de la vache folle ou de la brebis galeuse, pour échapper à cette étrange épidémie contaminatoire l’on ferme les yeux et l’on en profite pour apprécier le long solo de guitare de la bande-son, tiens tout ( enfin presque) rentre dans l’ordre. En voici deux qui sont guéris, d’ailleurs ils s’enfilent dans la salvatrice porte  d’un café ils ont sûrement besoin d’un remontant, le Marlou les imite, l’a beaucoup arpenté, l’a besoin de reprendre quelque force, surprise, couleurs, nous voici bien au chaud à l’intérieur de L’Armony, bar émérite de Montreuil cité rock, sont attablés autour d’une table,

    z24857armony.jpg

    tous les quatre, on les reconnaît, Amine Leroy gratouille sa big mama, Jacques Chard caresse sa caisse claire, Tony est plus intéressé par le poster géant de Marilyn que par sa guitare, ils ne font même pas semblant de jouer en playback, mais l’on s’en moque, on se repose de notre grand voyage en contemplant la dégaine incomparable d’Alicia Fiorucci que comme par hasard Seb le Bison, le producteur avisé, a placée au premier plan.

    Damie Chad.

     

     

    *

             Les mésoPOPtamiens disaient qu’il suffisait de traverser l’EuphKRAFTe pour être heureux, si l’on en croit Xénophon qui en des temps antiques mena l’épopée des Dix Mille en ces lieux hostiles, l’aventure peut s’avérer périlleuse, aussi vais-je vous mener dans une contrée plus douce à laquelle vous accèderez en quelques clics.

    POP POPKRAFT (FB)

    HISTOIRE DU ROCK GARAGE

    (Voir aussi Art Pop CreationFB)

    z24855salut les amis.png

             J’y suis tombé dessus par hasard, un pantin de bois qui s’agitait, j’ai failli ne pas m’arrêter, les gamins qui rêvent de Pinocchio, très peu pour moi, feraient mieux de relire le Timée de  Platon, oui mais il y avait un truc rond au fond de l’image qui tournait, toutefois dans mon cerveau élémentaire, la traduction s’est faite, un truc rond qui tourne, avec un peu de chance c’est un tourne-disque. Je ne m’étais pas trompé, j’ai aperçu l’icône du haut-parleur barrée, j’ai mis le son, mais ce n’est pas mauvais, ne serait-ce pas du rock, bingo, j’avais gagné ! Deuxième surprise en descendant légèrement le fil, le même ostrogoth dans son tricot gris glissait une rondelle vinylique sur son appareil, encore du rock, et du bon, cela méritait écoute et attention.

             Mea culpa, je ne l’ai pas fait exprès, je ne recommencerai pas si je mens que Belzebuth me butte et me catapulte en Enfers ! Je rassure tous les écologistes, non l’Opérateur, ou plutôt le rockpérateur, n’a pas bousillé un séquoia ou déraciné un baobab pour sa figurine qui doit faire cinq centimètres, elle n’est pas en bois, l’a confectionné avec de la pâte à papier et du carton. Ainsi que tout le décor, un salon avec fauteuils et canapés, les meubles et tous les petits détails qui vous rendent un lieu particulièrement agréable, les murs recouverts d’affiches de concerts, ou par exemple le cendrier, en plus dans certains épisodes il est rempli de cadavres alanguis de cigarettes, tristes et déplorables exemples d’incitation à la débauche, vous savez avec les amateurs de rock il faut s’attendre non pas à tout mais au pire, prions pour la santé mentale des mineurs qui visionneraient les épisodes.

             Car oui, nous sommes sur le FB d’un obsessionnel du rock’n’roll, à chaque jour ne suffit pas sa peine, quotidie, dixit Caesar, il rajoute un nouveau chapitre à cette saga. Le principe est simple, un groupe, un titre, quelques explications. Nous n’avons pas affaire à ces insupportables animateurs de radio qui parlent sur les titres, n’ouvre pas la bouche, s’exprime par bulles comme les poissons-rouges ou les bandes dessinées. Entre nous soit dit, cela doit lui prendre un temps fou et demander un esprit minutieux. Un aspect de La Pop Culture que j’ignorais qui aurait enchanté l’amie Patou qui aujourd’hui n’est plus là, doit se balader sur l’autre rive accompagnée de ses chats…

             Allez-y voir sans problème, attention c’est terriblement addictif, à ce jour d’aujourd’hui (9 septembre) il vient de poster sa soixante-huitième livraison, pour vous mettre l’eau à la bouche j’ai relevé l’intégralité, si je n’en ai pas oublié, des artistes passés en revue, je n’ai pas mis le titre précis, à vous d’aller le découvrir : Sonics, Saints, Ramones, Cynics,Richard Hell and the Voidvoid, Dream Syndicate, 13 Th Floor Elevator, Plan 9, Seeds, Joy Division, Thee The Sees, Hoodoo Gurus, Dogs, Mono Men, Fuzztones, Velvet Underground,  The Senders, Wilco, Doors, Love Screaming Trees, Eels, Link Wray,  The Nomads, DMZ, The Animals, Tom Petty, Bob Dylan, White Stripes, Tim Buckley, Willie Dixon, X, The Music Machine,  Roy Orbison, Ty Segall, The Chocolate Watchband, Johnny Kids and the Pirates, Ike & Tina Turner, Motör Head,  Beatles, Vince Taylor and his Play-Boys, Psistepinkko, Walkabouts, John Spencer Blues Explosion, Smashing Pumpkins, Them, Wire, Elvis Presley, Modern Lovers, Thugs, Screaming Trees, Nick Drake, Woven Hand, Echo and the Bunnymen, The real Kids, Small Faces, The Celibates Riffles, Buzzcocks, creation, The Litter, Creation, Television Eddie Cochran… ils ne sont pas dans l’ordre, il y en a un dans ma liste manuscrite que je n’ai pas réussi à relire !

             Originalement rock !

    Damie Chad.

    1. S.: pour ceux qui veulent tout savoir, vous avez de temps des tutos dans lesquels vous sont livrés les secrets de fabrication.

     

    *

             Au début de ce mois nous présentions le premier titre du nouvel EP de Two Runner, vient de paraître le second extrait qui donne son nom à l’opus.

    LATE DINNER

    TWO RUNNER

    (Official Music Video de Nick Futch / 13 - 09 – 2024)

    z24899videorunner.jpg

             Un jeu stupide : regarder une Music Video sans mettre le son. Rien de surprenant : une fille qui rentre à la nuit tombée, une qui l’attendait en lisant. Tout de suite Paige et Emilie sur le divan en train de jouer, par intermittences ensuite, car Paige prépare un repas, végétal et sans surprise, des espèces de tartines au fromage qui seront posées sur la table auprès d’assiettes remplies d’une sauce brunâtre, heureusement que l’on entrevoit un plat de ce qui doivent être des biscuits pour le dessert, je ne voudrais pas la ramener avec ma petite et prestigieuse science nationale culinaire de petit froggie mais ce repas vraisemblablement végétarien ne m’ouvre pas l’appétit, d’ailleurs si elles ont allumé des bougies elles restent chacune à leur tour prostrées devant  leur assiettes pensives sans toucher à la nourriture, l’on sent le dépit,  un petit mot d’amour est déchiré, brûlé, réduit en cendres, mais tout change elles sautent de joie et tout à leur entrain elles s’en vont danser sur le perron de la maison.

             Si vous n’êtes pas tout à fait crétinoïde vous avez compris la morale de cette histoire : un seul être vous manque et cela ne vous empêchera pas de faire la fête et de continuer à vivre.

             Nous sommes désormais prêts pour écouter la chanson :

    Paige Anderson : vocals, guitar, banjo, composition  / Emilie Rose : vocals, fiddle/ Ben Eaton : upright bass.

    z24853couve.jpg

    Ben Eaton, d’un bout à l’autre fournit le bruit de fond, il suit le rythme de si près comme le chien qui marche dans l’ombre du maître, il le fortifie lorsque la cadence s’accélère il devient alors tourbillon de feuilles mortes que le vent de l’automne emporte et laisse tomber inanimées sur le sol, Emilie ferme souvent les yeux, son violon tour à tour agonise et festonne la mélancolie des jours passés et à venir, tous identiques, qui se suivent et ne se ressemblent pas, la voix de Paige bouscule la donne, de l’écheveau de l’évidence des rêves et du vécu elle tisse un drame antique, elle métamorphose une comédie amère en fusion destinale, l’on ne sait plus s’il faut en rire ou en pleurer, il existe une telle différence entre les routes de la réalité vivante et la voie du songe absolu que notre esprit n’arrête pas de poursuivre sans fin. Ne sommes-nous pas, les deux à la fois, Ulysse luttant contre les vents contraires et la longue patience de Pénélope tirant les fils des songes infinis. Tout cela Paige l’écrit avec des mots simples qui n’en finissent de créer de subtiles résonnances en l’âme des choses qui ne sont plus et de celles qui subsistent, en un autre plan ontologique.

    Vous reprendrez bien un morceau de gâteau, farine de tristesse, sucre des jours heureux et cerise à l’eau de mort…

    Superbe composition.

    kid congo,roxy music,john squire,honeycombs,luke haines,blackstaff,tony marlow,pop popkraft,two runner

     

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 650 : KR'TNT ! 650 : LUKE HAINES / QUINN DEVEAUX / ANDREW LAUDER / JOHN CALE / ARTIE WHITE / OCULI MELANCHOLIARUM / THY DESPAIR / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 650

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    20 / 06 / 2024

     

    LUKE HAINES / QUINN DEVEAUX

    ANDREW LAUDER / JOHN CALE

    ARTIE WHITE / OCULI MELANCHOLIARUM

    THY DESPAIR/ ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 650

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Luke la main froide

    (Part Five)

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Pas compliqué : Luke Haines, c’est Noël Godin. Son Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll, c’est l’Anthologie De La Subversion Carabinée. D’un côté les screaming girls de la Beatlemania, de l’autre les Pieds Nickelés de Forton. Même sens du droite gauche dans la bedaine de la bien-pensance, même impertinence salvatrice, même vision résolutrice, même envie d’en découdre avec les fucking lieux communs du ventre mou du lard global, on l’a dit ici et répété, Luke la main froide, c’est Léon Bloy avec une guitare électrique, c’est l’entartreur avec la férocité britannique. Jetez-vous tous sur ces deux bibles ! Plus l’environnement socio-culturel sent mauvais, et plus elles s’avèrent aussi nécessaires que l’oxygène. Respire un bon coup, avec Luke, t’es en bonne main (froide).

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Comment dire ? C’est une occasion rêvée que de saluer une telle parution, et donc une chance que de contribuer à ce bloggy bloggah pour pouvoir l’annoncer. Freaks Out! est l’un des rock books majeurs de notre époque, mais comme on répète ça à chaque fois, disons qu’il est encore plus majeur que d’habitude. D’ailleurs, sur l’étagère, tu vas pouvoir le ranger à côté de toutes tes bibles : l’Anthologie citée plus haut, le gros volume bleu clair de Pascal Pia, Romanciers, Poètes & Essayistes Du XIXe Siècle, les deux volumes de Richie Unterberger, Unknown Legends Of Rock’n’Roll et Urban Spacemen & Wayfaring Strangers, le Dada Duchamp de Michael Gibson, L’Art Magique et l’Anthologie De l’Humour Noir d’André Breton (un mec qu’on déteste profondément, mais son Histoire de l’Art et son Antho valent tripette), le Record Makers & Brokers de John Broven, L’Histoire De L’Insolite de Romi & Philippe Soupault, La Lettre & L’Image de Massin, les trois tomes des Souvenirs Sans Fin d’André Salmon, le Quatre Siècles De Surréalisme de Marcel Brion, enfin bref, tout ça donne le vertige à chaque fois qu’on s’y plonge. Que deviendrait-on sans les étagères ?

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Avec son mighty Freaks Out!, Luke la main froide reprend grosso-modo ses fameuses columns de Record Collector et les développe, il fait donc du nec plus ultra de trié-sur-le-volet. Il monte sa science en neige. En lisant chaque mois sa column, on avait l’impression de lire du rare. Avec son book, il cultive le rare jusqu’au délire. Il l’élève. Il l’ararate. Ça va de Gene Vincent aux Go-Betwwens (ses deux chouchous hors compétition) en passant par Steve Peregrin Took, Earl Brutus, Robert Calvert et Jesse Hector. Luke la main froide est bien le seul mec en Angleterre à consacrer des chapitres entiers à ces héros de l’underground britannique. Il le fait avec une bravado qui en dit long sur son panache. Il est inutile de rappeler qu’à notre époque des mecs comme la main froide ne courent pas les rues. Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour le constater.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Si tu veux savoir tout le bien qu’il faut penser de Gene Vincent, tu peux lire deux auteurs : Damie Chad et Luke la main froide. L’un comme l’autre sont des inconditionnels définitifs, des prêtres du temple d’Apollo-Gene. Heureusement qu’ils sont là ! Dans Freaks Out!, t’as un chapitre entier bourré à craquer de sailor Craddock, de Triumph motorbike, de Norfolk Virginia, le texte vibre de toute l’énergie de «Be-Bop-A-Lula», t’as le Gene qui voit Elvis sur scène, alors Eugene perd son Eu, se rebaptise, «becoming Gene Vincent. Holy fucking shit», s’exclame la main froide en tombant à genoux ! Il se reprend aussitôt et, le visage tourné vers le ciel, il déclare : «Chaos magick takes over; Gene puts together a backing-band - the Blue Caps - a potent brew of the amateur and the genius.» Seul un fan hébété de transe obsessionnelle peut te sortir un tel sermon, sa phrase claque au vent, tu peux la lire et la relire, tu la verras toujours claquer au vent, a potent brew of the amateur and the genius. Mais attends, c’est pas fini, la main froide a la main lourde : plus loin, il traite «Be-Bop-A-Lula» de «full-on wolverine prowl», c’est-à-dire de pire monstre carnassier qui ait hanté l’inconscient, et, ajoute-t-il, «en dépit de tous leurs efforts, ni les Stooges, ni les Troggs, ni Suicide n’ont jamais fait mieux.» La main froide lâche ensuite une petite bombe de sa fabrication : «Mais ce n’est pas Gene Vincent qui a inventé le rock’n’roll que nous connaissons. C’est le batteur Dickie Harrell, qui n’a alors que 15 ans, et qui à la fin du deuxième couplet, pousse un feral scream», c’est-à-dire un hurlement sauvage. Mais bon, comme toujours, c’est plus joli en anglais. Feral, ça ferraille dans ton imagination, alors qu’hurlement peine à jouir.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Tu crois que la main froide va se calmer après sa bombe ? Tu te fous le doigt dans l’œil, amigo. La main rappelle qu’en 1959, Gene était cuit aux patates, aux États-Unis. Terminé. Kapout. Direction l’Angleterre. Alors l’anglais Jack Good tombe à pic. Il fait de Gene l’icône que l’on sait en Angleterre. Il le fait passer du stade de «skinny hillbilly farm-punk» à celui de «bad-boy black leather», avec le médaillon et les gants noirs. Et là, notre épouvantable main froide atteint l’un de ses sommets : il décrit l’arrivée de Gene sur scène, et dans la coulisse, Jack Good lui crie : «Limp, you bugger, limp !», ce qui veut dire «Boite, connard, boite !» - Amazingly, Gene didn’t shoot him - Oui, la main froide a raison, c’est miraculeux que Gene n’ait pas descendu Jack Good. Alors tu vois, tu n’en es qu’à la page 20 et tu frises déjà l’overdose. Chaque page est un chef-d’œuvre d’heavy mystique dégoulinante de vitriol ironique. La main froide revient pour la énième fois sur l’incroyable movie tourné en 1969, The Rock & Rock Singer : Gene Vincent est filmé en tournée sur l’«oldies circuit», gavé de Benzedrine, de Dexedrine, d’heavy painkillers et de booze, ça va mal, et puis ces répètes dans une cave de Croydon avec les Wild Angels qui «kick out a motherfuckin’ dynamite version of ‘Baby Blue’ and Gene’s weary eyes light up. The Teds are gonna dig this shit.» La main froide écrit le rock comme un dieu. Il décrit le réveil de Gene dans la cave de Croydon. Ils tapent ensuite une country-song, «I Heard That Lonesome Whistle», dédiée à John Peel qui a sorti, nous dit la main froide, «Gene’s country rock album I’m Back And I’m Proud» - The Teds won’t be digging this - mais bon, la répète prend fin et les Wild Angels demandent à Gene ce qu’il compte faire de sa soirée. «I’m going to the pub, to get drunk.» Alors l’un des Angels demande : «Mind if we tag along?». Autre plan : à la télé, le présentateur annonce Gene Vincent & the Wild Angels with Be-Bop-A-Lula - Utter transformative chimera. Black leather and chains. John Lydon fronting the Troggs. Limp you bugger, limp - Comme elle doit aimer Gene !, la main froide, pour écrire comme ça ! Le seul qui atteigne ce niveau d’intense perfection stylistique, c’est Nick Kent.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             À la fin du book, tu as 30 pages de recommandations (Discography, bibliography, miscellany), et la main froide n’y va pas par quatre chemins : «Gene Vincent & The Blue Caps - Bluejean Bop. The greatest album ever recorded?». Il te pose la question. Dans le chapitre qui précède celui de Gene, la main froide salue Jerry Lee exactement de la même façon : «Jerry lee Lewis At The Star-Club. It is unarguably the greatest live album ever recorded.» Et voilà, ça t’en fait deux pour ton étagère. Une autre façon de dire les choses : si tu es fan de rock, tu ne peux pas vivre sans ces deux préalables à tout le reste. La main froide utilise la surenchère à bon escient. C’est la raison pour laquelle elle est si fiable. Tous les fans de Gene et de Jerry Lee savent qu’il a raison.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Dans son intro, la main froide te fait tourner en bourrique. C’est l’un de ses apanages. Il te dit d’un côté que le rock’n’roll n’est pas une question de vie et de mort, «c’est plus important que ça.» Et de l’autre : «Le rock’n’roll est aussi utterly ridiculous. Ne perdez jamais ça de vue. Alors en voiture, les groovers.»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Il rentre dans l’eau bénite de ses chapitres en rappelant qu’ado, il était obsédé par The Fall. Il est encore plus fasciné par les Doors, qui, dit-il, allaient vite être démodés - Off-trend. Passé. Terminally uncool, even. Sure, they were loved by French people, Euro hippies, female students and me - La main froide ajoute en croassant qu’elle n’a encore jamais rencontré un music journalist qui ait eu un mot aimable sur Jimbo. La presse s’en prenait même à l’excellent film d’Oliver Stone sur les Doors, que défend la main froide. Alors elle donne 8 raisons d’aimer Big Jim, la deuxième étant le fute de cuir - Très peu de gens savent porter un fute de cuir. Bowie n’en portait pas, Bolan non plus, ni le Velvet, parce qu’ils ne savaient en porter. Les seuls qui ont su le faire sont les Beatles à Hambourg, Gene Vincent, Lulu et Jim. Morrison was the king of leather trousers - La troisième raison est la poésie. Il en profite pour saluer Iggy Pop et Geezer Butler «as favorite say-what-you-see-and-don’t-edit-visionary lyricists.» La septième raison est que les Doors avaient the tunes, c’est-à-dire les compos. «God bless you, Big Jim.» Ces deux pages constituent sans doute le meilleur hommage jamais rendu à Jimbo. Dommage que la main froide ne fasse pas allusion aux faits que Gene et Jimbo picolaient ensemble, et que Jimbo s’inspirait de Gene : le cuir noir et la façon de s’arrimer au pied de micro, sur scène.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Pour rester dans l’œil du cyclone, la main froide évoque plus loin le set du Velvet à Glastonbury, en 1993. Pour lancer la machine, elle se fend d’un paragraphe bien Hainien - Il existe un clip du Velvet en 1967 qui crée bien l’ambiance : Andy, Lou, Nico, Cale qui ressemblent à Satan. Moe qui ressemble à une secrétaire de Long Island. Paul Morisseay a l’air méchant, Ondine, l’air mauvais, Brigit Polk qui se shoote du speed dans le cul. Amphetamine. Amphetamine. Amph,ph-ph,ph,ph, phetamine. Tthe Siver Factory. Whip it on me Jim, whip it on me, Jim, whip it on me, Jim, whip it on me, Jim - Joli clin d’œil à Mick Farren, mais après, c’est une autre histoire, car le Velvet à Glasto, «the greatest band of all time», c’est une catastrophe, ils transforment «Venus In Furs» en «late-80s cocaine boogie» - The VU don’t belong in a field full of cowpats - Le Velvet dans les bouses de vaches ! La main froide est sidérée !

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Ailleurs, il salue Joe Meek via «Telstar», et Jesse Hector via l’une de ses amies, Caroline Katz, qui a tourné le fameux docu sur les Gorillas - Les groupes les plus connus de Jesse furent the excellently named Crushed Butler and Hammersmith Gorillas - et ajoute avec tout l’éclat de sa foot-note : «Jesse a maintenu (jusqu’à aujourd’hui) an orthodox bovver/glam aesthetic.» Et pour couronner le tout, la main froide indique qu’à la grande époque, Jesse arborait «three haircuts simultaneously.»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Au rayon super-culte, on retrouve bien sûr Steve Peregrin Took. La main froide commence par rappeler qu’on le voit à côté de Marc Bolan sur la pochette of «Ty Rex 1969 masterpiece, Unicorn». D’un côté le Freak’s Freak of Ladbroke Grove, et de l’autre, Bolan, plus carriériste. Un Took viré sans ménagement de T Rex pour être remplacé par le «plus photogénique, moins musical, and most importantly, plus conciliant Mickey Finn.» La main froide rappelle encore que Tookie, comme on le surnommait, amenait dans T Rex des «exceedingly freaky harmonies and gueninely disturbing feral animal noises.» Et ça, que la main froide te balance entre les deux yeux : «Over in Ladbroke grove, Steve Took was helping to keep Britain untidy. He had already been kicked out of the utterly deviant Pink Fairies.» Ça résume bien la situation. Tookie avait alors monté Shagrat, «with soon-to-be Pink Fairy Larry Wallis.» La main froide profite de cette exaction pour rappeler que d’autres groupes mythiques ont brièvement existé, citant l’Entire Sioux Nation de Larry Wallis (encore lui !), les Rocket From The Tombs et les Electric Eels de Cleveland, «London’s Flies and New York’s Flies, Brighton’s Dodgems.» La main froide qualifie ces groupes de blink-and-you-miss-them-cos-they-barely-existed mythical bands in rock, et le plus grand serait Shagrat. Elle cite en référence «the demonic ‘Steel Abortion’» qu’on a salué ici même lors d’un hommage à Tookie justement instrumenté par l’une de ses columns infernales. Puis elle profite de l’occasion, l’infâme main froide, pour oser une comparaison entre «the dreary sweaty Fat White Family» et Shagrat, une Family qui, en comparaison, sonne «like a Nancy Reagan tribute act.» Dont acte. Shagrat s’est cassé la gueule parce que Lazza est allé rejoindre les Pink Fairies, alors Tookie a poursuivi «sa mission consistant à priver tout Londres de drogues en les prenant lui-même.» Puis il atterrit dans le basement de l’ex-manager des Move, Tony Secunda, et l’une de ses rares fréquentations n’était autre que «the disssolute and dislocated Syd Barrett.» La main froide soigne toujours ses chutes de chapitres et celle-ci est particulièrement gratinée : Tookie vient de recevoir un chèque de royalties pour les trois albums de T Rex, et avec sa copine Valérie Billiet, ils décident de s’offrir un blowout. Ils prennent des champignons et s’injectent de la morphine. Selon la main froide, on a taxé la mort de Tookie de «drugs misadventure». Alors la main froide se met à rêver : «Aurai-je contribué à ce dernier blowout royalty cheque en achetant Unicorn/A Beard Of  Stars, lorsque j’étais ado ?»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Elle reprend plus loin le thème des cult bands, avec ceux des années 80 : Psychic TV, Death In June, Curent 93, mais elle s’intéresse surtout aux Rallizes Dénudés, des Japonais qu’elle qualifie de «first post truth rock’n’roll band». La main froide recommande froidement deux albums, mais attention, c’est à tes risques et périls. Elle se fend en outre de ses plus belles formulations pour chanter leurs louanges : «Think half-hour ‘songs’ of jet combustion-engine blitzkrieg, howitzer trails of phased guitar trampling to death the most moronic troglodyte three-note girl-group bass lines.» Elle bat largement Kriss Needs et Nick Kent à la course des formules sur-oxygénées. Pour en avoir testé quelques-uns, les albums des Rallizes sont parfois inaudibles. Mais uniques dans leur genre. Donc cultissimes. C’est l’apanage des alpages. Mais ce n’est pas fini, car la main froide t’attend au coin du bois : «Tout ce que je dis peut être vrai ou faux. Ça n’a pas vraiment d’importance. Si vous lisez ce book et que vous ne connaissez pas les Rallizes Dénudés, vous aurez sans doute envie d’y mettre le nez. Ne cédez pas à la tentation. Il n’en sortira rien de bon.» Toujours au chapitre des cult-bands, voici les Sun City Girls, «the three dumbest people in the Appalachian Mountains.» Louanges aussi de The Manson Family et Family Jams, «undeniably great record». Oh et puis Earl Brutus ! La main froide salue Jim Fry et son book, A Licence To Pop And Rock - An Inventory Of Attitude, dans lequel «il déclare avec clairvoyance que dans le monde of pop and rock, ‘sport is for cunts’. On ne l’a pas assez dit, aussi vais-je le répéter : sport is for cunts. One more time: sport is for fucking cunts.»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Ce chapitre cult-bands grouille d’infos, mais on s’étonne cependant de ne pas y trouver les noms des Starlings, des Earls Of Suave, des 1990s ou de Tery Stamp. Ou encore de Lewis Taylor. Ailleurs, la main froide attire l’attention de son lecteur sur la distinction entre cool et uncool. Elle prend un exemple : «Smog/Bill Callahan are cool; but to the real Freak, Smog/Little Bill Callahan are totally uncool. My Bloody Valentine and Spiritualized are cool but also really uncool.» Tu tournes la page et tu tombes là-dessus : «Prince. No one cool has ever liked Prince; if you like Prince, you are doomed.» Mieux vaut écouter Parliament ! Et plus loin, elle tombe sur le râble de Radiohead : «Radiohead are totally uncool/uncool.» Les Clash sont aussi à ses yeux uncool. Ces pages sont hilarantes, et la main froide dégomme au passage pas mal de lieux communs du rock, comme le fit en son temps Léon Bloy avec sa redoutable Exégèse Des Lieux Communs. Les médiocres tremblaient de peur lorsque Léon Bloy tirait son sabre du fourreau. La main froide, c’est pareil : lorsqu’elle s’abat sur la médiocrité du rock anglais, c’est avec tout le poids de la Main de Dieu d’Isaac Bashevis Singer. Plaf ! 

             Luke la main froide joue aujourd’hui le même rôle que John Lydon : celui d’empêcheur de tourner en rond. John Lydon donne encore de rares interviews, et ça reste un bonheur que de le lire. Sa verve est intacte et il n’a aucune pitié pour les cons. Luke et Lydon et Léon même combat ! La filiation est évidente, aussi évidente que la grande littérature est d’une certaine façon l’ancêtre de la rock culture. Disons pour faire simple que Léon Bloy est un pionnier, que Johnny Rotten est son héritier et que Luke la main froide reprend de flambeau avec brio. Ça te donne une belle trinité. Le père, le fils et le saint esprit, tu vois un peu le travail ? Tu peux relire Le Pal en écoutant «Bodies» et lire Freaks Out! en écoutant «Pretty Vacant» ou «Be-Bop-A-Lula», tout ça se tient merveilleusement. Luke la main froide redore le blason de l’excitation, et redonne du panache à la rock culture. Sous sa plume, celle-ci redevient vivante, grouillante, impertinente, délicieusement impubère, et enracinée dans la terre grasse de l’underground. Avec son book, Luke la main froide génère un enthousiasme considérable. S’il t’arrive de douter, de te dire par exemple, «à quoi bon tout ce rock, tous ces disks, tous ces concerts, tout ce blah blah blah», la lecture de ce book te remet en selle et tu repars, au tagada-tagada, frétillant comme jamais.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Et en prime, tu rigoles comme un bossu. Exemple. En mai 1974, les Sparks passent à la télé. La main froide voit son père réagir en voyant Ron Meal apparaître à l’écran. Il appelle sa femme qui est à la cuisine : «Joy, come in here. It’s bloody Adolf Hitler on Top Of The Pops!». Chez les Haines, on savait rigoler. Ailleurs, la main froide s’en prend aux panta-courts. Quand elle arrive à Glastonbury en 1993, la main froide est horrifiée de voir tous ses gens en panta-courts, les mecs des maisons de disques, du NME et même John Peel ! Oï ! Et quand son père le traîne gamin dans un match de foot, la main froide ne comprend pas qu’on puisse passer «90 interminables minutes à cavaler autour d’un sack of shit in the gloomy Portsmouth mud.»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             C’est encore avec brio que la main froide évoque la dernière utopie du genre humain, celle de Timothy Leary qui prêchait the «global psychedelic revolution». Il voyait une «cinquième dimension dans laquelle la banalité, le temps et l’espace seraient éradiqués.» Et pouf, voilà que John Lennon, grand adepte de Leary, pond «the somnambulist proto-Mandrax anthem, ‘I’m Only Sleeping’, and ‘Tomorrow Never Knows’, un hommage à sa lecture préférée, Timothy’s Leary’s Psychedelic Experience.» Et la main froide embraye sec sur l’implacabilité des choses de la vie, c’est-à-dire les Beatles : «‘Tomorrow Never Knows’ est un rare exemple d’outward-looking, future-seeking, free-falling, fifth-dimension Brit psychedelia, going to places few had dared to venture before.» Le chapitre s’intitule ‘The psychedelic dawn of Hank B. Marvin & The Shadows’, et dans le chapitre suivant, ‘How the Beatles ruined everything’, la main froide revient aux fondements de l’histoire du rock anglais, c’est-à-dire les Beatles - The Beatles went beyond cool, uncool, too cool, uncool in a groovy way. Ils sont allés jusqu’au sommet de l’Holy Mountain, ont jeté un regard vers le bas et... ont juste haussé les épaules - Et la main froide persévère : «Vous n’avez pas besoin de moi pour vous raconter l’histoire des Beatles. La plus grande histoire de toutes. Si vous avez besoin de moi, c’est pour vous dire que les Beatles - et ce n’est pas de leur faute - ruined all rock’n’roll for everyone. Ever.» Sa façon de dire : «Quoi que tu fasses, tu ne seras jamais aussi bon que les Beatles.» Elle ajoute plus loin que «les Beatles were the first mytical group in rock’n’roll», la notion de mystique en rock n’existait pas avant eux.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Un peu plus loin, la main froide rend hommage au Bolan de Zinc Alloy, c’est-à-dire la période Soul de Bolan, avec Gloria Jones, un Zinc «bien meilleur, wilder and weirder than similar contemporary white English-Honky-Boys-go-soul experiments, comme Bowie’s dry hump ‘Young Americans’ ou Ian Hunter’s ‘All American Alien Boy’.» Et ça qui vaut comme hommage suprême : «Marc Bolan est mort le 16 septembre 1977, à l’âge de 29 ans, dans un car crash, comme son héros Eddie Cochran. Just like Eddie.» Alors le sarcasme reprend le dessus dans la main froide : «Vieille plaisanterie d’école des années 70. Question : What was Marc Bolan’s last hit?. Réponse : A tree.» Dans sa foot-note, la main froide précise que la vanne est de mauvais goût, mais elle lui est restée en mémoire après qu’il l’ait entendue dans la cour d’école peu après l’accident. Pour rester dans le secteur des grands disparus, la main froide consacre un chapitre à Mick Farren et déroule son curriculum : «Mick Farren: ex-Deviant, almost Pink Fairy, UFO doorman, David Frost botherer, Germaine Greer beau and botherer, partner in crime to previous chapter anti-hero Steve Peregrin Took, White Panther, poet, solo act, International Times editor. NME punk flagpole hoister. Author.» Et son plus grand accomplissement : mourir sur scène au Borderline - On-stage dead - Et boom ça repart de plus belle dans l’éclate sidérale du Sénégal de London town : «Si Steve Peregrin Took was the Freaks’ Freak, alors Mick Farren was the Freak El Presidente, running around Ladbroke Grove agitating, facilitation, ‘freaktaiting’, man.» Alors la main froide essaye de se calmer en imaginant une petite hypothèse : «Si tu devais détruire toute ta collection de disques, et n’en garder qu’un seul, alors ce serait Mona - The Carnivorus Circus.» Mais en même temps, elle ne voudrait pas qu’on attribue trop de vertus commerciales à ce «mudslide of blurgh». Et ça continue dans la même veine : «De la même façon que les cons littéraires disent que tout ce qu’on a besoin de lire se trouve dans Ulysse, on peut dire la même chose de Mona, sauf que les cons du rock n’ont même pas écouté Mona.» Et la main froide, qui s’est spécialisée dans les petits coups du lapin en fourbasse, te balance ça, alors que tu te crois tiré d’affaire : «Il y a aussi une extremely low-slung and heavy version of ‘Summertime Blues’, and yes, read it here: it is better than Eddie Cochran’s original.» Comme son ancêtre Léon, la main froide ne perd pas son temps à secouer le cocotier, il préfère l’abattre à coups de hache.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Il était donc logique qu’elle passe ensuite à Hawkwind et au Space Ritual, «a hard rock prolapse of the mind on a fuck tonne of drugs.» Elle adore rappeler que la pub pour l’album indiquait : «90 minutes of brain damage» - Doubtless the most honest advertising campaign ever - Space Ritual est un festin de Freaks, pour la main froide - Sure, Lemmy was a speed freak, and topless-dancing petrol pump attendant Stacia was a Freak for real - et bhammm ! - Robert Calvert was of course the real Freak genius of Hawkwind imperial period (1969-79) - et comme dans sa column infernale, la main froide revient sur Captains Lockheed & The Starfighters, album cultissime - no half-measures classic - où l’on entend aussi Vivian Stanshall, Paul Rudolph, Twink, Steve Perrgrin Took (of course), Arthur Brown - Il faut toutes affaires cessantes réécouter «The Right Thing» que reprendra plus tard Monster Magnet. Et là tu touches le cœur battant du cosmos Haineux.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Elle consacre bien évidemment un chapitre à l’autre chouchou de service, Mark E. Smith & The Fall - The Fall’s 1980 compilation album Early Fall 77-79 really split my adolescent mind in two - Puis les albums qu’elle pouvait se payer, Live At The Witch Trial, Hex Enduction Hour, Totale’s Turns «utterly blew my tiny mind». Et voilà la confession du siècle : «The Fall helped make a Freak of me, helped me reach my true Freak potential.» D’où le book. La main froide salue aussi le génie de Mark E. Smith consistant à recevoir les louanges de la presse anglais avec un mépris inimaginable. Et voilà la chute de The Fall : «The Fall, ou pour être plus précis, Mark E. Smith, devint célèbre. De façon admirable, les albums devenaient de plus en plus étranges et se vendaient de moins en moins. And the... death. Et l’inévitable canonisation a suivi. Tu ne peux pas être à la fois un national treasure and a Freak.»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Nouveau coup de chapeau aux Australiens de London town, les Go-Betweens, et elle n’y va pas de main morte, la main froide : «The Go-Betweens were the greatest rock’n’roll band of the ‘80s - juste derrière (à mes yeux) the beloved Fall.» Elle qualifie ensuite Robert Forster de «first proper Freak I’d ever met.» Alors elle repart à la foire à la saucisse, cette fois, avec «le great rock’roll qui devrait être sharp and devastatingly funny : The Modern Lovers, late-period Velvets, Iggy, Big Jim Morrison, all funny as hell. The Go-Betweens on the Whistle Test was one of these.» La main froide explique qu’elle flashé sur «Apology Accepted», «a kind of Velvets’ circa 1970 New Age drone-age confessional». Elle chante bien sûr les louanges de Liberty Belle And The Black Diamond Express, et notamment d’«Head Full Of Steam», «not only a Go-Betweens’ 24-carat classic but an all-time classic.» Et de rappeler que dans les années 80, «Robert Forster et Grant McLeman were nothing less than rock’n’roll gods.» Elle va même jusqu’à les comparer aux Beatles, «with Grant as Paul and Robert as John. John the Freak.» - Robert Forster was a star. Polite, otherwordly, palpably a rock’n’roll star and most importantly: a Freak - Elle salue aussi bien bas Tallulah, «their London album». Rusée comme un renard, la main froide profite du chapitre australien pour saluer The Evening Visits... And Stays For Years des Apartments - it stayed on my record player for years

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Et puis voilà l’hommage funèbre «for my friend, Cathal Coughlan.» Elle rend hommage à «Cathal’s visionary and uncompromising artistic life.» Lors de leur première rencontre, la main froide lui vantait les mérites du génie de David Crosby, et Cathal l’écoutait poliment - We became firm and easy friends - et c’est là bien sûr qu’on plonge dans Microdisney et les Fatima Mansions. On en reparle.

     

    Signé : Cazengler, lancelot du Luke

    Luke Haines. Freaks Out! Weirdos Misfits & Deviants - The Rise & Fall Of Righteous Rock’n’Roll. Nine Eight Books 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - God save the Quinn

             En 1977, l’avenir du rock adorait promener son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais dans les rues de Chelsea, et notamment sur King’s Road. Il y croisait essentiellement des lycéens français en quête d’exotisme et de petites fringues à la mormoille. Ah comme ils avaient l’air godiches dans leurs petits blousons de cuir, leurs petits jeans et leurs petites boots à élastiques. Aussi caricaturaux que les touristes japonais qui eux préféraient traîner leurs savates du côté de Piccadilly Circus ou d’Oxford Street. Pour se distraire, l’avenir du rock en suivit deux qui semblaient un peu plus dégourdis. Ils se dirigeaient vers l’autre bout de l’avenue, là où se trouve Sex, le bouclard de McLaren. Ils passèrent une fois devant sans s’arrêter, firent demi-tour et passèrent une deuxième fois devant, en jetant un coup d’œil furtif à l’intérieur. C’est là qu’intervint l’avenir du rock :

             — Alors, les gaziers, vous n’osez pas entrer ?

             — Oh bah beuhhh...

             — C’est la grosse Jordan qui vous fout la trouille ?

             — Oh bih bahhhh...

             — Zavez vu, elle porte rien sous sa robe transparente. Belle moule, pas vrai ? Ça ne vous fait pas bander, les bibards ?

             — Oh bon bahhhh...

             — Au moins avec vous on ne s’ennuie pas, vous avez de la conversation !

             — Ah bah oui !

             L’avenir du rock s’émerveillait. Il n’avait encore jamais vu des kids aussi cons.

             — Hey les gazous, zécoutez quoi comme musique ?

             — God Save The Queen !

             — Pfff... N’importe quoi !

             — Ah bahh beuhhhh, alors c’est quoi qu’y faut écouter ?

             — God Save the Quinn !

     

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Heureusement qu’il est là, l’avenir du rock. Tout le monde pense à la Queen des Pistols, mais jamais au Quinn DeVeaux. Alors le voilà sur scène, et dès les premières secondes, tu te frottes les mains, car voilà ce qu’on appelle un showman au sommet de son art. God save the Quinn !

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

    T’es parti pour une heure de petit bonheur sidéral, celui qui te remplit bien la vie, celui qui te draine la cervelle, celui qui te remet l’équerre au carré et qui te réordonne la charité, oui, le petit bonheur sidéral de rien du tout, qui arrive de nulle part et qui te remplit comme une outre, ce petit bonheur sidéral qui t’arrache pour une heure à cette terre terne et à cette vie vile, à cette société sèche et à cette actu tue, le simple fait de voir un artiste aussi brillant et aussi inconnu, aussi black et aussi beau redonne du sens au sens, redonne vie à la vie, remet des touches de couleur dans le monochrome de la monotonie monitorée, le Quinn danse et chante comme le dieu Pan dans les vignes, alors tu le suis et en le vénérant, car au fond, tu n’es qu’un vieux païen. Grâce à Pan Quinn, tu renoues avec ton identité, avec ton anarchie inhérente, la vieille sève remonte en toi, la vie reprend vie, il suffit qu’un blackos chante et danse pour que le sens retrouve ses sens.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Mais attention, derrière lui se planque un gros voleur de show : le bassmatiqueur du diable, David Guy. Il bassmatique des six doigts, c’est-à-dire quatre + deux, et sonne exactement comme James Jamerson. Wow, c’est Jamerson en blanc, et quand on lui dit ça après le show, ça le fait rigoler de bon cœur. Il sait que Jamerson est le plus grand bassman d’Amérique. David Guy fait partie de gang des voleurs de shows, avec Dale Jennings qu’on vu agir derrière Say She She. Ces mecs n’ont aucune pitié. Ils volent sans vergogne. T’as un show petit black ? T’as plus de show, petit black. Baisé ! Dépouillé !

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

    Mais Pan Quinn a du métier, il entend le voleur groover son show jusqu’à l’oss de l’ass, alors il danse et chante de plus belle, il se surpasse, il groove les vignes et tout le reste, la vie, le sens, l’équerre, ta cervelle et ta charité à la mormoille, Pan Quinn résiste au fabuleux harcèlement de son voleur de show et du coup, le set prend une dimension spec-ta-cu-laire. Aurait-on imaginé voir un jour un spectacle d’une telle qualité en Normandie ? 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Le reste du backing-band est au même niveau, c’est-à-dire exceptionnel, des blancs comme les MG’s derrière Booker T, ou les Swampers derrière les Soul Brothers et Sisters qui venaient alors enregistrer à Muscle Shoals. Gratte, beurre, keyboards, ils sont superbes, alors pour le dieu Pan Quinn c’est du gâtö. Il tape une incroyable diversité de styles, ça va de la Nouvelle Orleans («Bayou») au heavy rumble («Take You Back»), en passant par le black rock («Holy») et l’hommage suprême avec «What’d I Say» qu’on connaît par cœur, mais dans les pattes de Quinn, ça prend une autre dimension.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             C’est avec «Been Too Long», le cut d’ouverture de Book Of Soul, qu’il attaque son set, un heavy groove de since you’ve been away. Puis il s’en va bourrer la dinde avec l’énorme «All I Need», beat énorme claqué  à la cloche de bois, qu’il tape dans la première moitié du set. Quinn chante d’une voix de gorge chaude, il plonge tous ses cuts dans une fantastique ambiance. On sent chez lui l’inconditionnel de Ray Charles et de Sam Cooke. Il a vraiment du génie, comme le montre encore «Think About You», les chœurs de blackettes intrusives tortillent le think about you, c’est une merveille d’équilibre en orbite groovytale. Quinn donne des leçons de Soul et de groove. Il te regroove «Gimme Your Love» à la cloche de bois. Tous ses cuts sont brillants, bien bourrés du mou. Il passe à la Good Time Music avec «Walk & Talk» qui sonne comme un sommet du genre. Big time groove ! Il est tellement à l’aise ! Il entame son chemin de croix avec «Take Me To Glory» et revient à la Nouvelle Orleans avec «Good Times Roll», tapé aussi en concert au débotté orléanais. Quelle énergie ! C’est battu sec et net. Quinn connaît toutes les ficelles du sec & net System. Son «Home At Last» est fabuleux de suspension académique. Il termine avec «Stay The Night» et y va au groove carnassier. C’est un véritable festival de pianotis et de poux killah derrière, final explosif, guitar kill kill et croon épais du Quinn.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Son meilleur album est sans doute Meklit & Quinn qu’il a enregistré en 2012 avec Meklit Hadero, une Éthiopienne. C’est globalement un album de covers extraordinaires, à commencer par l’«I Was Made To Love Her» de Little Stevie Wonder. Ils le prennent à la coule d’I was born in Newark, c’est incroyablement ralenti et ça coule tout seul au my baby needs me ! L’autre cover de choc est le «Stallite Of Love» de Lou Reed : pure et translucide. Ils font décoller le Satellite ! Ils tapent aussi l’«Electric Feel» de MGMT. Quinn le fait avec une classe indéniable. Un vrai coup de génie, salué par des trompettes et des chœurs de rêve. Sur «Slow», Meklit est tout simplement géniale. Quinn la révèle comme Chip Taylor a révélé Carrie Rodriguez. Ils passent au duo d’enfer avec «Look At What The Light Did Now». Ça groove à la trompette de Miles, ils mêlent leurs voix, ça groove dans l’air du temps, ça échappe aux genres, le Quinn chante d’une voix radieuse, à l’égal de Marvin et de Terry Callier. Imparable ! Shock full of groove ! Meklit entre dans la danse de «Saving Up» avec un tact éthiopien, et puis voilà l’hommage suprême : le «Bring It On Home To Me» de Sam Cooke. Le Black Power à son apogée. Meklit fait des yeah qui te foutent des frissons, ils prennent le Sam à l’aspiration d’espolette, c’est complètement overwhelmed de délicatesse, ils a-capellatent ça vite fait et bien fait.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Tu vas trouver quelques petites pépites sur Late Night Drive, à commencer par ce «Try» qui sonne comme du Terry Callier. Quinn gratte tout au rootsy de coups d’acou, il navigue en mode folky black. Même goût que Terry Callier pour le groove de jazz intrinsèque. C’est un son très adulte, très affirmé. Le morceau titre entre dans la même catégorie : tentateur, intègre et chaleureux. Sur cet album, Quinn se veut résolument country Soul. Vrai poids dans la balance. Il arrive là où on ne l’attend pas. Il gratte son «Sun & Moon» à la porte du paradis. C’est très inattendu, le Quinn est un black de haut vol. Il fait même de l’Americana avec «What The Heart Want». Il puise aux sources d’I want you in my bed. Magnifique black cat ! Encore une merveille avec «Good Thang». Le Quinn est le Johnny Adams des temps modernes, il y va au I know a good thang/ When I see her. Il sonne vraiment comme une superstar. Sur «Summer», sa gratte sonne comme celle de Nick Drake. Il dispose de ressources naturelles inépuisables. Et «Find» confirme ce que tu pressentais : le Quinn est un artiste complet : il a les chansons, le son, la voix et l’épais mystère du mysticisme. 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review enregistrent en 2011 un bel album de covers :  Under Covers. Sa passion pour la Nouvelle Orleans éclate au grand jour avec trois covers : le «Packin’ Up» de Chris Kenner (fantastique shoot d’I’m packing up et les chœurs font I’m packing up/ I’ve got enough), puis l’«I’m In Love Again» de Fatsy (Oh baby don’t you let your dog bite me, superbe !), et plus loin «They All Asked For You» des Meters (le Quinn sait mouiller ses syllabes, c’est stupéfiant d’avanie meteroïque). Ils tapent aussi deux shouts de Gospel batch, «Come & Go» et «Glory Glory». Le Quinn ne manque pas de rendre hommage à ses deux idoles : Sam Cooke avec «Good News» (fabuleux mambo de Lawd ain’t that news) et Ray Charles avec «Leave My Woman Alone» (gospel funk et chœurs de rêve). Coup de génie encore avec l’«All Night Long» de Spooks Eaglin, fantastique boogie de clameur énorme avec des chœurs de folles dans l’écho du temps. Alors attention, car les cuts ne correspondent pas au track-listing, au dos du digi. T’as vraiment intérêt à écouter les paroles.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Toujours avec The Blue Beat Review, il enregistre Originals en 2013. L’album vaut le détour pour deux raisons. Un, «Lil 45», très New Orleans dans l’esprit. Le Quinn chante avec des accents d’Eddie Bo. Fantastique allure de beat sec et net. Oh et les chœurs ! Des chœurs paradisiaques qu’on retrouve sur «Raindrops», la deuxième raison. C’est fantastique d’I miss you more today/ Than yesterday ! Le reste de l’album est très classique. Ça se banalise, dommage. Il a des trompettes New Orleans dans «Left This Town» et il repart du bon pied pour «How Many Teardrops». Pas de problème, le Quinn y va. «Hey Right On» est très caribéen. Il adore onduler dans les alizés. Jivy encore le «Lil Papa». Tout est jivy chez Quinn, c’est bien drivé au guitar slinging avec une accointance de piano.   

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Au merch, la petite black sort une bonne surprise : le nouvel album de Quinn qui vient à peine de paraître. Il s’appelle Leisure. Quinn s’y prélasse dans son hamac. Une merveille ! Ça grouille de puces, tiens, t’as «Holy» (Stonesy, atrocement balèze, cuivré sous l’horizon, il truffe son Southern rock de wild r’n’b, avec des breaks d’hyper haute voltige), et t’as aussi «You Got Soul» (fantastique drive de basse à la Spencer Davis Group, en pire, ça groove au raw to the bone, early in the morning baby/ You got Soul/ Late at night mama / You got Soul), t’as «Give Love A Try» (heavy slowah allumé pat le guitarring, très grosse allure de mix max), et t’as encore «Take You Back» (Quinn rock le groove au hard beat, Quinn est un fabuleux entertainer, avec des chœurs de jolis cœurs, ah elles sont craquantes !).T’as encore «Very Best Thing» (il attaque ça au big beat, avec l’incroyable ramalama du trombone fa fa fa). Il sait aussi taper la country Soul de Bayou avec «Little Bit More». Il se pourrait bien que David Guy soit derrière. Quinn devient avec cet album l’archétype du r’n’b moderne. Il revisite tous les gros classiques de la groove attitude avec un bonheur certain. Gawd save the Quinn !

    Signé : Cazengler, couenne de veau

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

    Quinn DeVeaux. Le 106. Rouen (76). 22 mai 2024

    Quinn DeVeaux. Meklit & Quinn. Porto Franco Records 2012 

    Quinn DeVeaux. Late Night Drive. Not On Label 2013  

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Under Covers. QDV Records 2011 

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Originals. QDV Records 2013 

    Quinn DeVeaux & The Blue Beat Review. Book Of Soul. QDV Records 2020

    Quinn DeVeaux. Leisure. Sofa Burn 2024

     

     

    Lauder de sainteté

     - Part Two

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Si l’on veut suivre à la lettre l’œuvre d’Andrew Lauder, Greasy Truckers Party fait partie des passages obligés.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

    Ce double album propose un concert enregistré à la Roundhouse en février 1972, avec à l’affiche, tous les chouchous d’Andrew Lauder : Man, Brinsley Schwarz et Hawkwind. Jamais vu Man en concert, mais quand tu écoutes les 22 minutes de «Spunk Rock», t’es content d’avoir échappé à ça. Rien de plus ennuyeux que ce type de presta. À quoi sert Man ? On les retrouve en B avec «Angel Easy». Ce sont des surdoués du free wheeling. Après la coupure de courant, on entend Brinsley Schwarz. Ils jouent avec l’air de ne pas y toucher. On sent chez eux un goût prononcé pour la good time music. Ils sont en plein dans le spirit californien, le gentil singalong. On les retrouve en C avec «Midnight Train». C’est vrai qu’ils sont top quality. Il faudrait peut-être y revenir. Virtuosic guitars ! Ils restent dans le rock relax d’obédience californienne avec «Surrender To The Rhythm». Et bien sûr, c’est Hawkwind qui rafle la mise en D avec deux énormités, «Master Of The Universe» et «Born To Go». L’early Hawk avait tellement d’allure ! C’est immédiatement riffé par Dave Brock et ça décolle. Il y a déjà tout le punk dans le son d’Hawk, ils chantent à plusieurs, ils sortent un son qui te dévore le foie, avec pas mal de spoutnicks et toujours cette rythmique infernale. Ah merci Andrew Lauder pour cette bonne aubaine. «Born To Go» sonne exactement comme un spaced out so far out embarqué sous le boisseau d’un heeeeeavy bassmatic. Comme c’est puissant ! Sidérant et voyageur à la fois, ils visent l’infini. 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

              Passage encore plus obligé, celui d’Hapshash & The Coloured Coat Featuring The Human Host And The Heavy Metal Kids, un Liberty de 1967 mythique à bien des égards, car on y entend Art, c’est-à-dire les Spooky Tooth, ET Guy Stevens, qui est non seulement un visionnaire, mais aussi l’initiateur du projet. Ça démarre en trombe avec «H-o-p-p-Why», une belle jam qui te renvoie aussi sec à Can. Effarant ! Même énergie. Mike Kellie et Greg Ridley tapent la rythmique du diable et Mike Harrison mêle sa voix dans l’Hapshash. Encore du groove d’Art dans «The New Messiah Coming 1985» et ça explose de plus belle avec le cut final, «Empire Of The Sun». Big Art sound. Très Can, Greg Ridley tape une grosse arrache de bassmatic, c’est du pur wild as fuck. Art c’est Can. Mike Kellie = Jaki Liebezeit.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Le deuxième album d’Hapshash & The Coloured Coat s’appelle Western Flier et sort deux ans plus tard. Plus du tout la même ambiance, car plus d’Art. L’invité cette fois n’est autre que Tony McPhee. Ils font un brin de Cajun in London town avec «Colinda» et on entend McPhee faire des miracles dans «Chicken Run». Il joue au long cours et double le chant. C’est mal chanté, mais on s’en fout, c’est Tony qu’on écoute. S’ensuit un «Big Bo Peep» encore plus mal chanté. Dommage. C’est Tony qui fait tout le boulot sur cet album mal fagoté. Rien n’accroche véritablement sur cet album prétentieux. On perd le Can du premier Hapshash. On gagne Tony McPhee même s’il n’est qu’en déco.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Dans Mojo, Andrew Lauder répond aux questions que lui pose Ian Harrison. Il indique surtout qu’il a eu beaucoup de chance, «tout tombait en place in a ridiculous manner.» En tant que musicien frustré, il dit qu’il aurait aimé jouer dans Brinsley Schwarz, Hawkwind et Dr. Feelgood. Quand il parle du spirit de United Artists qui lui laissait les coudées franches, le Mojoman lui demande si ce spirit existe encore. «Probably», dit Lauder, «chez Lawrence Bell from Domino, Geoff Travis (Rough Trade), Mute are still going, putting out records by Neu! and Can that I put out in the first place!» Et dans Ugly Things, il répond aux questions que lui pose Mike Stax, un Stax qui le qualifie d’«one of the most successful and impactful figures in the history of the UK record business.» Stax salue aussi le roi de la red que fut Andrew Lauder via Edsel et il cite des noms en rafales, chutant glorieusement avec «UT faves like Kaleidoscope, Moby Grape and Clear Light.» Mais c’est surtout le super fan que Stax a repéré.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Pour Andrew Lauder, ça démarre de bonne heure au pensionnat, avec les canards de l’époque et l’argent de poche pour acheter des singles, notamment des early Merseybeat singles (trois pour une livre, précise-t-il). L’interview démarre très fort sur la compile Merseybeat qu’a sortie Lauder en 1974, puis The Beat Merchants en 1977. Stax n’en finit plus de s’effarer sur le «My Babe» des Pirates et le «Bad Time» des Roulettes. Tu te marres à voir ces deux vieux fans s’extasier à répétition. C’est une interview d’une incroyable vivacité. Seul Stax peut provoquer de tels rushes d’hyper-fandom.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             C’est l’occasion rêvée d’écouter The Beat Merchants - British Beat Groups 1963-1964. Alors effectivement tu croises le «My Babe» des Pirates en tête de B, c’est vrai qu’elle fascine avec le solo de Mick Green. Le «Bad Time» des Roulettes est en tête de D, joli shout d’early Beatlemania. Mais ce sont les groupes proto-punk qui te piquent au vif, à commencer par les Zephyrs avec «I Can Tell», puis les Soul Agents en B avec «Let’s Make It Pretty Baby» (chanté au raw de rauque), puis les Beats Merchants avec «Pretty Face» (Fast proto d’excelsior, sur les traces des Pretties), et puis bien sûr les Downliners Sect avec «Baby What’s Wrong» (rien de plus protozozo que les Downliners, ils groovent toute la délinquance britannique). À ce stade des opérations, il est important de signaler deux choses : un, il faut choper toutes les compiles qu’a conçues Andrew Lauder. Et deux, la pochette du The Beat Merchants est un régal pour l’œil : un certain Tony Wright y dessine l’intérieur d’une boutique de disques et de guitares en 1963, en Angleterre, et un kid gratte des accords sur une Epiphone en faisant une moue d’élève appliqué : c’est criant de vérité et de tendresse, avec les mégots sur le parquet, et la gueule du tenancier derrière son comptoir avec son œil de verre. Au dos, tu vois la boutique de l’extérieur. Wright a même dessiné les pochettes de disques de l’époque, les Beatles, Bo Diddley & compagnie, et à l’extérieur, le nez collé à la vitrine, tu as un kid encore plus jeune qui observe la scène. Du coup, te voilà avec un objet parfait dans les pattes : contenu comme contenant. Merci Andrew Lauder ! Et tu as un peu plus de 40 titres sur les 4 faces ! Cover demented de «Roadrunner» par Wayne Fontana & The Mindbenders, puis tu as le mythique «Poison Ivy» des Paramounts qui vont devenir bien sûr Procol Harum. Grosse cover encore du «Got My Mojo Working» par les Sheffields (raw to the bone, singer énorme), cover toujours avec «Roll Over Beethoven» par Pat Wayne & The Beachcombers, et au bout de la B, t’as le «Sick & Tired» des Searchers live au Star-Club - Oh baby whatcha gonne do ! - Cover encore d’«Oh Yeah» par The Others, presqu’aussi bonne que celle des Shadows Of Knight. Côté découvertes, t’es nanti avec Keith Powell & The Valets («Too Much Monkey Business», fantastique présence vocale, avec du rap dans les breaks) et Earl Preston & The T.T’s (cover de «Watch Your Step», hotte as hell). Ce sont les Pirates qui referment la marche avec «Casting My Soul» qui préfigure Dr Feelgood. Tout Wilko vient de là. Mais il y a encore des tas de choses, comme si Andrew Lauder avait réussi à rassembler tout le creap of the crap : Dave Berry & The Cruisers, The Redcaps, Mickey Finn & The Blues Men, cette compile n’en finit de plus de souligner la qualité de la scène anglaise de cette époque.  

             Et ça s’accélère lorsqu’Andrew raconte à Stax son arrivée à Londres, avec son frère. Il passe par hasard dans Denmark Street et voit toutes ces vitrines bourrées de Fenders, de Gibsons, de sheet music des Pretty Things, c’est encore plus fou que dans le book. L’émerveillement du jeune Andrew vaut bien celui d’Uncle Sam qui roule dans Beale Street à 3 h du matin pour la première fois. Et le lendemain, Andrew commence son porte-à-porte armé d’un guide London A to Z. Il fait deux adresses, chou blanc, puis entre chez Southern Music au bon moment : un comptable vient de partir aux Indes, alors Andrew tombe à pic. Il est dans le temple des Pretty Things sheet music. Son boss lui dit que la porte, là derrière, conduit au studio en sous-sol, et le premier musicien que voit Andrew, c’est Clem Cattini, le batteur qui joue sur «Telstar» et «Shaking All Over». Andrew n’est à Londres que depuis 15 heures ! - Tout tombait en place in a ridiculous manner - Et dans le studio sous des pieds, les Artwoods ont enregistré le fameux «Sweet Mary» qu’il avait demandé à sa mère de lui ramener de Newcastle - At that point, I thought, this is science fiction! - Stax parle lui de sérendipité. Andrew va rester chez Southern Music un an et demi. Il devient pote avec les Artwoods auxquels Stax consacre vingt pages dans le même numéro d’Ugly Things. Puis il évoque Jeff Beck qui vient de rejoindre les Yardbirds, puis les Who qu’il voit au Marquee - I was blown away - Mais il ne voit pas les Pretties, qui voyagent alors un peu partout, Nouvelle Zélande, Suède et surtout, nous dit Andrew, Hollande - En 1964 ils jouaient tout le temps au 100 Club, mais en 1965 ils ont littéralement disparu - Le seul soir où ils passent au 100 Club, en 1965, Andrew n’a pas un rond. Il va se rattraper un peu plus tard, lorsqu’il fera bosser Dick Taylor sur le premier album d’Hawkwind, «and a group called Cochise as well.» Stax le relance sur Dick, alors Andrew précise que c’est Doug Smith, le manager d’Hawkwind, qui a choisi Dick Taylor. Et crack, il sort toute l’histoire de Clearwater, l’agence de Doug Smith qui manageait aussi Trees, Skin Alley et The Entire Sioux Nation, le premier groupe de Larry Wallis.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Et c’est à ce moment qu’en tant qu’A&R de Liberty, il signe High Tide, un quatuor psycho-psyché londonien dont le premier album, Sea Shanties, défonça en 1969 la rondelle des annales. Alors attention, High Tide s’adresse aux amateurs de prog. Disons que leurs deux albums sont proggy, mais solides. Proggy, mais avec du caractère, comme le montre le «Futurist’s Lament» d’ouverture de balda. C’est bardé de barda. On croit entendre la prog des cavernes. Tony Hill est un guitariste féroce, et même carnassier. On n’entend que lui dans tout ce bazar, même si parfois Simon House vient mêler son violon à ses virées pouilleuses. Tony Hill est un bon, il a de la suite dans les idées. «Death Warned Up» est un shoot de Mad Psychedelia avec du power. Même dans les cuts plus calmes, on entend des petites flambées de violence. Retour à la Mad Psyché avec «Missing Out». Tony Hill devient même assommant. Il supervise tout. Il est puissant mais sournois. On se demande parfois à quoi sert le prog quand ça dure trop longtemps. Les High Tide sont un peu les Don Quichotte du rock. Ils font du prog en armure, montés sur des ânes. «Regardez comme je joue bien.»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             L’année suivante parut un deuxième album sans titre d’High Tide. Ils nous re-servent le même cocktail de mic mac avec le violon de Simon House toujours en interconnexion avec les terminaisons nerveuses de la Marée Haute. C’est très expressif, très emballé et très pesé. C’est entêtant, même quand on n’aime pas trop la proggy motion. Il n’empêche que Tony Hill est un sacré virtuose, il cavale bien sur l’haricot de «The Joke». On s’attache, fatalement, même si patacam-patacam sur le lac gelé. Un méchant bassmatic plaque «The Joke» en son centre. C’est un vrai dévoreur de vésicule biliaire. Tony Hill est un fou, un évaporé, un coureur de jetons, un organisateur de voyages soniques sur fond de bassmatic. Ces mecs croisent le fer à l’ancienne. Tony Hill se livre à des exercices de haute voltige, et ça proggue dans les brancards. Simon House n’est jamais loin, avec son clavier. Le bassmatiqueur s’appelle Peter Pavli. Mais bon, ça reste du prog seventies, en dépit d’indéniables qualités. Simon House voyage bien dans le cut, son violon se fond dans l’unisson d’un certain saucisson, ça s’arrête et ça repart, c’est fait de tout petits riens, ils sont plus forts que le Roquefort et ça se termine en mode singalong. Ça dure 14 minutes, mais au bout de dix minutes, tu laisses pisser le Mérinos.

             Andrew ajoute qu’il a aussi fait trois albums avec Cochise et Dick Taylor, et les deux albums de Captain Lockheed & The Starfighters. Il rappelle qu’il ne signe que les groupes qu’il adore, comme Hawkwind et les Groundhogs. Puis il presse les cinq premiers singles Stiff pour aider Jake Riviera.  

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Comme son mentor Guy Stevens, il a craqué en son temps pour le son de la Nouvelle Orleans, et le small label Minit en particulier. C’est à lui qu’on doit cette belle petite compile, 33 Minits Of Blues And Soul, parue en 1968. Il signe aussi les liners au dos. Deux coups de génie sur cette compile : Homer Banks avec «Hooked By Love» et les O’Jays avec «Working On Your Case». C’est lui, Homer, le crack de Minit, avec Bobby Woamack, dont le «Trust Me» accroche bien. Mais ce sont les O’Jays qui raflent la mise. C’est du très haut de gamme. Avec «I’ll Never Stop Loving You», Clydie King est déjà bien en place. On sent bien la vétérante de toutes les guerres. L’ex-Raelet duette aussi avec Jimmy Holiday sur «We Got A Good Thing Goin’», mais ça reste trop groovy. Pourtant très présents (deux cuts chacun), Jimmy Holiday et Jimmy McCracklin ne convaincront pas. Sans doute un problème de prod. Pas de son. 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             En 1998, Andrew Lauder sortait sur son label Cello un compile de blues complètement fascinante, Expressin’ the Blues - Reconstructed History Of The Blues. Très haut niveau compilatoire, d’autant plus haut que les compilés sont quasiment tous inconnus au bataillon. L’underground du blues pullule de fontaines de jouvence. À commencer par Capt. Luke et sa cover de «Rainy Night In Georgia». Beau baryton plein de jus, idéal pour rendre hommage à Tony Joe White. Et si tu en pinces pour le primitif, alors écoute Marie Manning et «Hard Luck & Trouble», un fabuleux shake de blues, claqué des mains juste à côté de toi, elle chante à l’arrache de juke. Encore mieux, voilà Macavine Hayes et «Let’s Talk It Over». Macavine est héroïque d’heavy primitivisme. Il incarne tout le concept de l’édentée et de la cabane branlante. C’est le real deal. Encore plus fantômal que Skip james, voilà Preston Pulp et «Careless Love». Retour en force au primitivisme avec Cootie Stark et «Metal Bottom», fantastique boogie antediluvien, big bad sound claqué en bord de caisse. Énorme drive. Pur genius ! On retrouve aussi Robert Wolfman Belfour et «Black Mattie», un pur et dur du primitivisme. Il te gratte ça à l’arpège. Quant à Rufus McKenzie, c’est un fou ! «Woopin’ The Blues» ? Encore pire que Skip James, ça ne dure pas longtemps, mais quel big wail ! 

    Signé : Cazengler, Andrew Lourdaud

    Greasy Truckers Party. United Artists 1972 

    The Beat Merchants - British Beat Groups 1963-1964. United Artists 1977

    Hapshash & The Coloured Coat. Featuring The Human Host And The Heavy Metal Kids. Liberty 1967

    Hapshash & The Coloured Coat. Western Flier. Liberty 1969

    High Tide. Sea Shanties. Liberty 1969

    High Tide. High Tide. Liberty 1970

    33 Minits Of Blues And Soul. Minit 1968

    Expressin’ the Blues. Reconstructed History Of The Blues. Cello Recordings 1998 

    Mike Stax. Andrew Lauder’s Happy Trails. Ugly Things # 64 - Winter 2023

    Andrew lauder. Rock’n’Roll Confidential. Mojo # 355 - June 2023

     

     

    Cale aurifère

     - Part Two

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Viré du Velvet, John Cale entend pourtant rester dans la légende. Il reprend donc son envol en devenant producteur. Et quel producteur ! Il va ajouter de la légende à la légende.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Une compile Ace documente bien cet envol : Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Si on la fait marcher avec la deuxième partie de What’s Welsh for Zen, on re-bascule dans l’incandescence, on entre à nouveau dans une foire aux superlatifs. Ce début de carrière est un étourdissement. On risque à chaque instant la commotion cérébrale : Nico, les Stooges, les Modern Lovers, tout va de pair, tout va bene, tout va à tout-va.

             C’est Jac Holzman qui propose à John Cale de produire Nico - The first golden opportunity - John dit qu’il a produit, composé et joué sur quatre de ses albums, dont le premier, Chelsea Girl, produit par Tom Wilson. C’est là-dessus qu’on trouve l’«I’ll Keep It Mine» qu’offrit Dylan à Nico. Calimero ajoute que Chelsea Girl est l’album le plus accessible de Nico, et celui sur lequel il n’est pas le plus présent. Calimero n’a composé que «Winter Song» et «Wrap Your Troubles In Dreams», et co-écrit deux cuts avec le Lou et Sterling, «Little Sister» et «It Was A Pleasure Then». Lou et Sterling ont écrit le morceau titre.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             «Chelsea Girls» (avec un s, contrairement au titre de l’album) est un ensorcellement, un cut très Velvet dans l’esprit, c’est-à-dire anti-conventionnel, beau mais insolent, et c’est surtout une fabuleuse drug song - Dropout, she’s in a fix/ Amphetamine has made her sick/ White powder in the air/ She’s got no bones and can’t be scared - On sent la patte du Lou et du Walk On The Wild Side. Et puis voilà l’excellent «I’ll Keep It With Mine» gratté à coups d’acou, soutenu par des violons, pur jus Dylanex. Qu’existe-t-il de plus mythique qu’un cadeau de Dylan chanté par Nico ? T’es vraiment content d’avoir cet album dans les pattes. Par contre, elle chante certains cuts à l’accent malade de Berlin («These Days»), mais c’est presque beau, on sent une volonté de beauté virginale. Elle finit par te hanter la calebasse avec le «Little Sister» signé Lou & Cale, même si elle flirte avec l’esprit harmonium qui finira par la rendre insupportable. Elle adore grincer dans les ténèbres. Elle refait du Velvet avec «It Was A Pleasure Then», elle plane comme un vampire sur l’esprit du Velvet, c’est très avant-gardiste, co-écrit par Lou & Cale, très anti-commercial, gorgé de bruits incertains et de feedback. Elle exagère ses graves germaniques. Il est évident que son grain de voix a fasciné Andy, elle est baroque dans l’âme, elle ramène toute la profondeur séculaire des Chevaliers Teutoniques dans sa verve glacée, d’où cette résonance si particulière dans l’univers frivole de la Factory. C’est dingue comme elle est glacée. Diva teutonique  ! Ses accents te glacent les sangs. Dans «Wrap Your Troubles In Dreams», elle est suivie par la flûte de Fellini, pour lequel elle a tourné. C’est un monde étrange d’art total. Elle pose son chant sur l’autel pour le sacrifier. Elle fait bien le lien entre le Velvet et le cinéma. Elle ne te laissera jamais indifférent. Jamais. 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Calimero dit qu’il passe son temps à se battre avec Nico en studio - We always had fights, physical at times - Et puis à la fin, Nico pleure devant tant de beauté, car certains cuts sont éblouissants - The crying-fighting business happened on every project we did together - C’est grâce à aux arrangements qu’il écrit pour The Marble Index que John Cale va devenir producteur pour le compte d’Elektra. Frazier Mohawk produit The Marble Index, Cale signe les arrangements. Bon, l’album reste du Nico, avec un son bien germanique et bien glacial. Un album de Nico, ça s’explore. Quand tu explores, tu trouves parfois des mines d’or («Evening Of Light») et d’autres fois des peaux de banane. Calimero ramène toute son énergie avant-gardiste dans ce prodigieux tas de mormoille. Avec «No One Is There», elle ne fait pas du Velvet, mais de l’anthropologie vénale. C’est violonné à l’aube des temps, elle pousse sa supplique dans un désert glacé. Elle est très teutonique. Ça ne pouvait que plaire à un Gallois. «Ari’s Song» est flûté dans l’esprit de Fellini, noyé dans un brouillage de piste intense, elle y va au sail away my little boy, elle s’égare dans un entre-deux d’infra-sons, c’est trop avant-gardiste. T’as du mal à entrer dans son weirdy weird, Calimero en rajoute une caisse et Frazier Mohawk valide tout. C’est vrai que Jac Holzman s’est lancé dans de drôles d’aventures : Nico, et puis Jobriath qu’il a regretté. Si un violon grince dans «Julius Caesar», il ne peut s’agir que de Calimero. Nico finit par établir une sorte de statu quo entre la beauté et l’étrangeté, et le violon n’en finit plus de tournicoter autour du chant. Nico s’établit quelque part entre le rêve et la réalité. Elle semble planer comme une brume matinale en Sibérie. Tout est figé dans un air glacial.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Tu grelottes encore sur Desertshore. Malgré le titre, aucun espoir de réchauffement climatique. «Janitor Of Lunacy» est bien chargé de glaçons. Calimero se régale. Le joli son de «My Only Child» résonne dans l’écho du temps. Et c’est Ari qui chante «Le Petit Chevalier». On entend bien sûr le violon de Calimero dans «Abschied», et il joue du piano magique dans cette merveille qu’est «Afraid». Avec «All That Is My own», Nico plonge dans des temps très reculés. 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

          Puis Calimero se lance dans une carrière solo avec Vintage Violence - Basically an exercice to see if I could write tunes - Il se masque le visage avec un bas nylon pour la pochette. Il cite une critique d’Ed Ward dans Rolling Stone, disant que Vintage Violence «sounds like a Byrds album produced by Phil Spector, marinated for six years in burgundy, anis and chili peppers.» À l’époque, on a revendu l’album, puis rechopé au hasard des bacs. Il démarre en mode heavy avec «Hello There». C’est fantastiquement bardé de barda. Il faut voir la photo de Calimero au dos de la pochette, torse nu avec des bretelles. On sent le Gallois prêt à en découdre. «Songs are simplistic», dit-il dans Zen. Il baptise son groupe Penguin. Attention, il a Harvey Brooks au bassmatic et Garland Jeffreys à la gratte. Il commence à dégager de la majesté avec «Please». Tout est très spécial, très solide et très attachant sur cet album. Avec «Amsterdam», il revient à son chant de Guernesey, face à l’océan, puis il challenge la pop à outrance avec «Ghost Story». Il y a du souffle, et pour finir, il lève une tempête de shuffle d’orgue.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Oh et puis voilà les Stooges. Calimero accompagne Danny Fields à Detroit pour les voir sur scène - I fell in love with the Stooges, and so I produced them. Je dirais que les Stooges et Patti Smith were the two biggest challenges I’ve ever had as a producer - Il fait un portrait extraordinaire d’Iggy - Iggy was just normal. He certainly wasn’t unhappy - À ce stade des opérations, il est nécessaire de mettre le nez dans la compile Ace/Big Beat épinglée plus  haut : Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Neil Dell et Mick Patrick ont choisi «I Wanna Be Your Dog» pour illustrer l’épisode Stoogy. On sent la patte de Calimero dans le son, ça sort des ténèbres, avec l’arrivée du beurre - So messed up/ I want to feel - Iggy + Calimero = Boom de we’re gonna be face to face. On entend le piano de Calimero au fond du son. C’est le mix original. La compile s’ouvre sur «Venus In Furs», et le pur éclat d’une œuvre d’art. Le son + le Lou + le Shiny shiny shiny boots of leather, ça te donne l’équation fondamentale. Les liners nous rappellent que l’ingé-son était le mec de Scepter Records, John Licata, mais c’est Calimero qui produit. Troisième bombe avec l’«In Excelsis Deo/Gloria» de Patti Smith - Oh she looks so good - C’est vrai qu’elle est fabuleuse. Elle fait partie des «trucs de base» - Shaman, poet, beat, musician, singer, writer, activist, outsider - Elle fait de l’incantation et Horses reste il est vrai l’un des plus beaux debut albums - Cale was the only possible choice for producer - mais Patti se plaint de lui, elle voulait un «technical person, instead I got a total maniac artist.» Les liners s’emballent avec «Gloria» - a transcendental, transgressive, hallucinatory religious/sexual experience in just six minutes. Pop music could  never be the same - Et sur l’«Afraid» de Nico, on capte la beauté pure du piano de Calimero. Nico vient de se faire virer par Elektra et c’est Joe Boyd qui la sauve en imposant Calimero comme producteur de Desertshore. Pur, car pas d’harmonium. Puis on replonge dans les cuts mythiques avec le «Pablo Picasso» des Modern Lovers. C’est heavy, bien mythique, bardé de freakout de poux - raw, abrasive and lyrical qualities - Puis Big Beat déterre Harry Toledo & The Rockets et «Who Is That Saving Me», un heavy rock hérissé de guitares sauvages. Dans les pattes de Calimero, ça ne pouvait être que sauvage. Puis la compile dérive sur des trucs d’un intérêt plus limité (Marie & les Garçons, Squeeze). Par contre on accueille à bras ouverts le «Kuff Dam» des Happy Mondays. On sent le souffle dès l’aéroport, avec Shaun Ryder qui entre dans le chou de Madchester. On entend même du punk atroce au fond du groove. Calimero a réussi à capturer leur live energy. Plus loin, on croise Jesus Lizard et «Needles For Teeth», avec une basse qui sonne comme une dent creuse. C’est à la fois instro et intestinal. Prout prout. Calimero doit adorer ça. Puis il va aller se vautrer dans la pire des mormoilles avec Lio et «Dallas». Le voilà dans Star Academy. Pire encore avec Siouxie et «Tearing Apart», et le coup du lapin arrive avec l’insupportable «Spinnig Away» tiré de Wrong Way Up, cet horrible album electro qu’il enregistra avec Eno.

             En 1971, John Cale quitte New York pour s’installer en Californie. Il dit attaquer la pire période de son existence, basculant «in a cocaine-filled haze that quickly corrupted my life into its worst point.» Comme tout le monde à l’époque. John Cale bosse pour Warner Brothers, avec une élite constituée entre autres de Lenny Waronker, Ted Templeman, Russ Titleman et Van Dyle Parks. Mais il revient inlassablement sur LA - LA is coke central and things spiralled out of control in my life too - Il ne peut rien gérer, ni avec Cindy sa femme, ni avec Warner Brothers, ni avec lui-même - I was drinking and drugging to numb myself.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Et voilà qu’il enregistre l’un de ces albums parfaits dont il a le secret : Paris 1919. Il parle de paroles nasty planquées derrière des sweet melodies. Il est accompagné par Lowell George et Richie Hayward de Little Feat, qu’il a rencontrés via Ted Templeman, et le West Coast jazz sawman Wilton Felder, «for a collection of eclectic valedictory laments for a culturally vanishing Europe». Il ajoute, narquois : «Paris 1919 was about history in the way Mercy is about religion. The nicest way to say something ugly.» C’est en fait un album éminemment littéraire qui montre à quel point Calimero échappe au rock, il suffit d’écouter «Antartica Starts Here» en bout de la B des Anges pour comprendre que Paris 1919, ce sont les Impressions d’Afrique du rock, c’est-à-dire un au-delà du genre - Beneath the magic lights that reach from Barbary to her - Il chante en lousdé littéraire, accompagné par une basse et un piano. L’album recèle en son sein trois pure Beautiful Songs qui comptent parmi les joyaux de la couronne : «Hanky Panky Nohow» (une merveille insidieuse qui dérive au nothing frightens me more than/ Religion at my door et qui te hantera jusqu’à la fin des temps), «Andalucia» (gratté à coups d’acou avec les bruits de glissés, Calimero y va au needing you/ Taking you/ Keeping you/ Leaving you et éclot en chou-fleur baroque avec un I love you préraphaélite), et «Half Past France» (où on assiste au fantastique développement des harmoniques au take your time de we’re so far away/ Floating in this bay. Calimero y fait en plus son misanthrope - People always bored me anyway). Ailleurs, il chante «The Endless Plain Of Fortune» d’une voix chargée de mélancolie bien grasse, il passe au mighty boogie rock avec «Macbeth» et se livre à un fantastique déballage de you’re a ghost la la la dans le morceau titre, le plus baroque de tous, soutenu par une section de cordes et bien sûr il nous fait le coup des Champs Élysées. Il n’oublie pas sa chère calypso, comme le montre «Graham Greene», qu’il enrichit d’un refrain enchanté de welcome back to Cipping and Sodbury. Paris 1919 compte parmi les chefs-d’œuvre du XXe siècle.

             Il enregistre quelques démos avec les Modern Lovers, avant qu’un contrat ne soit signé - Mais à la minute où Jonathan a signé, he immediately went on self-destruct - Les démos vont paraître sur Beserkley. Et en 1973, John Cale entre en studio avec les Modern Lovers pour le compte de Warners, et ça tourne aussitôt en eau de boudin. Pour John Cale, il est évident que Jonathan ne veut pas du succès. On retrouvera une belle cover de «Pablo Picasso» sur Helen Of Troy.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Calimero bosse avec Eno sur «Gun», qu’il voit comme une espèce de «Sister Ray» avec des passages de guitares qui renvoient à «I Heard Her Call My Name». On trouve cette merveille sur Fear, premier album de la fameuse trilogie Island. À l’époque, ces trois albums causèrent dans nos rangs une légère déception. Le problème venait du fait qu’on attendait une suite au Velvet et Calimero proposait autre chose. En studio, en plus d’Eno, il a Phil Manzanera et Richard Thompson. «Fear Is The Man’s Best Friend» est très Paris 1919. C’est excellent, il enfonce son clou dans la paume du Man’s best friend. Il drive encore une mélodie très Paris 1919 dans «Buffalo Bullet» et passe à la samba avec «Barracuda». Il revient encore à son cher Paris 1919 en bout de balda avec un «Ship Of Fools» très beau et très Calé. Mais c’est «Gun» qui te cueille au menton de l’autre côté, voilà un classic sludge bien sonné, un heavy coup de génie avec Manza et Eno, plus Calimero au bassmatic. Nous voilà de retour au cœur du Velvet. «Gun» est balayé par du killer killah de Manza, et Calimero pose sa voix sur le beat de Moloch. Il est effarant de grandeur. Alors oui, «Gun» forever. On trouve encore de la belle ouvrage à la suite avec «You Know More Than I Know», pur jus de Paris 1919, et bien sûr «Sylvia Said», l’une de ces Beautiful Songs dont Calimero a le secret. Fear est un grand album.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Plus tard, Calimero va revenir en force sur l’aspect conceptuel avec Music For A New Society - Je cherche à ramener les éléments à leur dénominateur commun et voir quelle tension peuvent générer ces éléments distincts. C’est ce que j’ai essayé de faire avec New Society. Ça avait marché avec le Velvet Underground - Il reconnaît que c’était «un album sombre, mais il n’était pas fait pour pousser les gens à sauter par la fenêtre - Ils n’auraient pas sauté, de toute façon - Ils n’achetaient même pas l’album. Music For A New Society was my best-received record ever, mais il ne s’est pas vendu. Et je voulais vendre des disques, je me fous des éloges, elles sont tout juste bonnes pour ma pierre tombale. John Cale - Va-va-voom.» Il ré-enregistre les cuts de Music For A New Society sur M:FANS en 2016, alors autant écouter M:FANS. Deux coups de génie particulièrement féroces guettent l’imprudent voyageur : «If You Were Still Around» et «If You Were Still Around (Reprise)». Attention, Calimero nous plonge dans sa friture. Il te prend littéralement pour une frite. Il est complètement barré dans ses élégies, il est le Malher du rock, il vise l’absolu des étendues. Il faut le voir monter son Still around là-haut, puis l’écraser dans une zone de drone mortel, serait-il le Malher du bonheur ? Et cette façon qu’il a d’écraser la beauté des paysages de Caspar David Friedrich au fond d’un cendrier en acier ! Il y revient dans la Reprise, il remonte son Still around là-haut, c’est du haut niveau surélevé, il tarpouine sa pureté mélodique dans le chaos des machines, il cherche la lumière désespérément, comme un Edmond Dantès qui creuse son tunnel au château d’If, quel puissant Gallois ! Ailleurs, il végète dans les herses du rock electro, il est la seule créature vivante dans cet univers de machines incroyablement agressives qu’est «Taking Your Life In Your Hands». Avec «Thoughtless Kind», il rappelle qu’il adore le beat des forges et les fumées du Creusot. On sent le fil de mineur, le goût de la pelle et des coups de pioche, le goût de l’âpre. En fait, il adore l’electro à la mormoille, il faut voir les tartines ! Calimero est un robot ? Va-t-en savoir. Le Cale sci-fi finit par te fatiguer. On se croirait dans un mauvais roman de Philip K. Dick. À ce petit jeu, Hawkwind est bien plus balèze.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             L’enregistrement de Songs For Drella ne se passe pas très bien. C’est le moins qu’on puisse dire. En studio, le Lou fume et envoie sa fumée au visage de John Cale, «knowing full well that I hated it». Rétrospectivement, John Cale voit cet album avec horreur. Quand il demande au Lou s’il a encore besoin de lui, le Lou lui dit de dégager. Ça ravive les mauvais souvenirs du Velvet. Calimero affirme que jamais le Lou ne s’est assis face à lui pour lui parler franchement - Lou always, always used other assassins - Il n’empêche que Songs For Drella est d’une certaine façon le cinquième album du Velvet. Dès «Style It Takes», t’es dedans - ‘Cos I get the style it takes - Ils se fondent tous les deux dans leur vieux Velvet. Avec des relents de «Walk On The Wild Side». Même chose avec cet «Images» noyé de disto, cut wild & littéraire, comme tout dans le Velvet, on entend même le violon, alors t’as qu’à voir ! Ils recréent la tension mythique des deux premiers albums du Velvet. Sur «Open House», le Lou chante comme un dieu. Il est dans son élan Transformer - Fly me to the moon - Puis c’est l’hommage fondamental à Andy avec «Trouble With Classicists» que chante Calimero - I like the druggy downtown kids who spray paint walls and trains/ I like their lack of training/ Their primitive technique - Seul Calimero pouvait taper un cut aussi warholien. Encore un cut purement warholien avec «Slip Away (A Warning)», on recommande à Andy de fermer les portes de la Factory, mais Andy dit non, où vais-je trouver l’inspiration ? - If I close the factory door/ And don’t see those people anymore/ If I give in to infamy/ I’ll slowly slip away - On voit aussi Calimero charger la barcasse d’«It Wasn’t Me». Il orchestre à outrance. Toujours pareil : c’est une question de carrure d’épaules. Dans «I Believe», le Lou raconte l’attentat de Valerie Solanas qui prend l’elevator jusqu’au 4th floor pour aller buter Andy. C’est violent. Pareil, on retrouve the bullet dans «Nobody But You» - I’m still not sure I didn’t die/ And if I’m dreaming I still have bad pains inside/ I know I’ll never be a bride/ To nobody like you - Et ça se termine sur l’effarant «Hello It’s Me» que chante le Lou. Il est tout de même gonflé le Lou, car il a viré Andy à l’époque du Velvet - Andy it’s me/ Haven’t seen you in a while/ I wished I talked to you more when you were alive - Pas de plus bel hommage - I really miss you/ I really miss your mind/ I haven’t heard ideas like that for such a long long time - Coup de génie faramineux.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             John Cale a aussi de gros ennuis relationnels avec Eno sur Wrong Way Up - Risé, Eden et moi sommes allés deux semaines nous reposer aux Caraïbes, mais les plaies infligées par Songs For Drella et Wrong Way up suppuraient. Pas de chance. Pourtant un trouve une belle énormité velvetienne sur Wrong Way Up : «In The Backroom». Calimero réussit l’exploit de chanter comme le Lou, avec le même cérémonial new-yorkais. C’est prodigieusement orchestré, très weird, très flatteur. Mais globalement, l’album laisse un peu à désirer. «One Word» sonne comme de l’Étienne Daho. Gloups ! Ou plutôt berk. Calimero réussit à sauver «Empty Frame» du désastre en l’embarquant sur un mid-tempo accompli. On entend même des échos de Beach Boys dans les remous du fleuve pop. Puis l’album s’en va à vau-l’eau dans la new wave. Comment peut-on tolérer des cuts comme «Spinning Away» et «Footsteps» ? T’en as un qui vient du Velvet et l’autre de Roxy, alors pourquoi font-ils de la daube ? Au fil des cuts, l’album devient catastrophique. Calimero et Eno se prennent pour des jeunes rockers déguisés en gravures de mode, ils tentent encore de sauver l’album avec «Crimes In The Desert», mais bon, ça va, laisse tomber. 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Et puis voilà la fameuse reformation. Mal barrée, en raison du vieux contentieux entre le Lou et Sterling, qui lui en veut toujours de l’avoir forcé à aller annoncer à John Cale qu’il était viré du Velvet, SON groupe. Calimero rappelle aussi qu’un soir, en concert à Bologne, en Italie, il jouait l’intro de «Waiting For The Man» au piano et le Lou a dit au mec du son de couper le piano - At that point I was ready to knock his teeth down his throat. Il devenait de plus en plus étrange and I couldn’t deal with that - À la fin de tournée, dans l’avion, John Cale observe le Lou et comprend soudain qu’il est vide - this guy is empty - Le Lou en bout de course ? Contrairement aux apparences, cette reformation fut un gros panier de crabes. Calimero dit tout vers la fin de What’s Welsh for Zen?, cet extraordinaire book en forme de confessionnal.

             Suite des prodigieuses aventures de notre héros Calimero dans le prochain épisode.

    Signé : Cazengler, John Cave

    John Cale. Conflict & Catalysis (Productions & Arrangements 1966-2006). Big Beat Records 2012

    Nico. Chelsea Girl. Verve Records 1967

    Nico. The Marble Index. Elektra 1968

    Nico. Desertshore. Reprise Records 1970

    John Cale. Vintage Violence. Columbia 1970

    John Cale. Paris 1919. Reprise Records 1973

    John Cale. Fear. Island Records1974 

    John Cale. M:FANS. Double Six 2016 (= Music For A New Society)

    Lou Reed/John Cale. Songs For Drella. Sire 1990 

    John Cale/Brian Eno. Wrong Way Up. Warner Bros. Records 1990

    John Cale. What’s Welsh for Zen?: The Autobiography Of John Cale. Bloomsbury Publishing Plc 1998

     

     

    Inside the goldmine

    - Artie chaud

             Petit, dense, noueux, Arno n’avait pas des allures de tribun. Il savait pourtant tenir en haleine une salle de conférence bourrée à craquer de chefs à plumes. Il avait ce qu’on appelle communément le feu intérieur. Il savait alimenter un discours à l’énergie pure, c’est-à-dire l’énergie intellectuelle. Il s’adressait à un public de managers, des gens qu’il était difficile d’impressionner et qui n’acceptaient pas les discours au rabais ni les pensums à la petite semaine. Il fallait un certain panache pour briser les réticences et surmonter les suffisances, car pour ceux qui ne le savent pas, le monde des managers est un monde hermétique de gens qui n’acceptent de leçons que si elles viennent d’en haut, jamais d’en bas. Arno devait grimper sur son Olympe pour diffuser ses connaissances, tâche d’autant plus difficile qu’il s’efforçait de prôner un autre mode de fonctionnement, vantant les mérites de l’écoute et du management participatif, et pour vendre ces idées qui ressemblaient à de vieilles tartes à la crème, il devait redoubler d’éloquence. La théorie du management participatif avait vingt ans d’âge et tombait en désuétude, d’autant plus facilement que ses théoriciens en furent des penseurs de gauche. Cette théorie était même devenue une caricature. Mais selon Arno, elle pouvait jouer un rôle prépondérant, associée à la révolution numérique qui bouleversait le monde du tertiaire. Selon lui, rien de ce qui existait auparavant n’allait subsister, tous les codes allaient se fondre dans de nouvelles mœurs managériales, oui, tonnait-il, les échelons allaient fondre comme fondit jadis le bronze des statues pour couler les canons des guerres républicaines, les têtes des vieux managers allaient finir fichées sur des piques, des charrettes entières de tyrans cravatés allaient traverser Paris jusqu’à la place de Grève pour y être guillotinés, et l’odeur du sang managérial donnerait la nausée à tous les habitants du quatrième arrondissement. Au lendemain de l’épuration, tous les managers reconvertis aux processus meta-cognitifs se verraient confier des postes valorisants dans les nouveaux échelons de la Concorde Participative. Et Arno, emporté par l’ivresse de sa vision concluait en criant : «Vive la Transe ! Vive la pollénisation des processus cognitifs ! Vive la régulation des niveaux de motivation !»

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Si Arno avait eu la peau noire et une guitare électrique, il aurait très bien pu tenir en haleine un public de trois cents personnes dans un club de Chicago, comme l’a fait Artie toute sa vie. Artie ? Mais oui, Artie White, un vieux loup de mer du Chicago blues. Comme d’autres avant lui, Artie White a fini par atterrir un jour chez Malaco. C’est d’ailleurs grâce à la Malaco box qu’on l’a découvert. En réalité, il est sur Waldoxy Records, le label monté par le fils de Tommy Couch qui s’appelle Tommy Couch Jr.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Artie va enregistrer trois albums sur Waldoxy, Different Shades Of Blue, Home Tonight, et Can We Get Together, de 1994 à 1999. Different Shades Of Blue est un magnifique album. Artie commence par vouloir épouser sa belle-mère avec «I’m Gonna Marry My Mother-in-Law» - She got the kind of love/ That I am longing for - c’est vrai, tu as des vieilles salopes irrésistibles, tout ça en mode heavy blues. Il sort sa meilleure voix pour «There’s Nothing I Wouldn’t Do». Il est l’un des plus puissants seigneurs de son temps. Il chante vraiment comme un dieu noir. C’est pour ça qu’on est là. Il enchaîne deux coups de génie : «Willie Mae Don’t Play» et «I’ve Been Shackin’». Il tape le premier au groove insidieux, le pire qui soit, c’est un peu comme s’il ramenait les grattes de JB dans le swamp, looka here, il groove entre tes reins au Willie Mae she don’t play. Là tu as gagné ta soirée. Il revient au ouuuh pour son Shackin’, avec une diction superbe et une présence démente dans le son, nouvelle merveille inexorable. Ce démon d’Artie te plie tout l’album en quatre, il sait tout faire, le swamp, l’heavy blues, la Soul, «Did Alright By Myself» est une autre merveille. Il revient à l’heavy blues avec «Ain’t Nothing You Can Do», il reste le maître du jeu, il établit les règles, puis il te colle la cerise au sommet du groove avec «I’d Rather Be Blind Crippled & Crazy», il rentre dans le chou de l’un des meilleurs grooves de tous les temps, c’est d’une profondeur extrême en termes de blackitude, il ramène même des chœurs de gospel !

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Home Tonight est enregistré à Muscle Shoals. Dès «Your Man Is Home Tonight», Artie domine bien la situation. On sent le Barry White en lui. Il fait de la Soul de grand seigneur. Il te réconcilie avec la vie. Artie White est un fantastique shouter de real deal. Avec sa force tranquille, il sait qu’il va remporter les élections. Présence énorme. Il sait graisser la patte d’un heavy blues («Somebody’s Fool», «Man Of The House») et taper dans la Soul des jours heureux («If You Don’t Love Me»). Artie est non seulement un puissant seigneur, mais il est aussi ton meilleur copain. Il crée l’événement à chaque cut. Tu veux de l’heavy blues de haut niveau et bien gluant ? Alors écoute «Black Cat Scratchin’», Artie est un artiste fabuleux, appliqué et subtil, il règne sans partage sur son empire de blues, il est plein de doigté, les solos sont beaux, on ne sait pas qui de Big Mike Griffin ou Andrew Thomas les prend, mais quel régal ! David Hood nous drive ça au bassmatic. Tout est bien foutu sur cet album. «The More You Lie To Me» est classique mais si bien chanté, all the time ! Sous son panama blanc, Artie est un crack. Il passe au fast boogie avec «Feet Must Be Tired», il sort tous ses chevaux vapeur pour l’occasion.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             On trouve son premier album Blues Boy sur le fameux label Ronn Records, subsidiary avec Paula Records du Jewel Records de Stan Lewis, basé à Shreveport, en Louisiane. Trilogie précieuse pour les amateurs éclairés de Southern Soul, car c’est sur Paula, Ronn et Jewel qu’on trouve les grands albums de Bobby Patterson, Ted Taylor, Frank Frost, Lowell Fulson, Jerry McCain, Toussaint McCall et Bobby Rush. Malgré un développement commercial sans précédent, Lewis finira par se casser la gueule en 1983. Les labels indépendants n’avaient pas les reins assez solides.

             Sur Blues Boy, Artie joue le blues des années 80, mais il veille au grain, même s’il n’invente ni la poudre, ni le fil à couper le beurre. Sur la pochette, il a une bonne bouille. On sent le petit blackos heureux de vivre. Alors on y va. Pas de problème. Ça sort sur Ronn, mais c’est enregistré à Chicago. Artie fait du Chicago blues. Et même de l’heavy Chicago blues («What Pleases You Pleases Me»). Rien de plus que ce qu’on sait déjà. Tout sur l’album sonne comme du standard classique, et même parfois comme du Bristish Blues avec des cuivres derrière («Leaning Tree»). Il termine avec une belle cover de «Chain Of Fools». Il jette tout son poids dans la balance, et avec Artie, ça veut dire ce que ça veut dire. Il chante son Chain entre ses dents, à la tendancieuse, c’est un excellent groover de chain chain chain

             Entre 1987 et 1992, il va enregistrer six albums sur Ichiban Records, un label de blues basé à Atlanta qui, comme Rounder et Alligator, a marqué son temps, mais pas au fer rouge.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Artie sourit sur la pochette de Nothing Takes The Place Of You. Il propose un heavy blues d’Ichiban joué à la frappe sèche. Artie est chaud. Son «Wondering How You Keep Your Man» est classique mais bien tartiné au miel de blues. Artie s’y  connaît en syllabes, c’est un spécialiste du roulage de pelles. Que fait-on après l’heavy blues ? Un boogie blues. De ce point de vue, il est imparable. Et puis voilà «All You Got», une fantastique Soul de blues, cuivrée de frais, Artie est fabuleusement actif, il joue tout d’un bloc. Il boucle son balda avec une cover de Willie Nelson, «Funny How Time Slips Away». Il va encore sur la Soul en B avec «Something Good Goin’ On». Artie est un bon artiste, il connaît ses bases et ses limites. Il flirte avec le gospel, bien aidé par des chœurs de femmes ouvertes. Il fait aussi pas mal de Chicago blues pointu et acéré. Il termine cet album intéressant avec «I Need Someone», un heavy blues de Soul de Solomon. C’est excellent, plein d’intention intensive, les chœurs font all the time, c’est du grand lard fumant, une vraie sinécure qui n’en a cure.   

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Belle pochette que celle de Where It’s At : Artie pose le pied posé sur le pare-choc de sa Cadillac. Dès «Too Weak To Fight», il a un son énorme, avec un fat bassmatic au devant du mix. Chicago sound, here we go ! Et avec le fast boogie d’«One Woman’s Man», il avoisine le Bobby Blue Bland. C’est dire s’il a du caractère. Pour se taper Artie, il faut bien aimer le boogie blues, c’est la condition pour entrer dans «Nobody Wants You When You’re Old And Grey». C’est son fonds de commerce. Et quand il fait du heavy blues avec «Proud To Be Your Man», il ramène toute sa grosse arrache      

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Encore un beau portrait d’Artie sur la pochette de Thangs Got To Change. Tout vêtu de rouge, il arbore son petit sourire de blackos heureux, comme sur la pochette de son premier album. On note aussi la présence de Little Milton on lead guitar. Artie ramène ses vieux accents de Bobby Blue Bland dans son morceau titre. C’est comme on s’en doute un album extrêmement joué. Comme le montre «Thank You Pretty Baby», Artie est un sacré charmeur - Tank you pretty baby for being so kind - On se régale aussi de cette belle escalope d’heavy blues en B, «I Wonder Why». Toujours les mêmes plans, mais avec Artie ça reste du très haut niveau. Puis il tape dans l’excellent «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom, il tartine son I hate to see you go à la perfection.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Le morceau titre de Dark End Of The Street est bien sûr le classique composé par Dan Penn et Chips Moman. C’est là où l’expression Soul blues prend tout son sens. Il est bon l’Artie, sur ce coup-là. Avec «Clock Don’t Tick», il passe à l’heavy Chicago blues cuivré à outrance - Come back baby/ Let me try again - Il termine l’album avec un «I’m Mean» bien sonné des cloches. L’Artie sait allumer une bouffarde, aw listen here, il est aux commandes, pas de problème, tu peux dormir sur tes deux oreilles, le cause I’m mean est solide comme un bœuf. Sur la pochette, il se fait photographier devant une taule, avec ses bottes rouges aux pieds. C’est vraiment le dernier endroit où il faut aller frimer. Sur l’album, le guitariste s’appelle Larry Williams. Il sait graisser la patte du blues. Avec «Hit The Nail On The Head», l’Artie plonge dans le son comme Tarzan dans un fleuve.

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Le voilà enfin avec les mains couvertes de bijoux sur la pochette de Tired Of Sneaking Around. Il bat Little Milton et Johnnie Taylor à la course. Aucun blackos n’a jamais porté des bagues aussi énormes. Il ramène tout le velouté de Bobby Blue Bland dans «Today I Started Loving You Again», puis dans «Turn About Is Fair Play», en B, Ce sont les mêmes oh nooo dans les descentes de gammes. Sinon, il fait du bon Ichiban bien huilé. Non seulement c’est bien huilé, mais c’est aussi bien cuivré. Le morceau titre est un joli slow blues, a jewel of rendez-voooo. 

    luke haines,quinn deveaux,andrew lauder,artie white,oculi melancholiarum,thy despair,rockambolesques

             Avec Hit And Run, on sent une petite baisse de régime. Il est sur Ichiban, et le son s’en ressent. L’Artie y va doucement. Il ne force plus le passage. Il se la coule douce, avec un art de la dépouille très évolué et un guitariste loin derrière sur «Doctor Doctor». Chez Ichiban, on ne fait pas de vagues. Tout est très classique : le blues, le boogie blues, même l’heavy boogie blues d’«I’m Glad You Gone» - Don’t write me no lettah/ Oh don’t write me no lettah baby ! - Rien ne dépasse sur Ichiban, tout est bien lisse, bien électrique, les filles dans les chœurs sont dévouées et l’Artie tient bien sa rampe, pas de problème. L’Artie enfile ses perles. L’Artie est chaud. Il termine avec «I’m A Lonely Man», il tartine son wanna live my life en mode gospel blues. Fantastique !

    Signé : Cazengler, cœur d’artichaut

    Artie White. Blues Boy. Ronn Records 1985

    Artie White. Nothing Takes The Place Of You. Ichiban Records 1987  

    Artie White. Where It’s At. Ichiban Records 1988       

    Artie White. Thangs Got To Change. Ichiban Records 1989 

    Artie White. Dark End Of The Street. Ichiban Records 1990 

    Artie White. Tired Of Sneaking Around. Ichiban Records 1990  

    Artie White. Hit And Run. Ichiban Records 1992      

    Artie White. Different Shades Of Blue. Waldoxy Records 1994 

    Artie White. Home Tonight. Waldoxy Records 1997  

     

    *

    Je n’étais pas particulièrement triste mais j’avais envie de DBSM, ne flashez pas sur les deux dernières lettres, non nous ne nous embarquons pas dans un trip porno-sado-maso, quoique en y réfléchissant Eros n’est jamais très loin de Thanatos, cet acronyme signifie Depressive Black Suicidal Metal, c’est fou de voir comment avec quatre lettres l’on peut casser une ambiance, bref quand on cherche on trouve. Suis tombé sur VCH, je vous rassure non ces initiales ne signifient pas Viol Collectif Homicidal, c’est juste un label que je ne connaissais pas. Rien que pour vous j’ai choisi un album.

    THREE CRIMSON TEARS

    OCULI MELANCHOLIARUM

    (Bandcamp / VCH / 2022)

    VCH pour Victoria Carmilla Hazemaze qui a fondé le label. Vous la retrouvez sur l’opus élu sous le nom de Victoria Nox. Le visage que vous apercevez sur la couve n’est pas le sien. L’artwork est de Suzy Hazelwood. Elle dispose d’un site sur Pexels, elle collationne des photos de toutes sortes, notamment vintage, qu’elle met librement à la disposition de tout un chacun. J’ai particulièrement apprécié cette vue d’un bouquin dont on ne voit que le nom de l’auteur : Keats. Il en faut peu pour me rendre heureux, juste l’essentiel et l’absolu.

    Dans la nuit tous les chats sont gris, parfois Victoria Nox apparait sous diverses nuances de… noir : par exemple dans AIAA7, Careus, Luna Pythonissam, Persephone’s Legacy, Cantodea Dianthus

    Victoria Nox : all instruments, vocals / Sumabrander : vocals.

    Victoria Nox est mexicaine, de Mexico exactement, l’on ne s’étonnera pas de trouver un texte en anglais et un second en espagnol. Sur Bandcamp le lien qui permet de rejoindre le bandcamp de Sumabrander, hétéronyme de Paul Moritz, de Dresde, est suivi de la mention : lyrics de Thy  Despair. Sumabrander est un artiste qui suit une démarche parallèle à celle de Victoria Nox, comme elle, il est impliqué  dans plusieurs projets : Tausenderm, Alott, Raute, Nurez, Akoasma

    z24405couveep.jpg

    The presence : attention le texte aide à comprendre la structure de cet EP, j’en cite quelques vers : She once walk trouugh among us, she walks through the woods, le texte est magnifique il ressemble à ces poèmes que l’on savait écrire aux temps du romantisme : magnifique photo de couve, il faut écouter ce premier morceau en comprenant qu’il n’est pas une illustration de cette belle image, mais que le titre tend à reconstruire les sentiments de cette jeune fille, vu le style du cliché l’on peut se dire que cette âme fragile et accablée a disparu depuis longtemps, nous avons affaire à une illustration phonique non pas de la beauté triste de cette jeune fille mais à une transcription imaginaire des sentiments dont elle est agitée, si les yeux sont les fenêtres de l’âme il est inutile de regarder au-travers en se fiant à la sérénité résignée qu’a pris le terme de mélancolie dans notre modernité, longtemps mélancholia a été le terme qui désignait la folie, non pas celle des crises de fureur destructrice d’un Alfred de Musset, mais cette prison de rêveries de soi-même dans laquelle s’enferma Gérard de Nerval et dont on ne s’échappe que par la mort, ne vous attendez pas une musique triste, certes ce n’est pas joyeux, le cercle des tempêtes intérieures est un maelström dont nul ne réchappe, une belle mélodie profonde, l’eau sans fond d’un miroir fendu par une fine brisure indiscernable, la voix féminine de Victoria et masculine de Paul Moritz se répondent, échos lointains qui se déploient en un dialogue mille fois repris,  et bientôt la fêlure éclate, la voix du dessous celle qui dicte sa vérité, celle de Nox, qui essaie de se regarder du dehors, marchant dans le monde dont elle s’est coupée, et celle du dessus enlisée dans les tourmentes du dedans, l’intensité baisse d’un cran, le plus terrible c’est que ceux qui regardent le fantôme de la folie arpenter sa solitude sont eux aussi happés par ce tourbillon intérieur qui leur est totalement étranger, mais dont ils sont maintenant le reflet, et le monde se dissout en vous à moins que ce ne soit vous qui vous dissolvez dans la folie… Magnifique. Il est dangereux de se pencher par certaines fenêtres. Magistral. Cora : comme un prénom qui voudrait dire Cœur, fêlé serait-on tenté d’ajouter, musique sombre, douce, avec sous la guitare la voix chuhotante de la Nuit Victorieuse, c’est la fin, les derniers jours, ne vous étonnez pas de ces déchirements sonores, de  ces souffles aussi violents que ceux de Wuthering Heights, ils s’amplifient encore, elle n’est plus que l’image décolorée de soi-même, mais à l’intérieur, une plaie saignante et purulente que ses pensées lacèrent encore et encore, en cora, la musique baisse d’un ton, elle n’a pas survécu, elle est morte, croyez-vous que le drame soit terminé que la souffrance s’est tue, non de ses yeux coulent trois larmes de pourpre… She wanders in Mystery : croyez-vous que ce soit terminé, que la vie continue, que l’on puisse passer à autre chose, non ce qui a été dans la présence du monde existe pour l’éternité, dans l’éternel retour des choses en soi-même, en elles-mêmes, en le regard des témoins, un piano rejoue la mélodie, il est des choses qui ne s’oublient pas, même quand on a oublié qu’on les a oubliées, elles subsistent, malgré vous, malgré nous, malgré elles-mêmes, celle qui ère un jour ère pour toujours.

    z24404couvesémo.jpg

    Cora (Demo) : sortie 8 / 11 / 2021 : d’ailleurs on remet le morceau, on le rejoue, non pas pour étoffer un Ep, mais parce que le tourbillon du souvenir et de la présence vous entraîne à tout moment, vous n’avez qu’à tendre la main d’une pensée pour être happé une nouvelle fois, des chœurs encore et en Cora, une bouffée sonique peut-être un peu moins forte, mais plus dense, une douleur dans le corps qui vous empêche de dormir la nuit et de vivre le jour. Sur la fin des doigts qui courent longtemps sur les cordes d’une guitare comme s’ils espéraient que le morceau ne se terminât jamais. She walked among us : des notes comme un oiseau incroyable qui viendrait se poser parmi les vivants, la batterie se fait lourde, c’est ici que l’on s’aperçoit que le drame s’est joué parmi nous, que l’on n’a rien fait pour l’arrêter, même si c’était impossible, ce clavier qui bat de l’aile comme un cœur qui a du mal à reprendre sa respiration, comme si la folie nous habitait aussi et que nous n’y pouvions rien. Pour nous comme pour elle. She walked through the wood : un te deum final pour clore la grande messe des adieux, la dernière minute, pour être encore dans la silhouette éblouissante de ses errances, de sa folie, l’ultime image d’elle, que nous garderons puisque c’est elle qui nous gardera. Les revenants ne sont pas des fantômes, c’est nous qui revenons.

             Sombre, mais lumineux.

    Damie Chad.

     

    *

    Paul Moritz est-il le parolier de Thy Despair, et ce Thy Despair c’est quoi au juste ? A mon grand désespoir je n’ai pas été capable d’établir une relation   entre Moritz et Thy Despair. Enfin une photo de Thy Despair, trop sombre pour bien discerner, une bande de hardos chevelus, tout ce qu’il y a de plus classique chez les hardos. Je ne voudrais pas que les héritiers de Bo Diddley m’intentent un procès but you can’t judge a band just looking a pic, alors j’ai cliqué sur une vidéo que les dieux du rock m’ont fort opportunément glissé dans mon champ de vision :

    FALLING STAR

    THY DESPAIR

    (Official Lyrics Video / YT / Rockshots Records / 2020)

    Z24412FALLINGSTAR.jpg

    Première image, c’est du léché, de magnifiques paysages, terre, mer, ciel et une intro grandiloquente à la dack symphonic metal, ambiance romantique, moi j’aime le romantisme, au lycée les filles m’avaient surnommé René à cause de Chateaubriand, je connais les codes, j’attends la voix sépulcrale du chanteur, l’antithèse hugolienne après la lumière, l’ombre, Après les trois premiers éléments, je pressens le pire, je me prépare à être carbonisé par le feu, surprise, me voici projeté dans l’éther réservé aux Dieux, une voix féminine d’une intense pureté me projette en un autre monde, bien sûr un hardos craignos au timbre éraillé et caverneux ne tarde pas à prendre le relais, mais elle ne se laisse pas faire, un dialogue s’installe, la laideur charbonneuse  d’Héphaïstos rend la voix d’Artémis encore plus pure…

    Qui est cette sirène, je veux la voir, je veux l’avoir, justement la voici !

    GHOST RIDER

    THY DESPAIR

    (Official Live Video / YT / Rockshots Records / 2020)

    Z2441OGHOSTRIDER.jpg

             Superbe vidéo, tous les membres du band ont droit à leurs secondes de gloire, des plans super-étudiés, j’avais vraiment mal regardé la photo, y a pas que des craignos chevelos, une deuxième fille, une mutine au clavier, toujours au chant  cette alternance des rayons et des ombres, je ne vois qu’elle, je n’entends qu’elle, cette voix séraphique qui se pose comme l’alcyon dans la tempête et plus rien n’existe, le monde fait naufrage, mais elle survit indifférente à l’ouragan sonore, sa voix plane dans les nuées, son corps enveloppé de ses longs cheveux, les pieds enracinés dans la terre, elle bouge, elle ondule, houppe d’arbre flexible que le vent ne rompt pas, elle se meut, sur la rondeur de ses épaules d’albâtre reposent les colonnes invisibles du  ciel…

    ARMY OF DEAD / Official Music Video

    Z24411ARMYOFDEAD.jpg

             Un véritable film de chevalerie, superbement mis en scène par Niphilim, voix d’ombre, guitariste et fondateur du groupe, en moins de cinq minutes défilent devant vous les scènes iconiques qui semblent sortir tout droit des romans de Chrétien de Troyes, en plus l’orchestre  joue comme l’on festoyait dans le château du roi Arthur, et cette voix éthérée pour laquelle vous oublierez la quête du Graal, car il vaut mieux étancher sa soif à la lymphe d’Iseult la blonde qu’au sang du Christ.   

             Descendons de notre nuage. Ils sont ukrainiens. De Kiev. Leur FB ne donne plusieurs de nouvelles depuis plusieurs mois, fin août 2023 ils donnaient encore des concerts (voir vidéo, elle dure six heures : Bokaya Metal Birthday 27 / 08 Volume Club Kyiv ), si vous descendez dans leurs posts abondent des photos de destructions dues à la guerre… De tous les animaux l’homme est le plus grand des prédateurs.

    z24406volumeclub.jpg

             Six groupes se succèdent dans le Club, le public est clairsemé. Une trentaine de personnes au maximum, le set de Ty Despair débute (timing vidéo) sur les 3h 40 et se termine sur les 4 H 30. Le son n’a pas l’amplitude symphonique des vidéos, pourquoi s’arrêtent-ils une à deux minutes entre les morceaux. Le set serait beaucoup plus fort s’il n’y avait pas ses coupures silencieuses. Nonobstant ce défaut, le set est magnifique, l’accord entre les deux vocalistes parfaitement au point, mais quand Elin, aussi belle que l’Hélène de Sparte, chante, vous êtes transporté ailleurs dans un autre monde, une autre dimension, entre terre et rêve.

             Le groupe s’est formé en 2008, il n’a produit que deux singles, deux Ep’s, et un seul album :

    В​і​л​ь​н​и​й

    (2015)

    Tous les titres des sigles et des EP sont repris dans l’album, nous les écouterons au moment de le chroniquer. Le lecteur risque de s’étrangler en prononçant le titre. Pas d’affolement c’est de l’ukrainien, méfiez-vous si vous tentez de le traduire en utilisant votre translateur, la traduction proposée ne rime à rien ; Gratuit. Ce vocable ne s’inscrit pas dans l’imaginaire dark metal, au plus une consonance gidienne d’acte gratuit, question littérature l’on s’attendrait davantage à des résonnances entre autres lovecraftiennes ou une allusion aux sagas islandaises, à Edgar Poe ou à Arthur Machen. En attendant de lever cette incertitude nous nous contenterons d’admirer la couve.

    z24408couvegratuit.jpg

             Admirable logo, le Tau du sacrifice mêlé au Delta dzétien du Destin. Instinctivement avec cet oiseau posé sur un champ de neige l’on pense à La Pie de Claude Monet. Mais le travail de ce merveilleux coloriste, ce maître de la nuance dissociative de la couleur irriguée par une vision contemplative de la nature qu’est notre impressionniste ne cadre pas avec la thématique de l’image. Champ de neige après la bataille, ne restent que les épées, les armes et les boucliers à moitié enfouis dans les amoncellements d’ouate mortuaire qui doit recouvrir les cadavres, sur la droite un corbeau odinique gras comme un chapon nous le confirme, nous sommes dans Le cœur de Hialmar, un des plus beaux poèmes de Lecomte de Lisle, pratiquement au centre, posé dans sa propre fierté, solitaire un faucon, ne jette même pas un regard indifférent autour de lui, la vie est un carnage, il y a ceux qui meurent et ceux qui survivent. Il a choisi son camp. Depuis sa naissance. 

    THE FREE ONE

    (2018)

    z24409effreeone.jpg

             Encore une fois nous ne regarderons que la couve. Attention, il existe deux versions de cet EP, l’un tout en ukrainien qui porte le même titre que le précédent В​і​л​ь​н​и​й et ce deuxième en langue anglaise qui nous aide à comprendre le sens de cette gratuité non-commerciale, qui n’a pas de fondement nous dit le dictionnaire, à comprendre selon une acceptation stirnérienne, ‘’ J’ai basé ma cause sur rien, j’ai basé ma cause sur Moi.’’ L’image est sans appel, un rapace qui se laisse tomber du haut du ciel sur sa proie toutes serres ouvertes, la liberté n’a qu’un prix : la vie. La liberté n’a qu’un coût : la mort.  

             Trois tires : l’ensemble forme une splendide trilogie : The free one / Sabbath / War.

    THE SONG OF DESOLATION

      (Rockshots Records / Mai 2020)

    Elin : vocals / Phil ou Niphilim : guitar, vocals / Nawka : keyboards / Strike : guitar / Alex : drums / Anton : bass.

    z24407couvedesolation.jpg

    L’artwork de la pochette est d’Elin, une pythonisse écrasée par le message qu’elle doit délivrer, des roses motivent sa robe, mais tout dans son attitude désespérée démontre qu’elle n’est qu’épine empoisonnée, celle dont la piqûre déclencha  le cancer de Rilke,  pochette rouge de sang symbole du futur de l’Homme, et cette bouche démesurée à la Gwinplaine, l’enfant que les comprachicos ont défiguré, le monstre au cœur pur, Elle que le chant de désolation prophétique dont elle nous avertit transforme en carnassière de l’Humanité. Nul n’est innocent, nul ne sera épargné, même pas celui  ou celle qui détient dans sa bouche les affres du Dire destinal cruel et souverain.

    The free one : ne nous y trompons pas, le morceau est ancien, sa première mouture est parue en 2015, n’oublions pas que la guerre en Ukraine a débuté en 2014, même si depuis notre hexagone elle paraît avoir commencé en 2022… Le genre dark metal se complait dans les thématiques catastrophiques, voire apocalyptiques, à cette aune-là le titre de cet album Song of Desolation n’est guère dramatique, il semble s’inscrire dans les canons du genre, mais il est nécessaire de le relire en pensant à la guerre qui actuellement ravage l’Ukraine, il est rare de rencontrer des albums de Metal qui évoquent des évènements politiques d’actualité brûlante en train de se dérouler. Ne nous laissons pas emporter par la fougue symphonique de cette musique, il nous faut en quelque sorte actualiser les paroles de ce morceau, qui sont assez intelligentes pour ne nommer personne, ce qui leur permet d’atteindre une portée symbolique universelle, il y a une tension extraordinaire dans ce morceau bâti comme un dialogue, sublime aussi cette évocation du faucon, créature du rêve, qui se suffit à lui-même, qui insuffle du courage au guerrier comme à son ennemi, être ambivalent pour ceux dont il recouvre l’imaginaire de ses ailes. Sabbath : changement de décor, guitares grondantes, passage mélodramatiques, fuites éperdues de soli, grand pandémonium très agité, sorcières et sorciers vous entraînent dans un ballet chaotique, cette nuit du sabbath paraît très éloignée de l’Ukraine d’aujourd’hui, moment crucial, n’entrez pas dans cette ronde, sans quoi vous serez tué, fuyez les puissances maudites si vous le pouvez, la mort est au bout de tous les chemins. Il n’et de pire sabbath que les hommes et les nations mènent tous les jours, toutes semaines, tous les mois, toutes les années. Fear and despair : tournez les pages de ce livre de contes, le petit chaperon, rouge de sang, pour enfants imprudents. Rien de pire qu’un vampire, ivre du sang pur de la vierge qui se consume de désir, elle chante, elle appelle, il grogne, il arrive, musique hystérique, glas qui sonne et vous glace, à son tour elle doit assurer son immortalité dans le sang de ses victimes, la voix monte haut car elle est descendue très bas. Oratorio shakespearien. Burned by love : l’autre côté de l’obscurité, un autre conte que l’on lit en commençant par la fin, nul ne peut aller contre sa nature, le vampire est amoureux, tel est pris qui croyait prendre, dialogue d’outre-tombe et tentation de la beauté, l’on se laisse emporter par cette tempête phonique qui se termine par une extase infinie… elle éclate comme une bulle de savon dans l’infini de la mort. Est-ce l’éternité qui ne dure qu’un instant ou juste le contraire. Pour le savoir il faut tenter l’expérience. N’écoutez pas trop ce morceau, vous auriez toutes les chances de risquer l’aventure, tellement la pureté tentatrice  du chant d’Elin est envoûtante.  Last breath : la ballade du remord, dernier titre de la trilogie, tout se passe dans la tête, la frontière entre la vie et la mort est fragile, le désir est peut-être le point de passage qui permet de passer d’une rive à l’autre. C’est un feu qui brûle l’autre et l’autre de l’autre, car l’autre n’est que l’autre figure du même. Ces trois titres explorent les fantastiques tréfonds de l’âme humaine. Le deuxième titre de l’album nous avait prévenus tous les chemins de votre vie mènent à votre mort, même si parfois les chemins de votre mort mènent à votre vie.

    Z24413GROUPE.png

    War : ce titre était le dernier de ce que nous avons nommé la trilogie de la nuit du premier EP paru en 2018. Un chant de guerre, appel au courage, ordre de s’armer et de se porter au combat, chacune des deux voies comme le contre-chant d’arc-boutant qui s’appuie sur l’autre pour l’élever encore plus haut. Dans les morceaux de Thy Despair systématiquement au deux-tiers de sa longueur apparaît  une déperdition phonique comme une vague qui perd de sa force en s’approchant du rivage, ici les guitares remplissent de leur hargne ce moment de déperdition. La guerre n’admet aucune faiblesse. Army of dead : l’on retrouve le morceau dont nous avons présenté la vidéo. Sans doute le temps est-il venu de l’écouter en dehors des oripeaux colorées des belles images, dénudé de nos superfétatoires surinterprétations littéraires.  Que veut cette belle princesse : qu’un magicien redonne vie à son beau et preux chevalier tué dans un combat singulier. Le mage s’exécute et le chevalier revient de la mort. Hélas il n’est plus qu’une sorte de zombie à l’esprit demeuré (de l’autre côté). Certes il se souvient d’elle mais à la manière titubante dont il se dirige vers elle l’on pressent que c’est pour honorer sa chair d’une manière point trop courtoise pour ne pas dire bestiale… Il serait facile de ranger ce morceau aux côtés de la trilogie Fear-and-despair-Burned-by-love-Last-breath, dans une interview Thy Despair en propose une lecture différente : dans les situations désespérées, l’on ne peut s’empêcher de penser à l’Ukraine, il convient de réfléchir et de ne pas se livrer à des gestes inconséquents. Au va-t-en-guerre du morceau précédent Phil semble ajouter  la nécessité d’actions réfléchies. Ces deux postulations ne sont pas contradictoires. Falling star : que dire de plus. Ma première appréhension était innocente, ne connaissant rien de Thy Despair je l’ai entendu comme l’éternel combat de l’ombre et de la lumière, pour Thy Despair les paroles sont ancrées dans une réalité bien plus historiale que ‘’philosophique’’, mais encore plus que dans The Free One le fait qu’il n’y ait pas dans les lyrics une seule allusion à une situation politique quelconque lui confère une portée et microcosmique et macrocosmique qui nous plonge au plus près de l’intimité personnelle de tout un chacun comme au plus près de nos extimités intergalactiques les plus lointaines. Ghost Rider : encore un apologue de la même veine que Army of Dead. Ici, ce n’est plus la lumière et les ombres qui s’affrontent, mais le Mal et le Bien, Dieu et Satan, la voie angélique d’Elin, le timbre adversorial de Phil, bientôt l’on ne sait plus qui parle au travers du chant, la frontière entre le bien et le mal est beaucoup plus poreuse que l’on ne le voudrait, nous sommes tous, nous et nos actes, des hell’sangels métaphysiques, le mal peut engendrer le bien et le bien le mal. Pour libérer son pays ne doit-on pas tuer son ennemi. Falcon : la boucle est bouclée, musicalement aussi heurté  que War, c’est ici que nous est révélé la mystérieuse identité héraldique de ce faucon apparu sur les premières couvertures, notons que ce symbole est d’une clarté absolue pour tous les uchrainiens, les lyrics nous content le combat de la nation ukrainienne pour fonder leur indépendance, il s’agit du monogramme du blason de l’Ukraine. Ce vieux signe de mille ans d’âge de ralliement des peuplades nomades proto-bulgares, représente un gerfaut stylisé fondant sur sa proie. A l’origine ce serait une tamga emblème adopté dès l’antiquité par de nombreux peuples qui figurerait un trident… Ce dernier morceau inscrit cet album dans un acte de résistance politique délibéré.

    Z24414EMBL7MEUKRAINE.png

             Un bel album qui selon moi, n’a pas mérité l’accueil critique qu’il mérite. Il est vrai que son écoute peut se révéler étonnante, que la logique subtile qui serpente entre les pièces politico-guerrières, les morceaux à consonnance fantastique, et les titres dont il faut saisir la projective signifiance, il y a de quoi se perdre, alors qu’il participe d’un  projet réflexif d’une grande logique.

             Pour les lecteurs à l’esprit binaire qui voudraient savoir si je suis pour l’Ukraine ou pour les Russes, je dirais que premièrement tout peuple a le droit de se défendre et que tout peuple a aussi hélas le droit de s’attaquer à un autre, vision très hegélienne pour qui le droit n’est que l’expression de la force. C’est ce genre de remise en cause de l’idéologie lénifiante étatiste qui   a valu à notre philosophe un espionnage accru de la part des services de renseignement gouvernementaux... Deuxièmement : à ceux qui m’opposeront l’existence d’un droit moral international supérieur je répondrais que l’homme est un animal amoral, comme tous les animaux. Troisièmement : que l’Europe ne s’est jamais relevée de la chute désagrégative de l’Imperium Romanum. Quatrièmement : que les dirigeants n’ont que le pouvoir de vous envoyer à l’abattoir que leurs peuples leur octroient. Les guerres ne sont pas une solution mais une conséquence de nos faiblesses.…

             Lecteur sens-toi concerné par ce groupe car jamais sans toi, en français Thy Despair ne signifie-t-il pas Ton désespoir

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    a30000molosa.jpg

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    90

             Il y eut un double ‘’Heu’’ suivi de deux minutes de silence comme réponse à la question posée par Le Chef décidément en verve :

             _ Demoiselles je m’inquiète pour votre oral de français en fin d’année, votre bac est en train de couler au milieu de la rivière. Agent Chad un petit tour sur les grands boulevards, après quoi nous nous dirigerons vers l’Elysée.

    Les boulevards se révélèrent noirs de monde, j’estimai qu’à peu près vingt pour cent de la population marchait sur les trottoirs sans un mot, dans un silence impressionnant, les enfants étaient particulièrement calmes, ils donnaient sagement leur main à un adulte, sans rechigner, sans poser une question, sans sourire. Au bout d’un moment il y eut tant de monde que la foule déborda sus trottoirs, je dus ralentir, ce qui n’est pas dans mes habitudes. Le Chef alluma un Coronado :

             _ Alors les filles, je ne vous entends pas, de quoi ont-ils peur ?

    Doriane se dévoua pour répondre :

             _ Moi, la seule chose qui me ferait fuir dans la rue, ce serait une grosse araignée noire sur le plafond de ma chambre.

              _ Oui mais tu courrais partout en poussant des hurlements, éliminons cette hypothèse, qui ne saurait concerner le quart des parisiens !

             _ Oui tu as raison Loriane, mais qu’en pensez-vous, vous les hommes ?

    Le Chef secoua la cendre de son cigare :

             _  Il est temps demoiselles, que vous appreniez le b-a BA des méthodes des agents spéciaux des Services Secrets du Rock’n’roll, quand on ne sait pas on enquête, Agent Chad arrêtez cette voiture. Doriane allez interroger les passants sur le côté droit du boulevard, vous Loriane vous vous chargerez du côté gauche. Nous vous attendons, soyez rapides et efficaces.

    Elles y mirent du leur, nous les vîmes se faufiler entre les rangs, et s’arrêter un peu au hasard, soit devant un visage qui leur semblait un tantinet amène. Elles ne reçurent aucune réponse, personne ne manifesta un geste d’agressivité à leur encontre, ce n’est que l’on ne voulait point leur répondre, les gens les évitaient, il semblait qu’ils ne les apercevaient même pas. Elles revinrent :

             _ Avec Molossito et Molossa dans les bras, l’on nous répondra, tout le monde ou presque adore les animaux, c’est gagné d’avance.

    Elles revinrent tête basse, Molossito semblait encore plus vexé qu’elles, il avait léché le bout du nez de plusieurs enfants qui avaient semblé ne pas l’apercevoir. Même pas une réaction de leurs mères. Molossa avait adopté une autre tactique, elle aboya bien fort, grogna et n’hésita pas à faire semblant de mordre une ou deux gambettes, quand elle planta ses crocs dans la jambe d’un papa qui portait sa petite-fille sur ses épaules, à peine y eut-il un geste d’agacement très légèrement esquissé pour la dissuader de continuer.

    91

    Nous roulions depuis un quart d’heure lorsque Loriane s’écria :

             _ Euréka, j’ai une idée, je crois avoir trouvé, je pense que je j’ai découvert la cause de cet étrange comportement, je suis sûre que j’ai compris, je suis une championne !

             _ Diable, jusques là nous avions l’agent Chad convaincu d’être un génie supérieur de l’Humanité, en plus maintenant nous possédons une championne d’on ne sait trop quoi, tout ça dans l’espace restreint d’une simple voiture, j’espère que vous pouvez chère enfant apporter la preuve irréfutable de votre idée qui si j’en crois votre sourire devrait changer le sort de l’humanité.

              _ Bien sûr, il suffit d’arrêter l’auto, de descendre et de me suivre.

    _ Parfait juste le temps d’allumer un Coronado et nous vous suivons !

    92

    L’idée de Loriane n’était pas bête : si les gens sortaient parce qu’ils avaient peur chez eux, le plus simple était d’aller voir ce qui leur faisait peur chez eux. Il ne fut pas difficile de visiter quelques appartements. Les portes donnant sur les rues n’étaient pas fermées  et celles des logements individuels avaient été laissées ouvertes par leurs occupants. Rien de notable, la télévision était encore allumée et parfois il était manifeste que les occupants étaient partis précipitamment en plein repas. Molossito et Molossa n’hésitèrent pas à se partager un immense gigot de mouton de douze personnes pour un repas entre amis, les verres d’apéritifs à moitié pleins abandonnés sur une table basse  témoignaient de la célérité avec laquelle la petite fête avait été interrompue. Nous visitâmes soigneusement toutes les pièces, regardant sous les lits, inspectant les meubles, farfouillant dans les tiroirs. Rien, pas même une araignée. Tous les regards se tournèrent vers Loriane :

             _ C’est que nous faisons trop de bruit, expliqua-t-elle souvenez-vous de hier soir, lorsque nous avons été attaqués et que nous avons dû abattre à coups de Rafalos, les briseurs de murailles qui n’arrêtaient pas de sortir des murs, avant qu’ils n’arrivent nous avons entendu des bruits de pas, les gens ont eu peur, nous nous avons tué ces envahisseurs, lorsqu’ils sont sortis des murs les gens ont fui, c’est tout !

    Il y eut un moment de silence, les propos de Loriane appelaient à méditer, le Chef en profita pour allumer un Coronado :

             _ Admettons, mais où sont passés nos envahisseurs ? Ils ne sont pas dans les rues et manifestement ils ne sont pas restés dans les appartements !

    Loriane ne se démonta pas :

             _ Ils sont repartis par les murs, les gens chassés de chez eux, mission accomplie, ils n’avaient plus aucune raison de rester. Par contre je suis persuadée que si nous nous taisons nous les entendrons arriver, ils reviendront, j’en suis certaine !

    Nous restâmes près de deux heures. Nous n’étions pas mal tombés, chez des bons vivants, le bar regorgeait de bonnes bouteilles et des plateaux d’amuses gueules fort appétissants nous tendaient, vous excuserez cet anthropomorphisme  culinaire, pour ainsi dire les bras. Hélas nos briseurs de murailles ne daignèrent pas, ne serait-ce que par politesse, venir nous adresser un petit bonjour amical. Après un énième et dernier Coronados le Chef donna l’ordre du départ.

    93

    Il était de plus en plus difficile de circuler, à croire que l’entière population de Paris  était désormais dans les rues. De temps en temps j’écrasais sans le faire exprès un piéton, aucune hargne ne se manifestait envers nous lorsque l’on entendait un malheureux pousser d’atroces cris de souffrance quand une des roues lui écrasait la poitrine. Tout au plus nous adressait-on quelques gestes genre ‘’ ce n’est pas grave’’ et s’empressait-on de nous libérer le passage, nous avions même l’impression que s’ils avaient pu parler ils se seraient excusés…

             _ Chef nous avons traversé des situations étranges, mais comme celle-ci jamais !

             _ Agent Chad, vous me permettrez de ne pas être de votre avis, certes nous avons vécu des moments difficiles et périlleux, je le concède, par exemple la fois où nous avions dû aller chercher Keith Richards perché sur son arbre au milieu d’une jungle dont personne à part nous et ce brave Keith n’est jamais sorti vivant. En tout cas je ne comprends pas ce qu’il aurait d’étrange et de mystérieux dans cette affaire.

    Sur le siège arrière les filles s’insurgèrent :

             _ Et les briseurs de murailles qui sortent des murs, vous ne trouvez pas cela mystérieux, à vous croire c’est tout-à-fait normal !

             _ Au premier abord oui, mais si vous prenez le temps de fumer quelques Coronados, vous vous apercevez que nous avons agi comme ces imbéciles qui ne regardent que le doigt qui vous montre la lune !

             _ Chef vous voulez dire que les passeurs de murailles ne sont qu’un leurre ?

    _ Je suis enchanté Agent Chad que vous commenciez à tirer le bon lacet qui permet de dénouer ce nœud cousu de de fil blanc !

    _ Donc, dans tout ce qui nous est arrivé jusqu’à maintenant nous avons été victimes de mises en scène dues à la CIA…

    _ Parfaitement, ils sont très forts, il faut le reconnaître !

    _ Oui, mais maintenant John Deere et Jim Ferguson sont très morts !

    _ C’est parce qu’ils ont trouvé plus forts qu’eux, à tous les coups l’on ne gagne pas !

    _ Et vous pourriez nous révéler qui se cache derrière la CIA ?

    _ Bien sûr, mais nous arrivons au bout de nos trois pages réglementaires, je vous le dirai la semaine prochaine !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 616 : KR'TNT 616 : DAVID EUGENE EDWARS / LUKE HAINES / ANDREW LOOG OLDHAM / LAWRENCE / CHET IVEY / LES VAUTOURS / LES FANTÔMES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 616

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 10 / 2023

     

    DAVID EUGENE EDWARDS / LUKE HAINES

    ANDREW LOOG OLDHAM

    LAUWRENCE / CHET IVEY

    LES VAUTOURS / LES FANTÔMES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 616

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Be careful with that axe, Eugene

     - Part One

    , david eugene edwards, luke haines, andrew loog oldham, lawrence, chet ivey, les vautours, les fantômes,

    David Eugene Edwards arrive sur scène. Il ne s’agit pas d’une arrivée comme les autres. L’homme cumule pas mal d’attributs : prestance, prestige, prescience. Il n’a pas encore ouvert le bec qu’on sent déjà la prescience en lui, cette espèce de qualité divine propre aux êtres profondément spirituels.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Son port altier et ses pas légers indiquent l’éminence de sa prestance, l’imminence de sa condescendance, l’omniscience de sa transcendance. Il paraît sans âge. Ce blond mystérieux porte les cheveux longs et un foulard noué sous un chapeau noir incliné vers l’avant, ce qui pourrait passer pour une coquetterie, s’il nous prenait l’idée saugrenue de se moquer. Mais on ne se moque pas. Au mieux, on cède à la fascination, au pire, on s’intrigue. Le mystère qui entoure sa personne impose le plus profond respect. Cumulées à l’ombre du chapeau, ses lunettes à verres teintés achèvent de masquer son regard, ce qui épaissit encore son mystère. Il porte un blouson de jean, un jean moulant qui luit un peu et des boots argentées. Il est l’Homme aux Pieds d’Argent. Haut et sec, il se déplace comme Captain America, dans Easy Rider. Même esthétique de cosmic cowboy, même désarmante aisance à incarner un mythe. Le pas ailé, la stature, le foulard sous le chapeau, tout cela renvoie aussi à Arthur Lee, qui fit en 2004 le même genre d’apparition surnaturelle au Trabendo. Rien qu’à voir David Eugene Edwards arriver sur scène, le public comprend qu’il va vivre un moment hors du commun.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    La scène ? C’est pas compliqué. Vide. D’un côté un poste de travail qu’occupe un side-man en casquette, et de l’autre côté, un pied de micro, un retour de scène et un ampli enveloppé dans le drapeau américain qu’on se plait à qualifier de génocidaire. Au milieu, un gigantesque écran sur lequel vont éclore des corolles emblématiques, une symbolique de l’au-delà et de l’éternelle beauté, aux antipodes des contraintes morales, par-delà le bien et le mal, on verra se succéder des reconstitutions numériques d’espaces intersidéraux et des choses plus organiques comme ce lit de roses noires où l’on voit bouger d’immenses pattes d’araignée,

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    ou encore ces mécanismes d’horlogerie prodigieusement graphiques, censés illustrer le décompte du temps qui passe et qui conduit inexorablement à la mort, et bien sûr, des crânes d’oiseaux plaqués d’or, véritables bijoux macabres, comme si le graphiste avait réussi à convertir Félicien Rops à la quadrichromie. Puisque David Eugene Edwards ne bouge pas, on regarde ces images qui finiront par donner le vertige.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Et pendant un peu plus d’une heure, David Eugene Edwards va plonger la salle dans ce qu’on appelle communément l’American Gothic, une série de complaintes extrêmement funèbres tirées pour la plupart de son nouvel album Hyacinth, et dont l’éclat lunaire finit par fasciner. Edwards s’enfonce dans son monde et enchaîne ses complaintes. Le contact avec le public se limite uniquement au chant. Les gens applaudissent à la fin de chaque complainte, mais Eugene se mure dans son silence. Il s’entoure de mystère, comme un poète enfermé dans sa tour d’ivoire. Il cultive ses climats, charge la barque de ses visions prophétiques. Il développe un sentiment d’extrême austérité que contredirait presque sa dégaine de cosmic cowboy. Il scande inlassablement. Il utilise parfois des langues inconnues, comme s’il était possédé. Il erre dans sa liturgie, il scande d’une voix forte le désir de rédemption impossible, il offre une suite au Prions Dieu que tous nous veuille absoudre de François Villon, mais l’Amérique étant beaucoup plus vaste que Montfaucon, alors la perdition d’Eugene est plus vaste, plus interminable, plus irrévocable.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Soudain on réalise qu’il fait de l’American Gothic purement littéraire, Eugene est l’Edgar Poe des temps modernes, l’Ambrose Bierce de la métempsychose contemporaine, on sort enfin de l’ère numérique et de tous ses pièges à cons pour retrouver le sel de la terre, c’est-à-dire une dimension artistique intimement liée à la mort, à la douleur du vivant et à la spiritualité. Il chante l’old time, il chante la Bible, il chante le Christ, il fait du gospel blanc qui est à l’exact opposé du gospel noir. Il prêche dans le désert et pourtant les gens boivent ses paroles. Enfin une poignée de gens. La salle n’est pas pleine. Le monde n’est pas peut-être pas prêt pour un artiste aussi métaphysique que David Eugene Edwards. On se plait à penser que si Jeffrey Lee Pierce était encore de ce monde, il proposerait exactement le même genre de récital.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Alors écouter Hyacinth dans ton fauteuil, c’est à tes risques et périls. Car tu n’as plus la présence d’Eugene. Tu dois te débrouiller tout seul avec les complaintes, et ça peut être long comme un jour sans rhum. Contrairement à ce qu’on a vu sur scène, son shamanisme est très orchestré. Dès «Seraph», il sonne comme Leonard Cohen et fait régner une tension énorme. C’est même du dark Cohen. Et puis, au fil des cuts, on replonge dans la démesure de ce récital, dans ce mélange de deep Atmospherix et d’éclatants mystères organiques. Avec «Celeste», il s’adresse non pas au Christ, mais à Demeter, la Mère de la Terre - Dweller in the dwelling - Eugene s’adresse aux dieux - Speak this way/ To all the gods - Le voilà paumé dans «Though The Lattice» - I have no question/ No question for anyone - il gratte sous le soleil d’un spot, l’ambiance reste très littéraire, très edwardienne. Il scande le dark comme le fait si bien Leonard Cohen, You are the real art of Mars Aries, clame-t-il dans «Apparition» et il ramène le Veil of Venus dans «Bright Boy». Il scande ses strophes mythologiques, il n’en finit plus d’offrir des offrandes aux dieux. Cet album est un temple. Il peut devenir wagnérien comme le montre le morceau titre, il navigue à bord d’un vessel sublime et scande son Perpetua Persephonea/ Pythic perfect, il exhale le Breath de fin. Tout semble lié sur cet album, il sacrifie son chant sur l’autel  de «Lionisis», psalmodiant Rose of Sharon Dragon/ thou shalt/ Rise hidden lion, et lâche dans un dernier souffle Earth born Orion, comme une ultime indication

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Pour se remettre un peu dans le bain, on avait ressorti de l’étagère tous les albums de Sixteen Horsepower. Le premier date de 1984 et s’appelle Sackcmoth ‘N Ashes. Quarante ans, déjà ! Et pourtant, c’est un peu comme si c’était hier. C’est là qu’on trouve le gros hit d’Horsepower, «American Wheeze», tapé au riff de bandonéon - I’ve grown tired/ Of the moods of the single man - Il ramène son apothéose et envoie son Wheeze exploser au we’ll see/ We’ll see, et boom de Bring your blade and your gun/ And if I die by your hand/ I’ve gotta home in glory land. On comprend que les foules françaises se soient extasiées à l’époque. L’autre énormité, c’est «Harm’s Way», monté sur un beat bien ahané, réchauffé une fois encore au bandonéon. Les autres cuts sonnent comme des harangues patibulaires, Eugene fait parfois son Jeffrey Lee Pierce («Scrawled In Sap»), et il gratte son banjo à la pointe du progrès («Ruthie Lingle»). Il sait aussi cavaler ventre à terre («Heel On The Shovel») et chante «Prison Shoe Romp» à la desperate d’Ida done better from craddle to coffin. Il ultra-chante, c’est son fonds de commerce. Sa raison d’être. Il évoque le sang de l’agneau (the blood of the lamb) dans «Strong Man» et là, on ne rigole plus, car il s’agit de pendre un homme - Get a rope and make it quick.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    On comparait jadis l’Horsepower au Gun Club. La preuve de cette allégation se trouve sur Low Estate. Eugene y tape une magistrale cover de «Fire Spirit». Voilà le vrai power de l’Horsepower. C’est en plein dans le mille, effarant de Spirit. Eugene sait rocker les colonnes du temple. Il fait un autre numéro de cirque avec «Sac Of Religion». Ce fantastique shouter sait chauffer son voodoo. Gratté au banjo, «Brimstone Rock» somme comme un mélopif sacrificiel d’here comes the father yeah. Eugene devient alors le roi du plaintif alambiqué. Il crée son créneau et n’en sortira plus. Il fait entrer un violon sur «My Narrow Mind», une façon comme une autre de cumuler les fonctions. Il impose un style. Il yodelle plus qu’il ne chante. On dit d’Eugene qu’il a la glotte agile. Le morceau titre sonne comme un gros boogaloo de cimetière blanc. Il peut devenir aussi funéraire et aussi pénible que Nick Cave. «For Heaven’s Sake» est plus rocky-mountain, car on y entend une belle guitare électrique, Eugene se positionne cette fois au rock de come along. Il revient vite à ses roots chéries avec «The Denver Grab». Ça sent bon la mine de cuivre en hiver et les doigts gelés.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Premier album live avec Hoarse en l’an 2000. Occasion rêvée de réviser ses leçons. Boom dès «American Wheeze». Pas de meilleure entrée en matière, une merveille. Sur scène, l’Horsepower développe une énergie considérable. Plus rien à voir avec les albums studio. Ils tapent une belle cover du «Bad Moon Risin’» de Fog. C’est bien plombé, bien lourd de conséquences, traîné devant l’autel pour le sacrifice. C’est dire le poids de ce Bad Moon Risin’. L’Horsepower se fait une spécialité de l’explosion sous le boisseau. Live, «For Heaven’s Sake» sonne comme un hit du Gun Club. Ça prend de sacrées tournures. Eugene et ses copains français sont capables d’apocalypses. Leur Heaven’s Sake prend une dimension shamanique, ils jouent avec un élan congénital, la tension dramatique est extrême, complètement Piercienne, et les vieilles cocotes fauchent comme la mort. Petit conseil d’ami : privilégiez les albums live aux albums studio de l’Horsepower. Ils tapent à la suite «Black Lung» au heavy banjo. Ils n’en ratent pas une. Ils creusent leur mine de cuivre à mains nues. On croirait entendre des mineurs primitifs envahis d’aspirations. Voilà encore un «South Pennsyvania Waltz» bien chargé de la barcasse, l’Eugene est emporté par les vagues, beat élastique, fantastique de get your boots on boy/ get out. L’Eugene est le roi du Big Atmospherix minier. Il attaque son «Brimstone Rock» au banjo blast. L’Horsepower ? Une affaire en or ! Eugene savait alors déclencher l’enfer sur la terre. La pluie de feu se calme et puis repart. Ils détiennent le pouvoir de Zeus.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Nouveau shoot de Gun Clubbing sur Secret South, paru lui aussi en l’an 2000 : «Clogger» pourrait figurer sur n’importe quel album du Gun Club. L’Eugene prêche plus qu’il ne chante. C’est heavy et bien hanté. L’autre point fort de l’album s’appelle «Cinder Alley», attaqué comme «American Wheeze» au riff de bandonéon. Le son s’étrangle et l’Eugene aussi. Puis l’album s’enlise. On dirait qu’Eugene s’écoute chanter, comme d’autres s’écoutent parler. Avec «Silver Saddle», on sent le trop dans-la-plaine, mais on s’ennuie. C’est long la plaine. Sur cet album, tout n’est pas bon, loin de là. Très loin de là. Trop de westerns de pacotille. «Just Like Birds» sonne comme une petite Americana à la ramasse de la rascasse. L’Eugene tente de sauver l’album avec la cover d’un outtake de Dylan, «Nobody ‘Cept You», mais ça reste litigieux. L’Eugene ne parvient pas à s’arracher du sol. Sa cover brille pourtant de mille feux, mais ce n’est pas vraiment le bon choix. Dans les pattes d’Eugene, ça devient banal.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Il s’enfonce encore plus profondément dans l’Americana avec le bien-nommé Folklore. Il tape dans la Cajun avec «La Robe A Parasol» - Va danser/ Va danser dans les bras d’ton gars/ Si t’as des hanches/ Ta robe un parasol - Wild country strut avec «Single Grit», heavy banjo bound de she’s goin’ dressed fine. Fantastique énergie ! Il attaque encore «Outlaw Song» au banjo. Logique, pas d’outlaw sans banjo. Un vrai western. Il est fait prisonnier et demande : «What do you want from me ?». Alors il tire - They were dead before they could move - Puis on s’ennuie avec «Blessed Persistance» et son you burned my bridges for me. Il repend l’«Alone & Forsaken» d’Hank Williams et se prend pour Nico avec «Horse Head Fiddle».

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Tu vas trouver deux beaux hommages au Gun Club sur Olden : «Slow Guilt Trot» et «Dead Run». Il est en plein Pierce, tendu à se rompre, comme cavalé. L’Eugene sonne comme un vrai desperado, «Slow Guilt Trot» est bardé de booming, ça bat à la baratte folle. C’est encore pire avec «Dead Run». Il fait un gros fric-frac d’Americana avec «Heel On The Shovel» et part ventre à terre. L’album propose en fait trois sessions. La première est très plaintive, même inaugurée par l’«American Wheeze». L’Eugene se plaint tout le temps. Il a grandi dans une mine de cuivre. Avec lui, on sort les mouchoirs. Les Horsepower ont pourtant du son, mais «Prison Shoe Romp» reste très intrinsèque, très exacerbé écorché vif. On finit par sympathiser. Belle ambiance. C’est une autre époque. Avec la deuxième session, ils passent à autre chose, dès «South Pennsylvania Waltz». Toujours cette manie de traîner la savate en pleurnichant mais ça devient fascinant, avec le big bassmatic des profondeurs. On peut parler de profondeur abyssale. Le son change tout. Nouvelle version d’«American Wheeze» vite avalée par le beat. L’Eugene est encore très Piercien sur ce coup-là, ça tourne au hard blues d’Horsepower, ça monte comme la marée. Encore du wild Horsepower avec «Shametown». L’Eugene te dégage les bronches à coups de banjo. Puis il tape «Train Serenade» à la slide fantôme et le train se met en branle. Les deux cuts Gun Clubbish épinglés plus haut sortent de la troisième session.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Live March 2001 va tout seul sur l’île déserte. On y retrouve tous les hits avec un son énorme, à commencer par l’«American Wheeze» et son riff prométhéen de bandonéon, suivi du Gun-Clubbish «I Seen What I Saw», en plein prêche de Pierce, heavy comme pas deux - Thank you for clapping ! - Plus loin, tu as encore du pur jus de Gun Club avec «Clogger», power du diable, boom boom boom, c’est bombardé d’électrons. Ces mecs te démolissent toute la façade. Tu as aussi «Cinder Alley», monté comme American Wheeze sur un riff qui devient tentaculaire, et «Straw Foot», défoncé à coups de bassmatic et ramoné au gratté de banjo. Après tu as les textes. «Harm’s Way» ratiboise tout sur son passage et «Haw» sonne comme un coup de génie éclaté à coups de slide, bardé de tout le bim bam boom qui se puisse concevoir ici bas. Powerus inexorabilus !, s’écrie l’archiprêtre face à cette purge d’excellence totémique. Les Horsepower ne reculent devant aucun excès, comme le montre encore «Praying Arm Lane». Ils sont dans l’énergie shamanique de Jeffrey Lee Pierce. L’Eugene pousse très loin le bouchon du plaintif d’extrême onction. Ce festin se poursuit avec le disk 2 et «Splinterers», l’Eugene groove son va-pas-bien, ça monte comme la marée du siècle. Il s’en va au bord de la falaise gueuler «Phyllis Ruth» face à l’océan. Il adore prêcher dans le désert. Puis il tape «24 Hours» à la dure et déclenche l’enfer sur la terre. Une vraie machine ! Il fait le «Partisan» en anglais et referme la marche avec une version explosive de «Dead Run». L’Horsepower aura su marquer son époque. Les dégelées antédiluviennes n’ont aucun secret pour lui. L’Eugene sait se fâcher pour de vrai. C’est là, dans Dead Run, qu’il entre en osmose avec son héros Jeffrey Lee Pierce.

    Et puis tu as Wooven Hand. Pas ce soir. Un autre soir.

    Signé : Cazengler, Eugèle en hiver

    David Eugene Edwards. Le 106. Rouen (76). 28 septembre 2023

    16 Horsepower. Sackcmoth ‘N Ashes. A&M Records 1984

    16 Horsepower. Low Estate. A&M Records 1997

    16 Horsepower. Hoarse. Glitterhouse Records 2000

    16 Horsepower. Secret South. Glitterhouse Records 2000

    16 Horsepower. Folklore. Glitterhouse Records 2002

    16 Horsepower. Olden. Jestset records 2003

    16 Horsepower. Live March 2001. Glitterhouse Records 2008

    David Eugene Edwards. Hyacinth. Sargent House 2023

     

     

    Luke la main froide

    - Part Four

     

    , david eugene edwards, luke haines, andrew loog oldham, lawrence, chet ivey, les vautours, les fantômes,

    Dans l’une de ses columns, Luke la main froide rappelait tout le bien qu’il pensait d’Hawkwind. Il commence par déclarer qu’il existe quatre époques d’Hawkwind : «The early embryonic stoner busker phase, suivie du classic United Artist space-rock period, incorporating the twin towers of Lemmy as speed-freak-biker-talisman and Stacia as topless-acid-dancing-Dolly-Dorris-petrol-pump-attendant-gone-rogue. Puis il y a la troisième époque avec the ‘Wind led by Captains Dave Brock and Robert Calvert. Puis il y la quatrième époque qui démarre en 1980 avec Levitation : the trance, les donjons et les dragons, bad heavy metal period.» Selon la main froide, Robert Calvert est de toutes les époques même si, précise-t-il, il casse sa pipe en bois en 1988.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Un premier album sans titre d’Hawkwind paraît sur Liberty en 1971. C’est là-dessus que se trouve l’excellent «Hurry On Sundown», gratté à coups d’acou. C’est la première mouture d’Hawkwind avec, autour de Dave Brock, John Harrison (bass), Huw Lloyd-Langton (lead), Terry Ollis (beurre), Nik Turner et Dikmik. C’est Dave Brock qui balance les coups d’harp. Aw quel son ! Alors après, ça se gâte terriblement. Ils font un peu n’importe quoi, ça jamme dans tous les coins. Il faut attendre «Mirror Of Illusion» pour les voir renouer avec l’excellence et Dikmik envoie ses spoutniks. Il est essentiel de rappeler que Dick Taylor produit ce premier album.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Calvert devient pote avec Nik Turner et grenouille dans l’underground. Il est déjà all over In Search Of Space, mais il n’y chante pas. C’est sur cet album qu’on trouve l’énorme «Master Of The Universe». Dave Brock est l’un des grands rois du riff, c’est aussi solide que le «Silver Machine» à venir, même unité de l’unicité, même embolie de l’embellie, même solidité de la solidarité. L’autre bonne affaire de l’album est le «You Shouldn’t Do That» d’ouverture de balda, joué à la violence intentionnelle. Ah on peut dire que les Anglais savent battre la campagne du space-rock ! Ils proposent ici un bel élan d’hypno avec le sax tourbillonnaire de Nik Turner. N’oublions pas qu’ils font partie du fameux proto-punk britannique, ils créent leur monde à la force du poignet. Fantastique énergie d’équipe, avec un line-up qui a déjà commencé à changer : autour de Dave Brock, on trouve Dave Anderson (bass), Dikmik & Del Dettmar (spoutniks) et Terry Ollis (beurre).

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    L’année suivante paraît l’un des meilleurs albums d’Hawkwind, Doremi Fasol Latido. Lemmy est entré dans la bergerie et Simon King a remplacé Terry Ollis. On assiste à l’incroyable décollage de «Space is Deep», en plein cœur du cut. Luke la main froide devait se pâmer devant un tel phénomène. On entend aussi Lemmy jouer en solo dans «Lord Of Light». Il joue littéralement dans le cours du fleuve, son drive brouteur bouffe le Lord de l’intérieur. Il n’en finit plus de remonter à la surface du fleuve avec ses drives mécaniques. Encore une merveille avec «Time We Left This World Today», un cut frappé en plein cœur par un énorme break de basse signé Lemmy.  Ça vaut tous les breaks de Tim Bogert. Lemmy est un grand fracasseur, un titan du break, qu’on se le dise. Et ça repart de plus belle avec «Urban Guerilla». Comme ces mecs sont bons ! Ils bombardent comme des avions américains, avec cette basse sous-jacente qui avance comme une walking bass dans le chaos.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    On trouve «Silver Machine» sur le Space Ritual Alive paru en 1973. C’est Calvert qui écrit les paroles de cet albatross of a summer hit. La main froide se marre car tout le monde croit qu’il s’agit d’un texte sur un vaisseau spatial alors qu’en fait Calvert raconte ses virées en mobylette à Margate, où il a grandi. Puis Calvert est promu Space Poët et se retrouve sur Space Ritual. La main froide a raison de dire que tout a été dit sur Space Ritual, mais à toutes les gloses, il préfère le slogan publicitaire qui accompagna la parution de l’album : «Ninety Minutes of Brain Damage». Voilà pourquoi Hawkwind et Luke la main froide nous sont si précieux. Sur ce fastueux album live, on retrouve tous les hits qui font déjà la réputation d’Hawkwind, à commencer par l’effarant «Master Of The Universe», proto-punk de bon aloi, fast tempo avec un bassmatic dévorant et des spoutniks. On retrouve aussi en D l’inestimable «Time We Left This World Today» qui cette fois repose sur les chœurs. Lemmy s’empresse de démolir ce cut infiniment totémique. Les coups de sax et les harangues sonnent comme des clameurs antiques. C’est très spectaculaire. Sur «Born To Go», Lemmy prend tout de suite la main avec son bassmatic mangeur de foie. Il met tout le cut sous tension. C’est extravagant ! En B, on l’entend encore chevroter dans «Lord Of The Light», survolé par le vampire Nik Turner. Ils jamment comme des dingues. C’est un album qui s’écoute et qui se réécoute sans modération. Un seul défaut : la guitare de Dave Brock se perd dans le mix. Lemmy et Nik Turner se partagent donc le festin. Ils se tapent une belle montée en température avec «Space Is Deep». Tous ces cuts sont parfaits, taillés pour la route. Ces punks d’avant le punk savent voyager dans l’espace. Nik Turner vient hanter «Orgone Accumulator» en B et on assiste à une pure Hawk Attack avec «Brainstorm». Grande allure, riff en avant toutes, heavy proto-push plein de poux et de spoutniks. Un riff que vont d’ailleurs pomper goulûment les Damned pour «Net Neat Neat».

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Encore un big album l’année suivante avec Hall Of The Mountain Grill. Qu’est-ce qu’on a pu fantasmer à l’époque sur cet album et sur cette pochette ! Il faut bien dire qu’on était dingues d’Hawkwind comme de Third World War, d’Edgar Broughton et des Pink Fairies. Tous ces groupes relevaient du sacré et leurs albums ne décevaient guère. Sur Hall, se trouvent trois bombes, à commencer par «The Psychedelic Warlords (Disappear In Smoke)» : classic Hawk, bien riffé et superbement chanté, avec Dave Brock en tête de la meute. C’est un hit tentaculaire, assez tribal dans son essence, chanté à la clameur, avec une fantastique insistance de la persistance. Dave Brock nous plonge là dans un véritable lagon d’excelsior mélodique. Sur la réédition d’Hall Of The Mountain Grill parue en 2014, on trouve en D la version single de ce hit fantastique. La deuxième bombe est un autre gros précurseur proto-punk : «You’d Better Believe It», un cut directement inspiré du Velvet, avec le délire de Nik Turner embarqué par le tourbillon. La troisième bombe s’appelle «Lost Johnny». Dave Brock l’embarque et le chante à la revoyure. On se régale aussi de «Paradox» et de son indéniable présence. Ces mecs savent mettre en marche l’armée d’un cut. Dans les bonus de la red, on trouve «It’s So Easy» monté sur les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Fantastique résurgence !

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Dernier album sur United Artists : Warrior On The Edge Of Time. Belle pochette mais compos plus proggy. Nik Turner joue de la flûte, ce n’est pas bon signe. Ça turbine pourtant bien derrière, avec Lemmy et deux batteurs, Simon King et Alan Powell. On voit Lemmy se balader sur le beat d’«Opa-Loka». Dave Brock sauve l’A avec «The Demented Man», un balladif d’un très haut niveau mélodique. La viande se trouve au bout de la B avec deux cuts, «Dying Seas» et «Kings Of Speed». Tout le power d’Hawk est de retour, ça joue heavy au pays d’Hawk. Surtout sur «Kings Of Speed», et son fantastique déballage. Dave Brock sait générer des chevaux vapeur, c’est un exubérant, il doit être la réincarnation d’une locomotive. On entend même un violon dans cette volée de bois vert.

    Luke la main froide consacrait sa sixième chronique aux Television Personalities, a sad story mais au cœur de laquelle se niche perhaps the great lost psychedelic album of the 80s : Mummy Your Not Watching Me. Selon la main froide, «If I Could Write Poetry» n’a d’égal que le «Pale Blues Eyes» du Velvet - I’m not kidding - En 1981, les Television Personalities sont trois : Dan Treacy, Ed Ball et le drummer Empire. La main froide raconte ensuite le tragique destin de Dan Treacy, booze & drugs, la rue et les vols. Il va trois fois au ballon pour vol. Il ne lui reste plus que sa légende de cult-hero, ce qui lui fait une belle jambe. Puis Dan se fait tabasser dans la rue, des coups à la tête et c’est le coma. La main froide n’a pas beaucoup de détails. Dan doit subir une opération pour virer un caillot de son cerveau. Aux dernières nouvelles, il serait en train de se retaper dans une maison de repos. Luke : «I hope he gets to make music again, of that’s what he wants. And I hope that the world is a little kinder next time to Dan Treacy.»

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Elle a encore raison la main froide de mettre le paquet sur Mummy Your Not Watching Me. Quel album ! «Adventure Playground» sonne comme un hymne Mod, emmené par le féroce bassmatic d’Ed Ball. Dan chante à la manière de Syd Barrett et distille l’énergie des Who. Ça donne une vraie teigne de petit cut cockney. Puis voilà «Brian’s Magic Car», magnifique de décadence, tapé à la Mark E Smith. Dan nous gratte ça à aux puces d’arpège. Le cut est tellement barré qu’il semble se captiver pour sa propre captivation. Puis Dan tape dans l’une de ses prédilections, les chansons consacrées à des personnalités. «David Hockney Diaries» est une heavy pop davidienne, mais sans l’eau bleue des piscines - I want to fly around the world in my own private plane/ I want to party every night so I can sleep all day - Dan est drôle. Il s’autorise même quelques petites sorties à la Johnny Rotten. Il revient aux Who avec «Painting By Numbers» et la bonne grosse énergie foutraque. Il nous gratte ça au happy go lucky. Retour à la belle pop dégingandée avec «If I Could Write Poetry», petite merveille montée sur un bassmatic épique. Dan et Ed Ball sont effarants de prestance, ils jouent dans l’éclat d’un matin d’été à Chelsea. TV Dan est un garçon magique.

    Dans une autre column, la main froide salue Donovan qui vient de fêter ses 70 balais. Elle commence par fracasser l’autobio de Big Don d’un coup de hache - lui reprochant une certaine vantardise, with claims to have pretty much invented everything ftom the wheel, God, spoons and raga rock onwards - mais il devient plus charitable en insinuant que Donovan est l’un de ceux qui vieillit le mieux, mais il faut lire ça en anglais : «But it is my contention that Big Don’s 60s canon has aged remarkably better than that of many of his more revered contemporaries.» Les tournures d’un écrivain restent les tournures d’un écrivain. Inutile de tourner autour. L’écrivain est né pour être lu, puis cité. La main froide rappelle que Donovan a pris la route très tôt pour suivre ses Kerouac fantasies puis il s’est installé sur une plage à Torquay avec the excellently named Gipsy Dave - However far-out and kaftanned-up Don got, there was always something gloriously provincial about him he could never escape - La main froide salue ensuite Fairytale, un album qui va influencer des tas de gens, à commencer par Nick Drake qui, selon la main froide, va lui pomper sa voix quatre ans plus tard. Jamais en reste de pics, la main froide ajoute que McCartney devait être terrorisé. Eh oui, Donovan n’avait que 19 ans. Et boom, Mickie Most entre dans la danse pour enregistrer en 1965 the truly first psychedelic album, Sunshine Superman qui va se vendre à un million d’exemplaires aux États-Unis en 1966 - Don was now Pop Imperial - La main froide ajoute que «Mellow Yellow» ‘invented’ The Velvet Underground («electrical banana»). Puis Donovan invente le concept du box set avec A Gift From A Flower To A Garden, une boîte qui contient deux albums. La main froide espère bien être encore là dans dix ans pour fêter les 80 balais de Donovan.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    En réalité, Fairytale n’est pas un très bon album. Trop folky folkah. La pochette psychédélique trompe sur la marchandise. Au mieux, Don revient à la pop par la bande («Circus Of Sour»), mais il s’égare avec cette pop ingénue sans direction, ni but dans la vie. Il revient au Dylanex avec deux Ballads en fin de B, celle du Crystal Man et celle de Geraldine, mais on s’ennuie. Pire encore : avec «Candy Man», Don se chante dessus, il joue la surenchère de coin du feu et arrose tout ça d’harmo. L’album est d’une faiblesse endémique. C’est là où Mickie Most intervient. Il emmène Don chez un tailleur hip de Londres. Il fout la casquette, les jeans et le rack d’harmo à la poubelle et transforme son poulain en dandy psychédélique. Ça tombe à pic, car Don vient de pondre un hit : «Sunshine Superman». Most est ravi. Un single suffirait mais Epic décide d’en faire un album qui paraît en 1966. «Sunshine Superman» entre dans la catégorie des hits éternels, ceux qui fonctionnent comme des machines à remonter le temps. Most propose de rallonger la sauce avec une version de «Season Of The Witch» bien étendue et fabuleusement inspirée. Don s’y montre fantastique, oh no ! Sa version est plus psyché que celle de Stephen Stills dans Supersession. Nouveau coup de Jarnac avec «The Trip», Don swingue la pop anglaise. On le sent parfaitement à l’aise dans les formats légers. Il va et vient comme une libellule psychédélique. Mais attention, tout n’est pas rose chez lui. Il arrive que sa psyché orientée nous endorme lentement mais sûrement, comme c’est le cas avec «Three King Fishers» et «Ferris Wheel». Si tous les cuts de Donovan étaient des hits, ça se saurait. Il boucle cet album mi-figue mi-raisin avec l’excellent «Celeste». Il chante à l’intimisme et c’est imparable car il réunit toutes les conditions idéales : voix, compo, mélodie. Ça file droit au firmament de la pop anglaise.

    Dans une autre column, la main froide se prosterne jusqu’à terre devant Soft Machine qu’il qualifie de «one of the most influential of the original British psychedelic groups - and psych as blazing hell they were.» La main froide ajoute qu’après avoir viré Robert Wyatt, «their, erm, jazzier recordings are a whole different trip - a weird, stiffy English and sometimes rather boring one.» Elle a raison la main froide, qualifiant même Fourth de totally jazz and totally not good. Retour à l’extase avec l’évocation des débuts du groupe à Canterbury with nous dit-elle (la main froide) «full-blown genius Daevid Allen, Kevin Ayers, Mike Ratledge and pagan rock god Robert Wyatt on wild drums», puis house-band de l’UFO de Joe Boyd, chouchous de Jimi Hendrix qui les emmène en tournée aux États-Unis, puis le premier album enregistré live avec «Kevin Ayers on lead bass, a free rock classic» et comme Daevid Allen avait quitté le groupe, «it was a guitar less, bass heavy, organ-led Dada racket. You should own it.» La main froide ajoute la bave aux lèvres qu’après «this huge artistic success», les Soft firent ce que font tous les grands groupes : splitter. Kevin Ayers se barre. «A whole another story» nous dit cette gourmande de main froide. C’est là que Robert et Ratledge se maquent avec l’all-purpose Open Uniniversity lecturer lookalike Hugh Hopper pour enregistrer Volume 2, que la main froide trouve encore meilleur que le premier, heavier on the Dada, post-moderne et avec plus de voix. The Voice. Mais les choses vont comme on sait mal tourner, puisque pour Third, Ratledge et Hopper décident de marginaliser The Voice en engageant the non-rock god Elton Dean. Bizarrement, la main froide qualifie Third de masterpiece.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Un point de vue qu’on ne partage pas : Third est un album privé de chansons, beaucoup trop jazz-rock. Il faut avoir du courage pour écouter ça. Sur sa face, Ratledge se montre tentaculaire. Il faut attendre «Moon In June» en C pour retrouver Robert et son joli son troublé de gouttes. Après un beau solo d’orgue syncopé, Robert reprend le chant d’une belle voix de nez et swingue son chat perché. On assiste à de belles descentes dans les tourbillons de fusion basse/cornet, comme dans le premier album. La voix de Robert vient se fondre dans la luxuriance d’un jazz de tourneboule. Au cœur de ce délire impénitent, ils créent du rêve harmonique. «Moon In June» est la seule raison d’écouter Third.

    La main froide consacre aussi une column à l’Airplane, qualifiant After Bathing At Baxter’s d’acid-as-life manifesto. Elle salue (la main froide) le brain-blitzingly audacious «White Rabbit» et le super-nasty «Somebody To Love», puis traite Grace Slick de big badass. Visiblement, la main froide a lu son autobio : Grace Slick n’est en effet pas avare de détails crapoteux. La main froide indique que Baxter est un nom de code pour LSD, que l’album aurait dû s’appeler We Are Absurdly High et qu’il ne doit rien au côté mou du genou de la counterculture hippie «because that album in particular is as hard as Henry Rollins’ personal trainer.» Le concert de louanges continue avec l’opener «The Ballad Of You & Me & Pooneil» qui sort d’un vent de feedback, avec «Grace and co-lead vocalist Marty Balin howling ‘I get high When I die’ over primal freak-beat.» La main froide n’en peut plus, elle voit le «Young Girl Sunday Blues» de Marty Balin comme une engueulade avec God. Man this album is relentless and at the heart of it is Grace’s Wild Thyme. Alors la main froide entre en transe : Up against the wall, muthafucker.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    After Bathing At Baxter’s bénéficie en outre du prestige d’une pochette dessinée par Ron Cobb, illustrateur en vogue à l’époque. «The Ballad Of You & Me & The Pooneil» est en effet l’un des grands hits de l’Airplane. Pur jus de gaga-psyché d’antho à Toto, secoué par des rafales d’accords sévères. Portés par un drive puissant, Marty et Grace se partagent les tâches ménagères. Ils groovent magnifiquement. Ce chant insurrectionnel va devenir leur marque de fabrique. Des tocades de pasionaria et des petits coups de solos flash entrelardent le son. Jorma, c’est le bâton du berger. Il est taillé dans le bois d’olivier. Et puis on se régale bien sûr du walking bass sound de Jack Casady. Quelle énormité ! Groove encore avec «Young Girl Sunday Blues». Grace fait monter sa voix comme une salade retardataire de potager. Grâce à Grace, le son de l’Airplane est reconnaissable entre mille. Encore un chant d’assaut avec «Wild Tyme» - la main froide rajoute un h dans Tyme - mais des ponts ineptes brisent leur élan. Dans les albums suivants, les chansons de l’Airplane partiront souvent au combat, sur un beat tribal fait de basse massive et de vibrillons digressifs.

    Nouveau shoot de ferveur Lukinienne avec Swell Maps. Elle commence (la main froide) par ironiser sur l’historique de l’avant-gardisme domestique britannique : l’inutilisable reel-ro-reel tape machine permettant de faire des cut-ups à la William Burroughs, qui coûte cher et encore plus cher avec the heroin habit qui va avec. Puis vient le temps du built-in cassette recorder and condenser microphone qui permet de donner voix au Joe Meek qui dort en chacun de nous. Et pouf, la main froide cite en exemple l’astonishing Trip To Marineville paru en 1979. Elle leur rend hommage en affirmant que les frères Godfrey (Nikki Sudden et Epic Soundtracks) et leurs copains Jowe Head, Biggle Books et Phones Sportsman surent créer leur monde, dans le salon des parents. En enregistrant tout simplement sur leur tape-recorder de family music center. Pas de batterie ? Epic fait des bulles dans un seau d’eau. Pas de basse ? Jowe met l’aspirateur en route. C’est ce qu’on entend sur the Maps fabled debut. La main froide ajoute que les Maps n’avaient rien à voir avec le punk, ils sonnaient plutôt comme T.Rex, or Syd Barrett or just a cacophony.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Sur la pochette d’A Trip To Marineville, une baraque prend feu. Ils jouent en effet un punk-rock de front-room on fire, mais avec les moyens du bord. Ils sont dans le DIY de Spiral Scratch, comme le montre «Another Song». Swell Maps entre en osmose avec Buzzcocks. Et voilà le coup de génie pressenti : «Vertical Slum» - The weather ! The leather/ The weather ! The leather - Ce punk primitif vaut bien celui du Magic Band. Nous voilà au cœur du primitivisme, la sinécure de Buzzcocks. Retour à l’excelsior du Magic Band avec «Harmony In Your Bathroom», ils tapent dans l’irrévérence absolue, on entend les bubbles dont parle la main froide dans sa column. C’est dans «Midget Submarines», excellent cut de rock insidieux, qu’on entend l’aspirateur dont parle aussi la main froide. En B, ils rendent hommage à l’hypno de Faust avec «Full Moon In My Pocket» et visent le hit avec un «Blam» bien tendu, plein de small Swell, hanté par une basse intermittente et le vaillant Nikki monte sur la barricade - I don’t care/ I guess I’m nearly dead.

    Dans une column datée de Christmas 2021, la main froide raconte comment elle fut invitée par Jowe Head à participer au concert de reformation de Swell Maps, avec Phones Sportsman, Golden Cockrill (membres originaux), Lee McFadden et Jeff Bloom (des Television Personalities), Dave Callahan (des Wolfhounds) et Gina Birch (des Raincoats). La main froide dit ensuite tout le mal qu’il pense des reformations - I’m not keen - et pour se dédouaner, il explique que Swell Maps n’a quasiment pas joué en public, et donc ce n’est pas une reformation, puisque les gens n’ont pas vu le groupe sur scène, et d’autre part, il indique qu’il était trop jeune en 1979 pour jouer dans Swell Maps, «so rather than being involved in a band reformation, I see this escapade as me temporarily joining my favourite band ever.»

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Franchement, on se demande vraiment ce que la main froide a pu trouver d’intéressant dans l’Anomie And Bonhomie de Scritti Politti. La violence de la pop ? Mais c’est une violence en plastique. Green Gartside pique sa petite crise. Il fait une petite pop de blanc à la mormoille. On perd complètement le côté Robert Wyatt qui illumine Songs To Remember. Pourquoi la main froide a-t-elle flashé sur cet album ? C’est un mystère. Et plus on avance dans l’album et plus ça se dégrade. Il fait du rap de blanc à la mormoille, une pop de mas-tu-vu, la new wave anglaise de 1999 dans toute son horreur. Par contre «Here Comes July» sauve les meubles, ça nous rappelle l’excellente pop des Wannadies.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    La main froide rappelle quelque part qu’il fit partie des Servants de David Westlake. C’est d’ailleurs elle, la main froide, qui signe les liners de cette somptueuse réédition, un double album baptisé Small Time/ Hey Hey We’re The Manqués (habile clin d’œil aux Monkees) et paru en 2012. De sa belle plume, la main froide nous explique que cet album enregistré en 1991 s’appelait Small Time et qu’il n’est jamais sorti, d’où l’idée du Manqué. Elle qualifie The Servants de Middlesex’s more cerebral answer to the Monkees. Elle indique que le groupe voulait Steve Albini comme producteur, puis Kramer. Nope. Pour situer le son de cet album étrange, elle parle d’avant expressionnist angles dans les compos d’un David Westlake moins Bacharach qu’à ses débuts et more outisder in existential crisis. Comme Creation ne les suit pas, trop occupé avec Teenage Fanclub, le groupe se désagrège. Plus de batteur ni de bassiste. La main froide et Westlake se retrouvent à deux avec du petit mathos, deux quatre pistes et une boîte à rythme. Ils enregistrent les démos qu’on entend sur la red - The new songs are looser, more mysterious, strange and beautiful, transcending their influence and sounding... like nothing else really - Comme toujours, elle a raison la main froide. L’ambiance générale de Small Time est celle d’une petite pop orchestrée, très insidieuse et quasi-Dada, et pour tout dire, assez envoûtante. Comme c’est très spécial, ça passionne. «Complete Works» est même ultra-Dada, assez pur dans l’intention, processionnaire comme l’est la chenille du même nom. En B, on tombe sur «The Thrill Of It All» qui n’est pas celui de Roxy, mais un petit chef-d’œuvre de weird music. On pense à une petite pop odorante. Le «Word Around Town» qui ouvre la bal de la C s’inscrit dans une certaine forme de préciosité, cette petite pop ramassée paraît même assez imbue d’elle-même. La préciosité finit toujours par tuer Dada. C’est prouvé. Au fil de la C, on finit un peu par passer à travers la traviole. On s’arrête un moment devant «She Grew And She Grew», curieux cut filigrané, assez doux au toucher. «She’s Always Hiding» tombe à pic pour nous remercier de notre patience, oui car voilà une petite merveille délicate digne de «Pale Blue Eyes». On les sent prédestinés à de grandes œuvres. Le «Third Wheel» qu’on croise en D sent bon le Magic Band et «Big Future» renoue avec le weirdy weirdy petit bikini.

    La main froide fait aussi grand cas des Go-Betweens, mais nous en ferons grand cas un peu plus tard, car c’est un gros chapitre à part entière.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Elle a raison, cette bonne main froide, d’insister sur les premiers albums des Status Quo, car avant qu’ils ne deviennent les champions du mindless boogie, les Quo enregistraient des albums de boogie-rock anglais très pertinents, notamment Ma Kelly’s Greasy Spoon, du pur Pye de 1970. Le «Spinning Wheel Blues» d’ouverture de balda est assez imparable. On comprend ce que la jeune main froide dut éprouver au fond de sa culotte en entendant ça pour la première fois. Well done, Quo ! Et comment résister à cette pochette, à cette dame tellement anglaise accoudée au bar avec ce mégot au coin des lèvres. On s’épate encore de l’«April Spring Summer And Wednesdays» de bout d’A, cut superbe et insidieux, bien amené à la traînarde et groové sous le boisseau. La B est un peu plus dense, avec son boogie-blues à la Fleetwood Mac («Junior’s Wailing»), même démarche, même son, même spirit. Toutes les structures du Quo sont des structures de blues, ils montent leur petite entreprise au twelve bar blues boom. D’ailleurs ils reprennent le «Lazy Poker Blues» de Peter Green, comme ça, au moins, les choses sont claires. Ils bouclent leur bouclard avec un boogie aventureux de 9 minutes, «Is It Really Me? Gotta Go Home», ils envoient ça vite fait ad patres, c’est bien claqué derrière les oreilles, ça ne reste pas en sommeil, c’est du quick Quo qui kicke.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    On reste dans le gros boogie cousu de fil blanc avec le Dog Of The Two Head paru l’année suivante. Toujours du pur Pye avec un vrai boogie anglais en ouverture de balda, l’aussi imparable «Umleitung». Leur formule est parfaite, ce boogie taille sa route à travers les décennies. Quand on le réécoute quarante ans plus tard, il n’a rien perdu de sa vigueur emblématique. Les Quo savent faire durer le plaisir et cette fois ils sonnent vraiment comme Chicken Shack. Classic boogie, sans bavure et sans histoire. Quand ils passent en mode fast boogie avec «Mean Girl», ça Telecaste dans les brancards. L’autre point fort du Dog est le «Railroad» qui se planque sur la face cachée. Ce boogie est un modèle du genre. Pour qui aime les choses carrées, «Railroad» est le cut idéal. C’est chanté à la petite traînasse de la rascasse, et ils passent en mode heavy blues en plein milieu. Voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut dire du Dog.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Elle a encore raison, la main froide, de se prosterner devant les six premiers albums Vertigo de Sabbath - Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man - Ils font partie des albums fondateurs de l’empire du rock anglais. Tony Iommi est l’un des grands guitaristes classiques du rock anglais, il fait partie de ceux qui ont tout inventé. Ah comme on pu adorer le premier album sans titre paru en 1970 ! Chaque fois qu’on le réécoute, il fonctionne comme une machine à remonter le temps. Tous les cuts de l’album sonnent comme des classiques, cette belle et étrange musicalité s’installe avec «Behind The Wall Of Sleep». Rien à voir avec le hard rock, c’est de la belle heavy pop avec une mélodie chant d’une indicible qualité. Le génie riffeur de Tony Iommi prend forme avec «NIB» et l’Ozzy entre dans l’histoire avec son fameux Oh yeah ! Fabuleuse énergie ! Très beaux longings de Tony Io, il est fabuleux d’à-propos. Ils ouvrent leur bal de B avec «Evil Woman Don’t Play Your Games With Me», monté sur un riff classique bien contrebalancé par le bassmatic de Geezer Butler. Ces quatre Brummies fabriquent du rock classique, et cette fois c’est le Geezer qui vole le show. Ils finissent en beauté avec «Warning» et l’Ozzy revient au chant après une longue absence, une si longue absence.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Paranoid paraît la même année. On imagine l’ado Luke dans sa cave en train d’écouter «War Pigs» en secouant ses petits cheveux blonds. Heavy, baby ! Voilà d’où vient toute cette culture heavy. Ils jouent à la respiration interrompue, c’est un peu emprunté, mais c’est Sab, alors respect. Ils réussissent l’exploit de créer un monde à partir d’un riff puis ça part en virée seventies. Voici venu le temps des classiques avec «Paranoid» et «Iron Man». Le riff de Parano est tellement classique qu’on dirait du Led Zep. Bravo Tony Io ! Stop to fuck my brain, gueule Ozzy et pendant ce temps, Geezer Butler fait un carnage. «Iron Man» est aussi monté sur un riff classique, et Tony Io le ralentit pour l’alourdir. Tout le heavy métal vient de là, de l’Iron. Et cette manie qu’ils ont de partir en virée ! En B, on trouve deux autres belles pièces palpitantes : «Electric Funeral», d’abord, plus tarabiscoté, même si c’est monté sur un riff funéraire du grand Tony, un riff d’une portée universelle, c’est dire la grandeur de sa hauteur. Puis voilà «Fairies Wear Boots», un titre qui a dû beaucoup plaire à la main froide, mais ça se présente comme une jam, with no direction home, perdu dans la pampa, avec une succession de thèmes impies, et l’Ozzy entre dans la danse à l’impromptu, il s’installe dans l’ambiance du power Sab, c’est très fairy witchy, il raconte son histoire d’une voix étrangement pointue.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Paru l’année suivante, Master Of Reality a dû mettre la jeune main froide sur la paille. On retrouve notre cher heavy Sab dès «Sweet Leaf». Tony Io joue du gras double, ils sont dans leur élément, c’est saturé d’heavyness ralentie, mais après un moment, ça barre en courgette de vrille prog, et ils reviennent on ne sait comment en mode rouleau compresseur. Le Geezer fait vrombir sa basse. Sur toute l’A, le Sab se montre bien déterminé, il fait même du boogie rock anglais avec «Children Of The Grave». Pas de hit sur cet album, mais une constance sabbatique, comme le montre encore «Lord Of The World», ils restent dans leur formule, pas de surprise, Tony Io se place en embuscade et malgré les apparences, le son reste très linéaire. Ils reviennent au big sound avec «Into The Void». Chez Sab, ce n’est pas le gros popotin, mais le gros patapouf qui a le vent en poupe. Il est tellement gros, le patapouf, qu’il a du mal à respirer... Si on cherche des aventures, il faut aller voir ailleurs. Les kids adorent le gros patapouf de Tony Io.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    La jeune main froide a dû beaucoup admirer la pochette du Black Sabbath Vol. 4. Quel rocking artwork ! Et hop ça démarre avec du classic Sab monté sur une nouvelle trouvaille du vieux Tony Io. Pas question de s’énerver, il joue son riff en retenue et miraculeusement, on échappe cette fois au petit développement prog de mi-parcours. Tous les cuts de Sab sont montés sur un riff de Tony Io. Alors pour l’Ozzy, c’est du gâtö. Il peut enfourcher son canasson et chanter «Tomorrow’s Dream» au chat perché. Tony Io remplit le son à ras-bord. Il lui donne de l’ampleur. «Changes» pourrait être un balladif de Croz, car c’est assez océanique. Peut-être s’agit-il du meilleur sob de Sab. Pour boucler l’A, Tony Io charge la barque de «Supernaut». Il est l’un des plus gros démolisseurs d’Angleterre et l’Ozzy s’élance comme un loup à l’assaut de l’homme, ça joue pour de vrai. Tony Io a plus de son qu’avant, on voit qu’ils enregistrent à Los Angeles. La B se tient bien elle aussi, «Snowblind» reste du classic Sab. L’Ozzy ne change rien à sa méthode, il va droit sur son petit chat perché. Tony Io boucle ce valeureux Snowblind à l’embrasée de Birmingham. «Laguna Sunrise» montre qu’ils sont capables de climat lumineux et d’espagnolades, et ce gros mélange de riffing et d’orientalisme qu’est «St Vitus Dance» montre qu’ils adorent danser la danse de Saint-Guy. Cet album surprenant s’achève avec «Under The Sun», classic package de Sab monté comme un millefeuille, bien bourré de crème au beurre et concassé à tous les instants comme le corps d’un hérétique soumis au supplice de la roue.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Paru en 1973, Sabbath Bloody Sabbath n’est pas le meilleur Sab. C’est du classic Sab, bourré de climats, de cocotes et de chat perché. L’Oz se veut criard, mais il n’est pas toujours juste. Ils amènent l’«A National Acrobat» au heavy Sab, mais ça vire troubled troubadour un peu proggy.  Tony Io a du mal à renouveler le cheptel. Ses compos peinent à jouir. C’est encore dans la délicatesse diaphane qu’il excelle le mieux («Fluff»). Il revient à son pré-carré et à ses vieilles racines de mandragore avec «Sabbra Cadabra», on se croirait sur le premier Sab, tellement c’est bien foutu. C’est même le hit de ce bloody album. Le «Killing Yourself To Live» qui ouvre le bal de la B semble lui aussi sortir du premier Sab. Merci Tony Io de ce retour aux sources. L’Oz s’en donne à cœur joie. Ils font de la petite pop bien intentionnée avec «Looking For Today» et pour «Spiral Architect», Tony Io pompe les accords des Who dans Tommy. Cette fois, ils tombent dans le n’importe quoi, et ça finit par devenir trop poli pour être honnête.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    La jeune main froide n’en finissait plus de loucher sur la pochette de Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Et il ajoute, emporté par son élan : «Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» C’est l’album chouchou des fans de Sab, à cause de cette énormité qu’est «Hole In The Sky», un nouveau modèle riff anglais sorti du cerveau de Tony Io. Il fabrique du Sab en permanence, et quand Ozzy ramène son chat perché, ça fait l’identité de Sab, avec en plus derrière les deux cavemen qui frappent sec. C’est dans «Symptom Of The Universe» qu’on entend cracher les haut-fourneaux de Birmingham. Dommage que les petits épisodes prog viennent perturber le bel équilibre. Il semble que Tony Io ne gratte que des séquences mythiques, comme ces espagnolades de fin de parcours. Et puis avec «Megalomania», ils se rapprochent du premier album, ils sont si heavy et si présents ! Ils disposent d’une science inégalée en matière de redémarrage en côte et se payent en plus le luxe d’un final épouvantable aux lueurs du génie sabbatique. L’autre hit de Sabotage est le dernier cut de la B, «The Writ», un heavy blues chanté au chat perché d’Ozzy, sans doute le perché le plus perçant de tous. Ils ont du panache, le monde entier le sait, on ne fait pas l’impasse sur le Sab, on les connaît par cœur, ces beaux cuts de Sabotage, sans doute les a-t-on trop écoutés. Avec «Am I Going Insane», ils sonnent comme Syd Barrett. Tout est beau et puissant sur cet album. Tony Io fait exploser des bouquets fatals sur «The Thrill Of It All», il soigne ses fins de loup. «Supertzar» est le cut qui a dû impressionner le plus la main froide, car on y entend des voix surgies du passé. On se croirait dans un film d’Eisenstein, c’est la même ampleur catégorielle.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    En novembre 2021, la main froide rendait hommage aux Groundhogs avec une column titrée Getting high on a Hog. L’avantage avec un chroniqueur comme la main froide, c’est qu’il ne parle que de bon rock anglais. Il salue en particulier the mightier-than-God Two Sides Of Tony (TS) McPhee, mais aussi le post-psych bummed-out down-in-the-gutter Ladbroke Grove masterpiece Thank Christ For The Bomb, et puis bien sûr Split, an anti-stoner guitar suite that everyone owned and loved - Imagine if Hendrix had joined Television and they’d relocated to New Cross. That’s Split - Après avoir énuméré tous ces coups d’éclat, la main froide replonge dans Two Sides : «Side 1 is the heaviest gutbucket blues this side of Charlie Patton and Hound Dog Taylor.» Comme ça au moins les choses sont claires. Puis il affirme qu’à l’instar de Beefheart, McPhee peut chanter le Dada blues. Il reprend ensuite sa respiration pour attaquer la B, «The Hunt», qu’il qualifie de demented fuckery - It sounds not unlike a dying fox, which is probably the point - La main froide se régale avec cette insanité qu’est «The Hunt», insinuant qu’on ne sait qui de l’auditeur ou de McPhee a perdu la tête. Typical main froide.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Et pour conclure, une mauvaise nouvelle : la main froide a cessé de faire paraître sa column dans Record Colector. En juillet 2023, il consacrait son ultime column à Jerry Lee (Live At The Star Club), Larry Williams, et à son idole ultime, Gene Vincent, sous un très bau titre : Britain’s favourite rock’n’roll bad boy. Il revenait sur the 1969 ITC documentary ‘Gene Vincent  - Rock And Roll Singer’, the tragic tale of Gene Vincent’s disastrous UK tour of 1969, qui avait déjà fait l’objet d’une column, et donc d’un écho vibrant sur KRTNT. Pendant cette disastrous tournée, Gene Vincent fut accompagné par «The Wild Angels, Gene’s best group since the original Blue Caps. There was some heavy juju going on between those American bad boys and those English lads in the 60s.» La classe de la main froide va nous manquer. Elle et Damie Chad étaient les derniers grands prêtres du culte de Gene Vincent.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Hawkwind. Hawkwind. Liberty 1971

    Hawkwind. In Search Of Space. United Artists 1971

    Hawkwind. Doremi Fasol Latido. United Artists 1972

    Hawkwind. Space Ritual Alive. United Artists 1973

    Hawkwind. Hall Of The Mountain Grill. United Artists 1974

    Hawkwind. Warrior On The Edge Of Time. United Artists 1975

    Television Personalities. Mummy Your Not Watching Me. Whaam! Records 1982

    Soft Machine. Third. CBS 1970

    Jefferson Airplane. After Bathing At Baxter’s. RCA Victor 1967

    Swell Maps. A Trip To Marineville. Rough Trade 1979

    Scritti Politti. Anomie And Bonhomie. Virgin 1999

    The Servants. Small Time/ Hey hey We’re The Manqués. Cherry Red 2012

    Status Quo. Ma Kelly’s Greasy Spoon. Pye Records 1970

    Status Quo. Dog Of The Two Head. Pye Records 1971

    Black Sabbath. Black Sabbath. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Paranoid. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Master Of Reality. Vertigo 1971

    Black Sabbath. Vol 4. Vertigo 1972

    Black Sabbath. Sabbath Bloody Sabbath. Vertigo 1973

    Black Sabbath. Sabotage. Vertigo 1975

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Luke Haines. Britain’s favourite rock’n’roll bad boy. Record Collector #546 - July 2023

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le Loog des steppes

    (Part One)

     

    , david eugene edwards, luke haines, andrew loog oldham, lawrence, chet ivey, les vautours, les fantômes,

    Ah bah tiens ! Encore un styliste ! Andrew Loog Oldham ! Une chose est sûre : il aurait tapé dans l’œil de Léautaud, si ce grand amateur de stylistes avait vécu à notre époque. Le Loog s’est imposé dans un premier temps avec une autobio en deux parties, Stoned et 2Stoned, sur laquelle nous allons revenir incessamment, et puis voilà la suite, Stone Free, qui se présente comme une collection de portraits d’imprésarios, à la manière des Contemporains Pittoresques d’Apollinaire. En gros, le Loog navigue au même niveau que Nick Kent, il «bénéficie» des mêmes privilèges, dirons-nous : un souffle, un style unique et des fréquentations de premier ordre. Attention, une telle lecture se mérite : 400 pages, dans une typo variable, minimale et affreusement mal interlignée, un fer à gauche déplaisant, c’est pas loin du book à compte d’auteur, puisque c’est de l’Amazonzon, mais le choix d’illustrations lui donne en quelque sorte l’absolution. On rouspète à l’attaque du périple, car on aurait préféré le confort de lecture d’une bonne édition britannique, on aurait tant voulu se vautrer dans l’excellence combinée d’un chaud bouffant et d’un choix typo affirmé, mais à la sortie, même si les yeux piquent, on tremble de fièvre extatique. Car quelle galerie de portraits !

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    De la même manière que Nick Kent, le Loog jongle avec les tournures infernales. Il puise dans la même virtuosité et affine parfois ses tournures en les voilant de mystère, contraignant le lecteur à relire, ce qui n’est jamais du temps de perdu. Prenons un exemple, tiré du premier portrait de la galerie, celui de Serge de Diaghilev, impresario de Nijinski et directeur des Ballets Russes : «Soumis à la pression terrible d’un stardom sans précédent, Elvis a succombé, et la médiocrité s’est emparée de lui. Loué soit Keith Richards qui n’a jamais utilisé la drug addiction comme une excuse pour les mauvais albums. Mais imaginez un instant qu’Elvis ait pu être a rockin’ Nijinski to a rollin’ Diaghilev.» Ce qui à la première passe-passe pour une louange est en fait un constat loogien à double tranchant. Quatre personnages clés dans la même pirouette, deux dégommés d’une pichenette, et les deux autres sont magnifiés, les deux Russes. Honte au responsable de la déchéance d’Elvis, le Colonel Parker, et aux Stones post-Oldham. Le Loog nous dit à sa façon que seuls les deux Russes sont restés purs.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Diaghilev est donc le premier portrait de cette galerie extraordinaire. Ça fait du bien de retrouver Diaghilev qui fut l’un des acteurs clés de l’avant-garde parisienne des années folles. Diaghilev commande un ballet à Cocteau et lui lance : «Jean, étonne-moi !». Ce sera Parade, un ballet cubiste, Cocteau signe le livret, Erik Satie la musique et Picasso les costumes et le rideau. Apollinaire qualifie le spectacle de ‘sur-réaliste’. Il invente le mot, l’occasion est trop belle. Nous voilà au Châtelet en 1917, la première de Parade fait scandale. Dans l’orchestre, il y a une machine à écrire, une sirène et un pistolet. Un critique étrille le ballet, et Satie, outragé, lui envoie un mot : «Monsieur, vous n’êtes qu’un cul, mais un cul sans musique.» C’est quand même autre chose que Las Vegas, non ?

    Ici, on aime bien l’idée que le Loog soit associé à des géants comme Diaghilev, Satie, Cocteau et Picasso. Il descend de la même lignée. Il passe ensuite à Larry Parnes qui fut dans les early sixties, l’imprésario le plus puissant d’Angleterre, et dont on a en quelque sorte chanté les louanges ici l’an passé, via le bon book de Darryl W. Bullock, The Velvet Mafia - The Gay Men Who Ran The Swinging Sixties. Le Loog est obligé de rappeler ce qu’était l’ambiance musicale en Angleterre à cette époque, et il n’y va pas de main morte : «La British pop était une petite chose rabougrie en ce temps-là. L’industrie musicale britannique jouait les seconds couteaux et avalait tout ce que les Américains envoyaient ‘over there’, du ragtime au swing, en passant par les banjo-paying minstrels aux visages noircis et en canotiers, et les bobbysoxers. Puis il y eut le rock’n’roll, et Parnes, qui avait plus de goût pour les chanteurs que pour les chansons, n’avait aucune raison de ne pas croire en son avenir. Mieux encore : à partir du moment où il a ‘découvert’ les objets de son désir, il a vécu et couché avec eux, jusqu’à ce que le public découvre autre chose.» Dans ce portrait, on trouve à la fois du sarcasme et de l’admiration. Le Loog rend hommage à l’imprésario qui pour réussir, est allé jusqu’au bout de ses rêves, et puis en même temps, il se moque un peu, car il manque à Parnes l’essentiel : la vision. Raison pour laquelle Parnes a été balayé.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Il ne jurait que par les artistes solo, il ne croyait pas en l’avenir des groupes. Il s’est planté en rejetant les Silver Beatles et les Tornados de Joe Meek. Fatale erreur. Mais c’est vrai qu’il est difficile de coucher avec quatre mecs en même temps. Le Loog enfonce sa rapière plus loin encore dans le cœur du mythe Parnassien : «Parnes n’avait pas de formule magique, just a good brain for names, un goût prononcé pour les jeans serrés et les pretty faces, et un talent de marchand de fringues for schmoozing in the showroom.» En 1967, nous dit le Loog, Parnes annonce qu’il a fait le tour de la pop et qu’il va se consacrer au théâtre. C’est un portrait à l’anglaise, viscéralement juste et sans complaisance. Le Loog, comme d’ailleurs la plupart des Anglais, ne tourne jamais autour au pot. Il dit les choses. Que ça plaise ou non. Si t’es pas content, c’est pareil.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Il passe ensuite à Albert Grossman, le mentor/imprésario de Bob Dylan. Le Loog le présente comme un homme «silencieux et puissant, qui avait sous son aile l’un des plus grands talents du XXe siècle, et qui savait tenir à distance les escrocs de l’industrie, tout en les manipulant.» Son «industry of crooks» peut être lu dans les deux sens, celui proposé ici (escrocs de l’industrie), et celui d’un entourage volumineux. Le Loog semble nous laisser le choix. Chacun décrypte comme il peut. C’est pour le Loog une façon de laisser planer un léger voile de mystère et donc de laisser une certaine liberté d’interprétation. C’est extrêmement intéressant. Au point qu’on finit par ne chercher que les formules mystérieuses. Elles fascinent autant que les portes dérobées ou les meubles à tiroirs cachés. Le Loog est un prodigieux mystificateur. Mais ce qui l’intéresse, dans le destin d’Albert Grossman, c’est la façon dont il a réinventé avec Dylan le métier d’imprésario : «Entre l’aspect trop commercial de Peter Paul & Mary et le chaos de la carrière solo de Janis Joplin, Bob et Albert ont bâti une relation en forme d’ordination qui a permis à chacun d’eux de monter en puissance, mais dans des proportions historiques.» Cette fois, le Loog trouve la vision et donc il rend hommage : il met Grossman au même niveau que Dylan. Pas de Dylan sans Grossman, et inversement, de la même façon que pas de Stones sans le Loog. C’est là où il veut en venir. Mais dans la cas de Dylan & Grossman, la relation s’est épanouie, alors qu’avec les Stones ça s’est terminé en eau de boudin. Le Loog n’ose pas dire que c’est un problème pur d’intelligence ou de manque d’intelligence. On sent même que cette relation entre l’artiste et son imprésario lui fait envie : «Pendant la semaine qu’ils ont passé à Londres, Dylan et Grossman étaient inséparables et avaient des airs de conspirateurs, un exemple extrêmement rare à cette époque où le management était un mariage de convenance entre un mac et sa pute.» D.A. Pennebacker rappelle que pendant ce même séjour à Londres, Dylan traînait avec les Beatles, mais Brian Epstein était absent, alors que Grossman était là en permanence : «Dylan really liked that. Grossman was kind of a father.» Voilà, le mot est lâché. Father. Le Loog rend plus loin hommage à l’artiste extraordinaire que fut le Dylan des sixties : «Pendant ces années, Dylan a joué bien des rôles : le vagabond acolyte de Woody Guthrie, le rival et amant de Joan Baez, l’homme-enfant love-sick, the stoned visionary hipster, the absurdist pop star, le Judas haï, the motorcycle martyr.» Il ajoute que Bringing It All Back Home  a été autant inspiré par les Beatles que les Beatles ont été inspirés par cet album. Le portrait de Grossman est vibrant de qualité et d’humanité. Bien sûr, le Loog connaissait Grossman, car il a séjourné à Bearsville en 1978. Pour lui, Grossman est le fin du fin, «the man who had once dedicated his life to letting Bob be Bob.» Chute en forme de parole d’évangile. Letting Bob be Bob.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Brian Epstein, bien sûr. Le Loog tient à rappeler une chose fondamentale : Epstein n’a pas «fait» les Beatles tout seul : «George Martin, Norman Smith et Ron Richards furent rejoints par Richard Lester and PR hustling man extraordinaire, Derek Taylor.» Quand Epstein et Taylor se sont frittés, Epstein a perdu son collaborateur le plus important - It is perhaps our greatest loss that Derek was no longer available to set the record straight - Le Loog dit our, car il bossait à l’époque comme PR (agent de presse) pour Epstein à Londres. Derek Taylor est allé en Californie travailler pour les Byrds.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    L’un des portraits les plus conséquents est celui du duo Kit Lambert/Chris Stamp, l’imprésario à deux têtes des Who et accessoirement double-boss de Track Records. Pour récupérer les Who, le duo a dû se débarrasser de Peter Maeden, l’une des idoles d’Eddie Piller, puis de Shel Talmy, et là, ce fut plus difficile, car c’est Shel qui a «fait» les Who, et accessoirement les Kinks. Encore une fois, le Loog n’y va pas de main morte : «Le dégoût qu’éprouvait Shel pour Kit Lambert était très prononcé. Ce Yank habituellement silencieux qualifiait l’homosexualité très British de Kit de ‘nasty’ - Il était le genre de pédé qui me dégoûtait. Je ne pouvais pas le supporter. Le voir draguer les jeunes garçons me dégoûtait. Il ne pensait qu’à ça. Il s’en prenait au groupe.» Quand Lambert & Stamp commencent à lui arracher les Who via les tribunaux, Shel résiste - C’est lui qui avait financé les enregistrements, after all, pas Lambert & Stamp. Pendant six mois, le temps de la procédure, il a dû attendre pour faire paraître «Substitute», une éternité à cette époque où les choses évoluaient très vite. Shel a gagné la bataille, mais il a perdu la guerre. Il n’a jamais revu les Who - Bel hommage à l’un des géants des sixties. Le Loog finit par raconter comment Lambert & Stamp perdent les Who, à cause de coups portés par «un certain nombre de gens et d’événements. David Platz, Allen Klein, Bill Curbishley, Pete Rudge, Pete Kameron, qui vous voulez, même le mec qui lave la bagnole, si ça vous arrange. Et bien sûr, Kit et Chris eux-mêmes. Ils furent considérés comme ingérables par leurs clients. Une nouvelle version de cette histoire finit toujours par sortir, toujours pour les mêmes raisons. Albert and Bob, Brian and the Beatles, myself and the Stones.» Et il rend l’hommage définitif : «Parmi mes contemporains, il est difficile de trouver un management partnership that had the successes, thrills and spills that Kit and Chris had.» Kit Lambert n’a pas fait long feu, mais Chris Stamp a duré plus longtemps. Le Loog insère à la fin du chapitre Lambert & Stamp un divin portrait de Chris Stamp. Beau comme un dieu.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Alors, c’est l’occasion ou jamais de revoir ce fantastique docu de James D. Cooper, Lambert And Stamp. Ça démarre très fort sur du ramdam contextuel de situatons of outright rebellion, c’est-à-dire les racines des Who. Middle class and working class. On voit très vite Chris Stamp paraître à l’écran, vieux mais classe. Il rappelle qu’en 1961, il est dissatisfied et il décide de devenir cinéaste - That’s the game - Il parle d’un ton sec, c’est une East-Ender. Il rencontre Kit Lambert dans un coffee shop et ils décident d’écrire ensemble un scénario. Chris dit à son frère l’acteur Terrence Stamp qu’il est interested in girls.

    — What kind of girls ?

    — Dancing girls.

    Il parle bien sûr des danseuses de ballet. On reste dans la mythologie des Ballets Russes. Kit & Chris en bavent. Ils ne parviennent pas à devenir réalisateurs, alors ils cherchent un groupe pour le manager et tourner un docu rock - Finding the group, working the band, making records, becoming successful - C’est exactement ce qu’ils vont faire. Ils cherchent pendant des mois et pouf, Kit débarque au Railway Hotel et flashe sur un groupe very loud, plein de feedback : les High Numbers. Kit & Chris shootent leur movie, c’est pour ça qu’on a ces images extraordinaires des early Who en noir et blanc. Très Nouvelle Vague - They saw the potential - Ils signent les Who pour 20 £ par semaine - A guaranteed salary - Terrence demande à son frère si les Who sont mignons, comme les Beatles.

    — Oh yeah !

    Quand il voit une photo du groupe, il pousse un cri d’horreur. The guys are ugly !

    Mais bon, c’est parti. Kit & Chris vendent des idées aux Who qui prennent tout. De toute façon, ils s’en foutent, Townshend est le premier à croire que la pop ne va pas dure plus de 18 mois, alors... Les Who jouent la carte des sharp dressed people, ils figurent parmi The Hundred Faces. Puis vient l’épisode Shel Talmy qui est rejeté car considéré comme un outsider. Il n’a pas la vision du groupe, seulement celle du son. Alors Kit & Chris s’improvisent producteurs. C’est vrai que les Who sont des surdoués. Dans une interview de l’époque, Townshend leur rend hommage à grand renfort de louanges. «My Generation» devient l’hymne des London Mods - My Generation as a kind blocked up on pills with a stutter - Tellement vrai, on bégaye vite sous speed - Not a gimmick at all. On pills, the kids stutter, on French Blues, and Black Bombers & Drinamyl - Une journaliste demande à Townshend : «Are you actually blocked up when you’re on stage Pete ?» et le Pete répond :

    — No, we’re blocked up all the time you know.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Kit & Chris montent leur label Track Records expressément pour Jimi Hendrix qu’ils viennent de rencontrer à Londres. Puis ça s’emballe. Townshend produit Thunderclap Newman et d’autres # 1 arrivent : Jimi Hendrix, Arthur Brown, John’s Children, et Marsha Hunt at # 4. Puis les Who perdent de la vitesse, bad songs, juste avant Tommy - Just prior to Tommy, we were finished - C’est avec Tommy qu’ils deviennent riches. Townshend devient «a composer, not a songwriter», et c’est vite la fin des haricots pour Kit qui sombre dans un chaos de dope. Les images ne sont pas terribles. On voit Chris à la fin du docu, toujours aussi magnifique. Un docu à voir impérativement.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Puis le Loog nous emmène dans les parages moins connus de Jerry Brandt et d’Adrian Millar. Brandt restera dans l’histoire du rock pour Jobriath qui n’a pas marché, et Millar pour les Babys qui n’ont pas marché non plus. Mais ces deux portraits sont sans doute les plus touchants de la galerie. Brandt a bossé longtemps chez le tourneur américain le plus important de cette époque, the William Morris Agency, il a fait tourner Sam Cooke, Sonny & Cher et les Stones, puis a tenté de lancer Jobriath - I see Jobriath as a combination Wagner, Tchaikovsky, Nureyev, Dietrich, Marceau and astronaut - Mais la presse rock rigole quand l’album de Jobriath sort sur Elektra. Jac Holzman reconnaît qu’il a fait une erreur en investissant dans Jobriath - It was an awful album. The music seemed secondary to everything else. C’était trop et trop tôt et ça ne collait pas avec le label. Pas à cause du côté gay, ça manquait juste de réalisme. Ce fut une hantise et elle restée en moi longtemps - Il n’empêche qu’Elektra a sorti un deuxième album qui a disparu sans laisser de trace. Le Loog ajoute qu’Elektra était très content de se débarrasser du latter day would-be Nijinsky, et Brandt a fini lui aussi par laisser tomber, en pleine tournée. Les Américains considéraient Jobriath comme un mauvais gag. «En parfait hustler, Brandt refusa d’admettre qu’il s’était planté, alors que la terre entière lui disait le contraire.» C’est la formule que tourne le Loog pour saluer le courage artistique de Jerry Brandt.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    On reste dans les moins connus avec Pete Kameron, l’expat américain installé à Londres  dans les early sixties, boss de la branche européenne d’Essex Music et co-fondateur de Track Records, que le Loog qualifie de «Zen hustler». Le Loog brosse aussi un rapide portrait de Jean-Luc Young, le boss de Charly Records qu’il rencontre à Paris et qu’il apprécie pour son street spirit et pour ses connections avec la mafia corse et l’acteur Alain Delon. Il se dit même fasciné par ces connections - I could loathe the mob in England and love it in France - Il ajoute ceci qui est très mystérieux, donc très loogien : «Giorgio Gomelski a aussi bossé avec Jean-Luc pendant des années et quand on parlait de ‘Kid Cash’, comme on le surnommait, Giorgio te mettait en garde : ‘Beware the collector’.» Avant d’être le label sur lequel sortent ces belles compiles Northern Soul qu’adorait Jean-Yves, Charly est essentiellement un biz. Giorgio cite encore aussi Kid Cash disant : «Je suis celui qui fait tout le boulot et qui sort les disques. Pourquoi devrais-je payer des royalties ?». Biz. Alors après on rentre dans une sombre histoire de procédure judiciaire : le Loog attaque Kid Cash en justice pour tenter de récupérer son catalogue Immediate, mais il perd le procès, enfin bref, il en fait au moins dix pages et comme c’est bien écrit, ça met la cervelle en ébullition. Les esprits procéduriers devraient se régaler.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Le Loog salue aussi l’un des acteurs clés de la grande époque : Mickie Most - Pour moi, Mickie Most reste le producteur anglais le plus prolifique et le plus talentueux de tous les temps. George Martin et moi dépendions des compos de nos artistes respectifs (once I’d persuaded mine to write). Mickie avait seulement besoin de ses oreilles - Il disposait nous rappelle le Loog d’un «incredibly diverse roster : The Jeff Beck Group, Hot Chocolate, Suzi Quatro, Kim Wilde et Mud.» Il rappelle aussi pour les ceusses qui ne seraient pas au courant que sans ses deux auteurs-maison, Nicky Chinn et Mike Chapman - Chinn & Chap - le glam n’aurait pas existé.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Le Loog brosse aussi un portrait de McLaren, le seul hustler qu’il n’ait pas rencontré. Pour ouvrir ce redoutable chapitre, il cite Steve Jones : «Malcolm était le Brian Epstein of punk. Sans lui, le punk ne serait jamais devenu ce que c’était. J’adorais ce mec. Pour mes 21 ans, il m’a offert un beau cadeau d’anniversaire : une seringue et un peu d’hero.» Le Loog excelle dans l’art de l’entrée en matière. Il explique ensuite pourquoi ils ne se sont jamais rencontrés : «Le parallèle évident entre ses Sex Pistols et mes Rolling Stones, dont on disait qu’ils avaient les uns comme les autres découvert la Pierre de Rosette du rock’n’roll outrage, était une raison suffisante pour qu’on s’évite.» Le Loog ironise pas mal sur ce coup-là, avouant quand même qu’il se trouve pas mal de points communs avec McLaren, et qu’il se sentait plus lié spirituellement avec lui qu’ils ne l’étaient l’un et l’autre avec les groupes qu’ils avaient menés à la gloire - En rédigeant ce book qui est en fait l’hustler’s hall of fame, je ne pouvais pas faire l’impasse sur Malcolm McLaren, même s’il est le seul contemporain avec lequel je n’étais pas personnellement lié - Et pouf, il revient par la bande à Diaghilev, mais de façon hilarante : «Étant donné que McLaren s’enthousiasmait de la même manière que Diaghilev pour une vision politique et sociale de l’Art, je me demande s’il ne considérait pas Sid Vicious comme son Nijinsky.» Et là normalement, tu te roules par terre. L’humour anglais, lorsqu’il est manié avec une telle dextérité, est le pire de tous. Fatal ! Tout le monde a bien compris qu’avec cette raillerie, le Loog exécute McLaren. Mais ce n’est pas fini. Il revient un moment sur Sid Nijinsky pour dire qu’il était bon, lorsqu’il tapait sa cover d’Eddie Cochran - La plupart des gens étaient amusés ou horrifiés, mais j’ai vu en Sid le spirit de l’une de mes premières idoles, Jet Harris, et je l’ai trouvé excellent - Et il enfonce son clou dans la paume du mythe en affirmant que Sid était the only true Sex Pistol - Les autres, y compris Lydon, étaient des versions de Glen Matlock un peu plus brutes de fonderie - C’est toujours une bonne chose que d’avoir l’avis d’un Loog sur un sujet aussi brûlant que celui des Pistols et la controverse qui continue de courir.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Il passe ensuite au plus corsé de la bande, Don Arden, et là, on attache sa ceinture. C’est Don Arden qui organise la première tournée anglaise de Gene Vincent. Puis il fait venir Sam Cooke. Don Arden s’extasie : «Le seul artiste supérieur à Gene Vincent, c’est Sam Cooke.» Par contre, il s’entend mal avec Chucky Chuckah. Ce n’est pas une question de racisme, affirme le Loog - Don avait lui-même subi pas mal de discrimination dans sa vie, alors la couleur de peau n’était pas un problème. Il adorait John Lee Hooker et l’a vu dans la rue céder le passage à des blancs, ce qui l’a frappé - Le Loog indique aussi que Don Arden garde un mauvais souvenir de Peter Grant, qu’il avait embauché comme chauffeur de Gene Vincent et qu’il a dû virer parce qu’il tapait dans la caisse. Puis arrive l’inévitable épisode Stigwood que Don va trouver dans son bureau parce qu’il entend dire qu’il louche sur les Small Faces. Les gorilles qui l’accompagnent attrapent Stigwood pour le suspendre dans le vide à la fenêtre du 24e étage. Stigwood chie dans son froc. Alors que Stigwood est suspendu dans le vide, Don demande aux gorilles ce qu’il faut faire : pardonner à cette lope ou le lâcher, et les gorilles répondent à l’unisson : «Drop him», c’est-à-dire le lâcher. Et tu as le Stigwood qui hurle comme un porc qu’on égorge. Le Loog se régale de cet épisode, il en fait une page entière, avec tous les détails. Puis quand Don va passer aux choses sérieuses avec ELO aux États-Unis, il va devoir, nous dit le Loog, bosser avec des lascars du calibre de Walter Yetnikoff et Morris Levy. Le Loog évoque aussi la guerre entre Don et sa fille Sharon. Elle commence par lui piquer le management d’Ozzy - Don était pétrifié. Cet acte de traîtrise avait pris des proportions shakespeariennes. Elle tenta une réconciliation mais Don lâcha les chiens et Sharon fit une fausse couche - Au même moment, la justice tombe sur Don Arden et son fils David. Trop de magouilles. David va au trou et Don est acquitté. Pas terrible.  Le fils prend pour le père. Vingt ans après leur première dispute, nous dit le Loog, Sharon est toujours enragée contre Don : «Mon père n’a jamais vu aucun de mes trois gosses et il ne les verra jamais.» Elle dit ça du haut des remparts d’Elseneur, un soir de tempête. JAMAIS ! Don et le Loog se connaissent depuis longtemps. Le Loog lui avait racheté les Small Faces. Don Arden le considère comme un allié. Il lui demande de l’aider à écrire ses mémoires. Le Loog a déjà un titre en tête : Once Upon A Time In Showbiz, pour faire écho au Once Upon A Time In America de Sergio Leone. Mais c’est Mick Wall qui aidera Don à écrire ses mémoires, l’excellent Mr Big: The Autobiography of Don Arden - the Al Capone of Rock. Le Loog achève ce brillant portait en shakespearisant de plus belle : «Don ressemblait plus à Lear qu’à Richard III. Comme Grossman, il avait vécu assez longtemps pour survivre à la plupart de ses ennemis, mais à la différence d’Albert, il n’a jamais songé à prendre sa retraite.»

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Le Loog ne consacre qu’un seul chapitre à Immediate - Immediate was always, howerver, two parts romance to one part capitalism. Je ne crois pas que les gens aient bien compris à quel point j’étais l’angel investor du label, injectant le blé que j’avais gagné avec les Rolling Stones dans des projets parfois rentables et le plus souvent excentriques - Il rappelle avoir démarré avec «Hang On Sloopy» et «the only bright spark of year one», c’était Chris Farlowe - En 1966, j’ai investi £40,000 dans deux albums, à une époque où avec cette somme on pouvait s’offrir une troïka de Rolls Royces ‘nicely equipped’, comme on dit in the States. Les albums de Twice As Much et de Chris Farlowe représentent l’alpha et l’omega of my Immediate dreams, et le commencement et la fin de ma lune de miel avec les Rolling Stones - Il ajoute que Twice As Much «était un folk rock duo dans la veine de Peter & Gordon ou Chad & Jeremy. David Skirner et Andrew Rose était ravis de porter mes Brian Wilson-inspired aspirations.» Les pressages Immediate de Twice As Much et de Billy Nicholls font aujourd’hui partie des albums les plus chers et les plus recherchés. Ce n’est pas un hasard. Le Loog est en quelque sorte le Michel-Ange du rock anglais. On a tendance à ne vouloir voir en lui que l’imprésario des Rolling Stones, mais non, c’est une erreur, il a joué avec Immediate un rôle crucial dans l’épanouissement artistique de la scène anglaise du Swingin’ London, le rôle d’un mécène italien au temps de la Renaissance, ou si tu préfères, le rôle d’un Diaghilev au temps des Ballets Russes... Le Loog est un puissant seigneur. Il roulait déjà dans les rues de Florence au XVe siècle, vautré à l’arrière de sa Rolls Silver Shadow. D’ailleurs, il précise ceci qui peut stupéfier : «Immediate had nothing to do with the real world and yet we did produce some great music.» Et pouf, il te sort les noms d’Humble Pie, de Fleetwood Mac et d’Amen Corner. Il pense que l’album de Chris Farlowe produit par Jagger «was Immediate’s finest hour». Il plonge encore plus profondément dans les délices du mystère lorsqu’il affirme que l’«Immediate dream was over before it began, et quand je dis que le label m’a aidé à perdre les Rolling Stones, c’est exactement ce que ça veut dire.» ll dit avoir rêvé d’un «mini Motown d’un pre-Apple vast empire présidé par the three of us, Mick, Keith and I. That was Imediate. Je les ai aidés à faire émerger leur talent de compositeurs, je voulais les aider à faire d’eux des producteurs.» Le Loog avoue avoir fini sur les rotules : «Entre mes 19 ans, l’âge où j’ai rencontré  les Stones, et mes 25 ans, l’âge où j’ai perdu Immediate, j’ai vécu plusieurs vies et je ne se savais plus trop laquelle je souhaitais vivre.» Plus tard, lors d’un procès, le Loog entend Jerry Shirley témoigner, et se dit frappé par son incapacité à dire la vérité. Pour avoir lu les mémoires de Shirley, on sait en effet qu’il y a un sérieux problème. On voit aussi Shirley se moquer de Syd Barrett dans le docu de la BBC consacré à Syd. Pauvre cloche.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    On a gardé les deux gros morceaux pour la fin : Allen Klein et Totor, c’est-à-dire le racheteur du Loog et l’idole du Loog. Deux portraits absolument magistraux. Qui mieux que le Loog peut rendre hommage à ces deux monstres sacrés ? Pour survivre économiquement, le Loog a revendu ses recording rights à Klein en 1969 et ses publishing interests en 1972. C’est Klein qui nourrit la famille et le pif du Loog. Puis le Loog bosse pour Klein et produit des artistes, notamment Bobby Womack qui en studio «waved guns and did drugs». Le Loog devient caustique, extrêmement caustique : «Étant donné ma dépendance matérielle envers Allen, je ne saurais dire s’il me traitait comme une merde ou si c’est moi qui me faisais des idées. J’ai réalisé que dans tous les cas, Allen wanted the best for me, which was nice since he’s already had the best of me.» Le Loog va loin dans cette histoire puisqu’il parle de Stockholm Syndrom - Quand je me regardais dans un miroir, je n’aimais pas trop me retrouver en face de Patty Hearst - Il démarre d’ailleurs ce portrait par la fin, c’est-à-dire par l’enterrement de Klein, en 2009. Le Loog fait les comptes, cette relation a duré 44 ans, «presque un demi-siècle marqué par la rapacité, la générosité et cet incroyable instinct qu’il avait pour déceler les faiblesses des gens avec lesquels il était en affaires. Dire que je suis ambivalent est une façon de sous-estimer la complexité de mes sentiments envers Allen qui avait réussi à complètement altérer ma relation avec les Rolling Stones, et ce dès le jour de notre rencontre. Ce jour-là, j’aurais dû me casser une jambe.» Et il ajoute, en proie à l’amertume : «Si j’avais été soûl et qu’on m’avait dit que j’allais partager un karma avec Allen Klein pendant le restant de mes jours, ça m’aurait aussitôt dessoûlé.» Le Loog évoque aussi la position de Keef qui n’en veut pas tant que ça à Klein - He’s an operator, man - un Keef qui fataliste comme pas deux, ajoute : «The Stones got the silver, and Klein got the gold.» Comme on l’a longuement rappelé ici, quelque part en 2020, via le book de Fred Goodman, Allen Klein - The Man Who Bailed Out The Beatles, Made The Stones And Transformed Rock & Roll, Klein s’est fait une réputation d’éplucheur de comptes des gros labels au profit des artistes, et le Loog évoque bien sûr le cas de Sam Cooke. Klein commence par lui récupérer 150 000 $ de royalties, puis lui renégocie son contrat chez RCA, récupérant une avance de 450 000 $. Il monte ensuite une structure, et signe Sam Cooke, une structure dont bien sûr Cooke «n’a jamais été propriétaire une seule seconde» - La nouvelle entité portait le nom de la fille de Sam, Tracey. Pourquoi l’artiste aurait-il dû croire que cette entité lui appartenait ? - Le Loog se mare avec cette histoire, ajoutant que la structure appartenait en fait à Klein, et quand Sam est mort, Klein a déchargé sa veuve et le reste de la famille de toute responsabilité, devenant ainsi l’unique propriétaire des chansons du grand Sam Cooke. Et ça ne s’arrête pas là : le Loog entre dans le mystère qui entoure la mort de Sam, un mystère jamais élucidé. Sam allait virer Klein. Pire encore : le corps de Sam était dans un sale état, alors qu’officiellement il avait juste reçu une balle dans la poitrine. Etta James a dit que Sam avait les mains écrasées et que sa tête avait tellement pris de coups qu’elle se détachait de son corps. Pas de preuves. Pas de rien. Et le Loog conclut ainsi cette horrible histoire : «Eventually, the rights to Cooke’s entire legacy were firmly in Allen’s grasp.» Un jour Klein demande au Loog s’il sait pourquoi il ne lui a pas tout pris. Le Loog se méfie de la brutalité de Klein et il lui dit non, il ne sait pas. Alors Klein lui balance ça : «Because, Oldham, if I had taken everything, then I would have had to support you.» Quand Klein prend le pouvoir chez les Stones, il vire tous les comptables et tous les avocats et les remplace par des gens à lui - Du jour au lendemain, on est devenus entièrement dépendants d’Allen en matière de conseils «objectifs» - Et voilà le coup du lapin loogien : «Ironiquement, seul Bill Wyman, le troisième en partant du bas dans la hiérarchie aussitôt après Ian Stewart et Brian Jones, disait qu’il fallait protester. Le reste des Stones, moi y compris, lui a dit de fermer sa gueule and not rock the boat.» Selon le Loog, le seul qui a su résister à Klein, c’est Dave Clark. Klein veut le Dave Clark Five et propose deux millions de dollars. Dave Clark lui répond : «No thanks. I’s rather sleep at night.» Le Loog est formel : Dave Clark est le seul qui ait réussi cet exploit d’échapper à Klein. Mickie Most est tombé dans ses filets, et pour en sortir, il a dû lâcher ses masters des Animals et des Herman Hermits avec lesquels Klein et sa boîte ABKCO se sont prodigieusement enrichis. Le Loog évoque aussi la séance de signature des Stones avec Klein à New York et l’incroyable paperasserie - the most complex paperwork imaginable - séance supervisée par Marty Marchat, «the instruments of both our enrichment and destruction» - The Stones had got what we all thought we wanted and the train had left the station - Et comme dans le cas de Sam Cooke, Klein monte une entité du nom de Nanker Phelge - Soon enough «Nanker Phelge» would become a pseudonym for «Allen Klein and Co» and we would learn the true price of success - Au comble de l’ironie, le Loog rapporte une remarque de Marianne Faithfull : «Tu ne trouves pas ça drôle Andrew que la record company d’Allen soit la seule à me verser de l’argent ?». Après Sam Cooke et les Stones, Klein veut les Kinks - Allen commençait par écrémer le sommet, puis il descendait - Le Who venaient de l’envoyer sur les roses, alors il louchait sur les Kinks. Mais ça n’a pas marché. Oh, il reste les Beatles. Klein attend son heure, comme le dit si bien le Loog. Brian Epstein casse sa pipe en bois en 1967. Le loup va pouvoir entrer dans la bergerie. En 1969, les Beatles sont out of control. Ils ont besoin de quelqu’un. Ils envisagent Lord Beeching, puis Lee Eastman, le beau-père de McCartney. Le Loog dit que le loup met le pied dans la porte via Derek Taylor. Tout le monde connaît la fin de l’histoire : le split des Beatles. Klein est la raison numéro 2 du split, aussitôt après Yoko Ono.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    En 8 ans, résume le Loog, Klein a fait main basse sur tout le Monopoly du rock. Il a récupéré tout ce qui rapporte le plus de blé : «Sam Cooke, Mickie Most, Donovan, les Rolling Stones et les Beatles.» Comme il avait récupéré les meilleurs, les autres ne l’intéressaient pas. Et puis voilà l’épilogue, terriblement Oldhamnien : «La dernière fois que je l’ai vu, il était atteint d’Alzheimer. On a dîné tous les quatre, Allen, son fils Jody, Iris Keitel et moi - dans son appartement new-yorkais. Allen m’observait. ‘I like your haircut, looks good on you’, dit-il. Il savait encore comment me posséder, même s’il ne se souvenait plus de mon nom.» Le Loog pose sur ses contemporains pittoresques le regard d’un écrivain. La différence avec nous autres les amateurs, c’est que le Loog, comme Nick Kent, sont sujets à un vertige qui n’est pas celui que nous connaissons : le vertige combiné des fréquentations hors normes et du right time at the right place à l’échelle d’une vie. Si l’on cédait à la jalousie, on pourrait presque insinuer que c’est trop facile, dans ces conditions, d’écrire un book comme Stone Free. Et puis la raison reprendrait le dessus, car il est facile de comprendre que le souffle porte ce vertige, dans le cas de Nick Kent, comme dans celui du Loog, ou encore celui de Mick Farren. Ils font partie tous les trois de l’establishment littéraire britannique, au même titre qu’Oscar Wilde, Somerset Maugham ou encore Wyndham Lewis.

    Une telle désinvolture ne court pas les rues : «J’ai baratiné Brian (Epstein) pour qu’il me laisse représenter les Beatles à Londres. À cette époque, j’avais déjà fait un peu de presse et de radio, et grands dieux, à 19 ans et self-empoyed, I was cheap enough. À côté de ça, personne n’avait postulé pour ce job, ce qui prouvait une fois de plus la maxime de Woody Allen : ‘Eighty percent of success is showing up.’» Une telle ironie ne court pas non plus les rues  : «Les Beatles ont gagné tellement d’argent que les arnaques des foreigh song publishers et de leur propre record company n’ont jamais bosselé ni les ailes de leurs Rolls ni les portes de leurs manoirs.» Le Loog est aussi le roi de la pirouette malicieuse : «Je devrais préciser que la girlfriend en question était Linda Keith, la copine de Keith Richards à l’époque. Elle m’avait invité à aller voir jouer Jimi Hendrix, alors que Keith et les Stones n’étaient pas en ville. J’ai donc vu Hendrix, mais je ne pouvais pas envisager de m’y intéresser de plus près, parce que j’avais déjà les mains pleines avec les Stones, et Jimi semblait avoir les mains pleines de Linda.»

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

    Et Totor dans tout ça ? Il est bon de rappeler que Totor incarnait aux yeux du Loog le modèle absolu. Le Loog commence par le commencement, c’est-à-dire citer Tom Wolfe dans The First Tycoon Of Teen. On a déjà sorti le Wolfe du bois, mais on va le ressortir : «Phil Spector is a bona-fide Genius of Teen. Dans chaque époque baroque émerge un génie qui incarne la plus glorieuse expression de son style de vie - à la fin de la Rome antique, l’empereur Commodus, durant la Renaissance italienne, Benvenuto Cellini, dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, the Earl of Chesterfield, dans l’Angleterre victorienne, Dante Gabriel Rossetti, dans la late-fancy neo-Greek Amérique fédérale, Thomas Jefferson, and in Teen America, Phil Spector is the bona-fide Genius of Teen.» Le Loog a raison de déterrer cet os magnifique. Ça situe tout de suite le niveau. Mais en même temps, il en tempère les effets, rappelant que Totor est arrivé en même temps que d’autres bêtes de Gévaudan, comme Jerry Leiber & Mike Stoller, Doc Pomus et Ahmet Ertegun - L’essai de Wolfe lui a fait plus de tort que de bien dans ce petit cercle new-yorkais très fermé. À mes yeux, ni Ahmet, ni Jerry ou Mike ne lui ont jamais pardonné ce qui fut, after all, le péché original de Wolfe - Et là, le Loog sort sa botte de Nevers, l’hommage énigmatique : «Phil of course fut toujours un artiste, mais aussi un businessman car il aimait gagner et voir les autres perdre. Il aurait fait beaucoup mieux si les proportions avaient été inversées : Lou Adler, Albert Grossman et Shep Gordon furent capables d’avoir leur gâteau et de le manger, sans avoir à traverser le miroir.» C’est là où le Loog est plus fort que le roquefort : avec cette botte de Nevers, il dit simplement que Totor a transcendé son art en traversant le miroir. On peut trouver une autre interprétation, le Loog laisse le choix, mais celle-ci nous plait bien. Il dit plus loin qu’on peine à imaginer ce que des albums comme Let It Be, Imagine ou All Things Must Pass seraient devenus sans la patte de Totor. Le Loog le rencontre une dernière fois dans d’étranges circonstances, en 2008. C’est Seymour Stein qui l’emmène chez Totor à Alhambra. Totor est encore libre sous caution, mais pas pour longtemps, il va être condamné. Il est déjà reclus, le trou ne changera pas grand-chose. Il fait encore bonne figure et accueille ses invités. Dans ce chapitre, le Loog est à l’apogée de son art, il maîtrise la tension dramatique avec un talent sidérant. Il cite même Hitchcock à un moment, mais pour d’autres raisons («Je n’ai jamais dit que les acteurs étaient du bétail. J’ai dit qu’on devrait traiter tous les acteurs comme du bétail.» C’est l’analogie avec la façon dont Totor traitait les interprètes). Le Loog établit un parallèle fabuleux entre sa vie et celle de Totor - Il me connaissait quand je n’avais pas les moyens de quitter la maison de ma mère, il me connaissait quand ‘Satisfaction’ est devenu un hit dont il aurait lui-même pu être fier, et il me connaissait pendant mes longues traversées du désert, avec ces painful memories of past glories - Et boom, il amène la chute du Niagara : «To know him is still to love him. Sa musique m’a inspiré et son amitié m’a donné le courage d’entrer dans l’arène et de me battre pour mes rêves. Il m’a mis au défi d’enlever mes gants et de me battre à mains nues. And as for loving him, yes I do And I do And I do.» Il finit sur les Ronettes, comme une sorte de Scorsese de la mémoire du rock. Ou mieux encore, comme un Diaghilev du Swingin’ London. Power rock littéraire.

    Pour terminer, voici une perle en forme de petit chef-d’œuvre de dérision wildienne : «Le book que vous lisez aurait pu être écrit voici 30 ans, mais il m’a fallu tout ce temps pour apprendre à taper sur un clavier, et j’ai surtout voulu être assez smart pour vouloir l’écrire moi-même.»

    Signé : Cazengler, dirty old man

    Andrew Loog Oldham. Stone Free. Because Entertainment, Inc. 2014

    James D. Cooper. Lambert And Stamp. DVD Sony 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - Lawrence d’Arabie

    (Part One)

     

    Se perdre dans le désert, c’est une façon de ne pas s’en lasser. C’est aussi la seule parole de sagesse qu’a su pondre l’avenir du rock au bout de plusieurs mois d’errance. Pour se distraire, il inverse les tendances. Plutôt que de voir cette épreuve comme une infortune, il la voit comme une traversée du désert. Il sait qu’on doit en faire au moins une, dans sa vie. Ça permet, énonce-t-il, de tirer des enseignements de son bilan, ou plutôt de faire le bilan de ses enseignements. Avec la chaleur, ça devient confus. Jouer avec les mots, c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour tromper sa soif. S’il n’y avait pas la soif, tout irait très bien. Il a retrouvé une taille de guêpe, il est obligé de tenir son pantalon en marchant. Il ne s’est jamais senti aussi léger. La barbe lui va bien, elle ragaillardit l’aventurier qui sommeillait en lui. Et puis ce bronzage ! Il se sent aussi beau qu’Alain Delon dans La Piscine. Dommage que Romi ne traîne pas dans le coin, elle lui aurait sauté dessus. Il voit déjà ses petites mains potelées caresser son abdomen. Ah les blondes en maillot de lycra noir ! Du coup, ça lui donne une petite érection. Plop ! Il éclate d’un grand rire incertain : «Tiens, ma bite pointe vers le Nord, comme au bon vieux temps !». Comme il n’a pas souvent l’occasion de rigoler, il en rajoute. Ha ha ha ! Ha ha ha ! Il est en plein ha ha ha lorsque paraît à l’horizon la silhouette d’un dromadaire. L’avenir du rock lui fait signe, Ouh ouh ! Ouh ouh ! Le dromadaire se rapproche. Il est tout seul. Il a l’air en pleine forme, comme tous les dromadaires errant dans le désert. Il porte une casquette avec une visière bleue. L’avenir du rock se présente :

    — Je suis l’avenir du rock, pour vous servir, cher drodro de Madère.

    — Oui je sais. J’ai croisé récemment Lawrence d’Arabie qui m’a dit que vous étiez complètement siphonné.

    — Va-t-il rapetisser parricide ?

    — Non, il est parti aquaquer Aqaba avec Jean-Claude Ouin-ouin !

    — Ben dis donc ! Ça craint pour le crin-crin !

    , david eugene edwards, luke haines, andrew loog oldham, lawrence, chet ivey, les vautours, les fantômes,

    Après avoir aquaqué Aqaba, Lawrence d’Arabie refait surface dans Uncut en petite tenue, mais aussi dans les bacs, avec un nouvel album, le supra-classieux Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping. Lawrence d’Arabie est aussi supra-classieux que Peter O’Toole. Sam Richards l’interviewe pour le compte d’Uncut. Lawrence d’Arabie était déjà là dans les années 80 avec Felt, et quand on lui demande la raison de sa longévité, il répond sans ambage : «A desire to be famous, really. A desire to taste the richness of fame. Gosh, can you imagine?». Et il continue d’imaginer : «Ne pas être obligé de prendre le métro, juste monter dans un avion. Puis être attendu par une big limo et ne pas avoir à monter dans le van avec tout l’équipement. Parce que je pense que j’ai quelque chose. Je le savais déjà quand j’étais petit et ça n’est jamais parti. J’ai écrit mon premier poème à 8 ans. J’ai toujours voulu faire un truc avec, mais je n’ai pas recherché le succès. Quand j’ai sorti mon premier single tiré à 500 ex, je savais qu’il n’irait pas dans les charts, je le voyais comme une étape. Je voulais évoluer dans l’underground. J’y suis encore.» Jolie profession de foi. Plus loin, il avoue qu’il n’a jamais cherché à forcer le passage : «I’ll keep my integrity intact.» Pas question de reformer Felt. So it’s a lonely road. Mais pour lui, that’s the good thing to do. Et quand on lui demande s’il compte écrire son autobio, il répond qu’il a reçu «a couple of offers, but what I don’t want to do is ‘Granddad worked down the mine’. That history of the family thing is so boring.» Il dit à l’éditeur qu’il a une idée : «It’s written as you don’t know wether it’s true or not», et il cite le Beneath The Underdog de Charlie Mingus : «He writes as three different Minguses, there’s three of them inside him. It’s the most brillant autobiography.» L’éditeur a dit : «Avez-vous d’autres idées ?». Et quand on lui demande s’il existe un album dont il ne se lasse pas, il répond The Psychomodo de Cockney Rebel - It’s travelled so well. It’s almost like glam Dylan.

    Glam Dylan ? Il ne croit pas si bien dire. Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping grouille de glam Dylan, tiens, par exemple ce «Relative Poverty» qui dégage des relents de «Bebop A Lula» et de Bowie. C’est brillant d’impétuosité. Glam Dylan aussi parce que tu as les lyrics et un poster entier couvert de commentaires. Au fil des cuts, tu t’émerveilles de voir à quel point Lawrence est un artiste complet, mais ça, tout le monde le sait. Il se marre bien avec son «Poundland» - Nothing costs a grand - Il termine sur l’everybody is happy in Poundland. Il enchaîne ce topic avec «Four White Men In A Black Car», un fast heavy kraut de Law, il swingue son four white men avec des retours de wild guitar. Lawrence n’est jamais en panne d’idées. Il passe au heavy stomp avec «I Wanna Murder You». Le pire, c’est que son stomp est bon, bien dans la ligne du parti. Le stomp est d’ailleurs l’une de ses vieilles spécialités. Lawrence est aussi un sacré farceur, comme le montre «Pink And The Purple» - Oh oh look at the purple/ Oh oh look at the pink - Il est fabuleusement Monty Python. Puis il s’en va faire du Burt avec «Flanca For Mr. Flowers», il y va à coups de take a look around, c’est là que se dessine le génie de Lawrence d’Arabie, il navigue exactement au même niveau d’excellence que Burt. Il sait aussi traiter le désespoir, comme le montre «Honey» - Honey say you love me - Il passe à la fast pop-punk avec «Record Store Day» - John Peel/ Mark E. Smith/ Rough Trade - Il salue toute la bande à Bonnot et termine cet album réjouissant avec un joli doublon, le cha cha cha de «Doin’ The Brickwall Crawl» et la fast pop de «Before And After The Barcode», il s’y montre atrocement punk de corps plié sous les coups.

    Signé : Cazengler, le rance d’Arabie

    Mozart Estate. Pop-Up! Ker-Ching! And The Possibilities Of Modern Shopping. West Midland Records 2023

    Sam Richards : An audience with Lawrence. Uncut # 309 - February 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Ivey César !

             Tout le monde dans le quartier connaissait Yvon. Certains le surnommaient la limace.  D’autres l’appelaient Tartine, on se savait pas pourquoi. Dans les deux cas, on sentait de la moquerie. Rien de surprenant, car Yvon ne faisait rien pour améliorer son image. Été comme hiver, il portait le même pull bleu marine, le même pantalon de bleu de travail et des chaussures noires récupérées aux Emmaüs. Il avait la peau très mate, les cheveux noirs coupés court, avec une petite frange sur le front, et le regard très noir empreint d’une mélancolie qui semblait naturelle. Il ne souriait jamais. Il semblait avoir été frappé par le destin. Personne ne savait rien de son histoire. Il vivait seul dans l’un des immeubles de la barre, on ne savait pas précisément où. Il donnait des coups de main au gardien, à sortir les poubelles ou à ramasser les chiens et les chats crevés que les loubards du quartier avaient traînés derrière leurs mobylettes pour se distraire. Yvon allait les enterrer à la lisière du bois, de l’autre côté de la ligne du RER. Lorsqu’ils le voyaient faire, les loubards le suivaient avec leurs mobylettes, ram-papapam, et lui promettaient qu’un jour c’est lui qu’ils traîneraient derrière eux. Yvon haussait les épaules. Il savait qu’il ne risquait rien. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il tatouait tout le monde dans le quartier, y compris les loubards en mobylettes. Yvon avait installé son «salon» dans une cave et c’est là qu’il tatouait. Il demandait des clopes ou des packs de bière en échange, il n’avait pas besoin d’argent. Il demandait aussi qu’on lui amène les dessins, car il ne savait pas très bien dessiner et il ne voulait plus d’ennuis à cause des tatouages ratés. On l’avait souvent vu à une époque avec les deux yeux au beurre noir. Il tatouait bien sûr à l’ancienne. Il versait un peu d’encre de Chine dans une petite casserole toute cabossée et taillait avec son cran d’arrêt un bout de son talon pour le faire fondre dans l’encre. Il portait son mélange à ébullition au-dessus d’un petit réchaud de camping. Il attachait deux grandes aiguilles ensemble avec du fil de fer et tatouait à la lueur d’une mauvaise lampe de poche. Il tatouait d’une seule traite, parfois pendant plusieurs heures. Une fois terminé, il rinçait le tatouage à la bière et indiquait à son «client» qu’il aurait sans doute de la fièvre, dans les jours à venir. Il donnait la consigne de ne pas s’inquiéter et d’attendre que ça cicatrise. «Si t’as du pus sous la croûte, tu rinces à la bière.» Effectivement, il y avait du pus.

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

             Pauvre Yvon. Il aurait sans doute préféré vivre la vie d’Ivey aux États-Unis et faire du funk, plutôt que de tatouer les loubards de banlieue. Mais bon, comme le dit si bien le proverbe, on a la vie qu’on mérite, alors n’allons pas nous plaindre.     

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

             Pour une fois, ce n’est pas directement Kent/Ace qui nous ramène Chet Ivey dans le rond du projecteur. C’est leur filiale BGP (Beat Goes Public) et la compile s’appelle A Dose Of Soul. The Sylvia Funk Recordings 1971-1975. Elle vaut sacrément le déplacement. Dean Rudland commence par t’expliquer qu’il n’existe quasiment pas d’infos sur Chet Poison Ivey, mais il en brosse tout de même un beau portrait, le basant à Washington DC, faisait de lui «the embodiment of a journeyman musician», et son job consistait à jouer dans les clubs, bars and lounges, avec un répertoire de «dance crazes, rewrites of 1960s pop hits, James Brown-style funkers, Sigma Sound-produced disco grooves and the electro funk found on his final 12-inch singles.» C’est un vétéran de toutes les guerres du jazz, Al Sears, qui produit le premier single d’Ivey. Lorsqu’Al Sears s’en va bosser pour Ray Charles et son label Tangerine à Los Angeles, le pauvre Ivey se retrouve le bec dans l’eau. Sa carrière redémarre en 1972 avec «Funky Chit Chat», paru sur le Sylvia label d’Al Sears. C’est avec le beau funk essoufflé du Chit Chat que Rudland démarre sa compile. Ivey est rauque, donc pur. Son funk paraît poussif, mais Ivey pousse à la roue. Hélas, le single ne marche pas. Ivey s’en va enregistrer «Get Down On The Geater» et «Bad On Bad» chez Sigma Sound, à Philadelphie, et là, c’est une autre paire de manches - You know what ? - C’est drivé à ras des pâquerettes, au wild funk, retenu à l’arrière, that’s bad on bad, c’est l’apanage du groove génial immobilisé. Ivey attaque son Geater au scream. C’est un seigneur - People are you ready - Il shoote son r’n’b à l’efflanquée. Il en fait le r’n’b des enfers - Hey babe looka here - Il en perd le souffle. Rudland ajoute, histoire de bien nous faire baver, qu’il a casé «He Say She Say» sur sa compile The Mighty Superfunk qu’on va bien sûr aller écouter. Mais il en case aussi une version ici, «He Say She Say» est un fantastique shoot de heavy Chet. Il chante comme si sa vie en dépendait, aw yeah. Et puis tiens, voilà une reprise des Fiestas, «So Fine», avec son distinctive clipped guitar riff, encore un funk de rêve, plein de répercussions, so fine yeah, ça roule sur les boules, Ivey nous pond là un funky r’n’b assez lointain avec du son sous le boisseau. Encore un classic funk d’attaque frontale avec «Movin’». Rudland fait cette fois référence à Sly Stone, à cause des cuivres. Il ajoute qu’Ivey joue du sax sur «Don’t Ever Change», un instro ravageur. Tout est drivé serré sur cette compile, pas de gras. «Dose Of Soul» est aussi enregistré chez Sigma Sound, il harangue tout de suite, hey hey people ! Rudland indique que le single est sorti sur le label d’Estelle Axton, Fretone, à Memphis. S’ensuit un «Party People» en deux parties, hommage évident à James Brown. Ivey le groove à la sourde, yeah yeah, ahhh-ahhhh get me down/ let’s do some mo’ - Ivey te groove ça sec au hey hey ahhh-ahhh. Pas de problème. Et quand la diskö envahit les clubs, les artistes comme Chet Poison Ivey sont vite dégommés. Alors il prend un boulot pour vivre et meurt assez vieux.   

    david eugene edwards,luke haines,andrew loog oldham,lawrence,chet ivey,les vautours,les fantômes

             On retrouve le mystérieux Chet Ivey sur une compile superbe, Mighty Superfunk. Rare 45s And Undiscoverd Masters 1967-1978 (Volume 6). Il se planque en C avec «He Say She Say» qu’il chante à l’essoufflée pantelante. On profite du voyage pour faire d’autres découvertes, comme le veut le principe des compiles, par exemple Eleonor Rigby avec «Queen Of Losers», un hit rampant du siècle dernier. Ces mecs t’aplatissent, ‘cause I’m the queen of losers ! Belle rencontre aussi que celle de Kim Tamanga avec «Groovy Baby», très staxé, superbe présence, elle est par dessus les toits ! Gloria Lucas fait sa Diana Ross avec «One Sweet Song» et The Phillips Brothers développent un sens aigu de la traînasserie avec «Who Stole My Cookie». En ouverture de bal de C, tu vas tomber sur 87th Off Broadwway et «Moving Woman», un énorme groove urbain, non seulement énorme mais complètement dévastateur ! Marie Franklin opte pour le hard funk avec «Bad Bad Woman Pt1», elle est fantastique de check it out. Ça bouillonne dans les veines du hard funk ! En D, un certain Julio Zavalla rend hommage à James Brown avec un «Cold Sweat» bien senti. Il est dessus, au micron près.

    Signé : Cazengler, Chet en bois

    Chet Ivey. A Dose Of Soul. The Sylvia Funk Recordings 1971-1975. BGP Records 2017

    Mighty Superfunk. Rare 45s And Undiscoverd Masters 1967-1978 (Volume 6). BGP Records 2008

     

    *

    Jean-Louis Rancurel avait si bien parlé des Vautours dans le numéro 27 de Rockabilly Generation News que j’avais promis dans ma chronique (livraison 614 du 05 / 10 / 2023) un petit topo sur ce groupe.

    LES VAUTOURS

    Ange Beltran : batteur / Christian Bois : bassiste / Pierre Klein : guitare solo / Vic Laurens : chanteur, guitariste.  

    Proviennent de Créteil, aujourd’hui Montreuil s’enorgueillit, avec raison, d’être la première cité rock de France mais au début des années soixante ce rôle était dévolu à Créteil. Les Chaussettes Noires étaient de Créteil, or le monde du rock à cette époque étant très petit Tony d’Arpa des Chaussettes était le frère de Laurent d’Arpa d’où son nom de scène de Vic Laurens.

    Le groupe formé en 1961 autour de Vic Laurens ne durera pas éternellement puisque fin 1962 il n’existera plus.

    1961

    FX 45 1272 M

    La pochette avec son fond rouge et ses silhouettes découpées risque de décevoir les amateurs de belles couves elle s’inscrit (en moins bien certes)  dans la grande tradition des premiers EP  français de Little Richard et de Bill Haley. Dommage que l’on n’ait pas employé un ton franchement criard.

    z21932vautours.jpg

    Vautours ; instrumental, une bonne basse, une guitare un peu maigriotte, une autre davantage costaude, l’on ne s’ennuie pas, loin de là, carré en diable, une batterie qui tient et soutient son monde regroupé, une belle entrée en matière.  Betty et Jenny : l’influence du grand Schmoll sur le vocal et des Chaussettes sur l’accompagnement est évidente, le morceau est une parfaite réussite. Coule comme du champagne dans votre coupe, les bulles pétillent et vous en reprendrez bien une longue goulée à même la bouteille. Tu me donnes : une reprise de Gene Vincent, une belle réussite, Vic Laurens imite encore un peu Eddy Mitchell, qui s’en plaindrait, habituons-nous à cette guitare un peu grêle, surtout que l’autre par-dessus est beaucoup plus mégaphonique. La meilleure adaptation que l’on pouvait trouver sur le marché en ces temps archaïques. Claudine : on échappe au pire, on évite le slow qui claudique comme une vieille bique, un texte bêbête, z’y mettent du cœur et vous débitent la chansonnette en colis postal express. L’on est tout de même content quand c’est fini.

    FX 451277 M

    Le groupe en train de jouer, de poser pour être plus précis, l’idée n’est guère originale, je ne sais pas qui a eu l’idée de ces espèces de banderoles, mais cela vous transforme la pochette en petit chef d’œuvre qui rend parfaitement l’ambiance délurée de ces premières french sixties.

    z21909aveclesbanderoles.jpg

    Tu peins ton visage : cette version est loin de surpasser celle des Chats sauvages beaucoup plus tumultueuse, l’on a l’impression qu’à part la batterie qui accomplit un énorme boulot, le reste de la bande a du mal à trouver sa place et l’inspiration pour se glisser dans la ronde. Ne me dis pas non : cette fois tous ensemble, on en profite pour décerner un vautour d’or aux cris plus près des hurlements de peaux rouges que des hoquets rockab dont Vic Laurens aime à parsemer ces fins de couplets, sont au zénith de leurs possibilités, vous entraînent à toute vitesse et quand ils finissent on n’aime pas. Oncle John : il fut un temps où Long Tall Sally était considéré comme l’un des plus grands morceaux de rock, l’a disparu l’on ne sait pourquoi des mémoires, Vic n’est pas Little Richard mais il se colle aux instrus qui décollent et s’y accroche sans se laisser submerger par la rafale instrumentale. Permettez-moi : vous leur filez un slow ils vous le transforment en blues, non ce n’est pas B. B. King, mais ils s’en tirent bien, surtout la guitare gracile qui n’a jamais été aussi judicieusement utilisée dans les morceaux précédents.

    1962

    FX 45 1281 M

    Cette fois la photo est prise en plongée, le même style de chemises que sur la précédente, ils vous adressent de tels joyeux sourires que vous avez envie de leur sourire en retour. La photo est de Ferembach le photographe attitré des disques Festival. L’on reconnaît le style.

    z21930det'aimer.jpg

    Run around Sue : une reprise de Dion et des Chaussettes Noires, le titre est donné en anglais mais la chanson est chantée en français, de beaux roulements de batterie, un sax qui s’en vient aboyer, des chœurs qui scandent à fond de train, le vocal de Vic qui survole, que voulez-vous de plus ? Rien ! Jacky qu’as-tu fait de moi ? : ne faites pas comme l’imbécile qui regarde le doigt qui lui montre la lune, Jacky n’est pas la cause de ce morceau mais la conséquence, le coupable est un être tordu, vous avez reconnu le twist cet ersatz du rock que les groupes français adoreront, pour une fois l’on avait un sujet d’actualité pour les paroles. Ici vous adorerez les cinq dernières secondes.  Good luck charm : s’en sort bien le Vic, l’a fait des progrès, sa voix s’est arrondit et il en joue, reprendre ces petits bijoux de grâce exquise dans lequel Elvis a excellé lorsqu’il s’est laissé manœuvrer par RCA est un jeu périlleux autant pour le chanteur que pour les musiciens. Réalisent l’exploit de ne pas nous décevoir. Le jour de l’amour : heureusement que le sax vient cacher le bêlement du ‘’ je t’aime’’ de Vic il recommencera plus loin (juste un peu, le morceau dure 2 minutes et des poussières ) à faire la même chèvre sur ‘’ même’’ on a de la chance le loup revient déguisé en saxophone il bouffe la bique, le morceau n’en est pas moins dans les choux.

    FX 45 1288 M

    Ligne claire serais-je tenté de dire. Etalez une série de pochettes De ces années folles, celle-ci vous fera l’effet d’une trouée lumineuse. Ferembach toujours derrière l’objectif, est-ce lui qui a eu l’idée de cet arrière-plan bariolé qui pousse à son maximum les banderoles du deuxième 45 tours ? J’aurais aimé connaître le nom du designer pour employer un terme inconnu à l’époque.

    z21931yayatwist.jpg

    Ya Ya twist : la plupart des twists commencent doucement pour démarrer en trombe au bout de quelques instants, ici il batifole à petites foulées légères, une basse qui fait des pointes, nouveauté la présence de chœurs féminins qui adoucissent les angles et rafraîchissent l’atmosphère. Le rock s’adapte doucement mais sûrement. Mon amour est trop grand : pas du tout larmoyant, une trottinette électrique qui zigzague sur les trottoirs entre les passants, la voix de Vic volette au-dessus des fleurettes, adjonction d’un piano qui frétille, voici un amour malheureux qui rend heureux l’auditeur. Le chemin de la joie : rien qu’au titre l’on comprend que le disque a été conçu pour vous rendre heureux de vivre, tout en douceur et en mollesse, même une espèce d’orchestration genre générique de film à l’eau de rose, pourquoi les rockers arborent-ils une moue dégoûtée, parce que les Vautours ne plus puent du croupion ! Hé ! tu me plais : une interjection bien venue, hélas l’on continue à patauger dans le fadasse, gentillet, les chœurs féminins soutiennent Vic, les guitares en sourdine, le piano qui sourit de toutes ses dents. L’ensemble n’est pas à la hauteur de la pochette.

    FX 45 1298 M

    Une photo différente, normal elle n’est pas de Ferembach mais de Gardé. Changement de décor, en extérieur, en pleine nature, n’exagérons rien plutôt un parc municipal. Horreur, sur le disque précédent on a eu droit à un simili rock, sur cette pochette nos quatre garçons dans le vent sont tous fagotés dans un costume noir. Respectabilité oblige.

    z21933petiteangèle.jpg

    Le coup du charme : bis repetita… serait-ce un titre porteur, ou un signe annonceur de la prochaine fin des haricots ou Festival qui presse les ultimes gouttes du citron… à la réécoute le titre me semble un peu pâle… Laissez-nous twister : la voix devant et le reste derrière, on les entend sur le long pont, ni pire, ni meilleur que les centaines de twists qui régnèrent en maître, la formule tend à s’épuiser, sur le dernier couplet cette main tendue aux anciennes générations est bien opportuniste. Ma Petite Angèle : l’intro angélique n’est pas mal du tout, ensuite l’on patauge dans la choucroute, une guitare cristalline, des voix éthérées de jeunes filles, cette ange ne vole pas haut. Qui te le dira : serait temps qu’ils se réveillent, la batterie lance l’assaut, Vic mâche un peu trop les mots, il y a tout pour un bon rock mais il faudrait un combo un peu moins cantonné dans l’attendu et un chanteur doué d’un timbre moins primesautier.

    FX 45 1315 M

    Au dos de la pochette précédente ce n’étaient pas Les Vautours mais les Vautours avec Vic Laurens. Sachez apprécier ou regretter la différence sur celle-ci, c’est Vic Laurent en gros et Les Vautours en gris. Pire les Vautours sont relégués sur la face B. Sur la A Vic est accompagné par Alain Gate et son orchestre. Bien sûr il y a des violons sirupeux. Comme quoi les vautours qui viennent manger les cadavres ne sont pas toujours où on pense…

    z21928vautours.jpg

    Be Bop Boogie Boy : un morceau de Gene Vincent, l’adieu au rock des Vautours, un piano rock, un sax rôdeur, un vrai solo de guitare, moins de deux minutes, on regrette qu’ils ne se soient pas étendus davantage. Dancing party : les vacances sont terminées, ils promettent de continuer la fête, mais ils y vont mollo sur le rythme, le cœur n’y est pas.

              Voilà c’est fini. Non pas tout à fait. Il reste un titre sur un 25 centimètres. Pour la petite et honteuse histoire ce titre est d’abord sorti sur le 30 cm FLD 278 intitulé Twist et Tango. Festival était spécialisé dans les exoticas, typicas musicas espagnolitas. Mettre deux titres ‘Twist’’ sur cette compilation aidait à vendre des rythmes dont la jeunesse d’alors se détournait. Je vous mets la pochette car le ski nautique au même titre que le golf miniature et le karting étaient deux activités, sportives ou récréatives dont les jeunes raffolaient. 

    z21934tango.jpg

    FLD 285 STANDARD

    TWIST AVEC LES VAUTOURS

    Notons que c’est l’unique pochette assez bien réussie selon mon goût douteux sur laquelle se détache un spécimen de l’oiseau qui a donné son nom au groupe. La photo de la pochette sur la pochette doit être de Ferembach et le montage au charognard de Holmes-Lebel.

    z21918twistaveclesvautours.jpg

    Ya Ya Twist / De t’aimer de t’aimer / Le jour de l’amour / Mon amour est trop grand / Run around Sue / Le chemin de la joie / Hé ! Jacky qu’as-tu fais de moi / Hey Little Angel.

    De t’aimer de t’aimer : un twist idéal pour danser, la voix trop joyeuse, des chœurs qui servent la moutarde, la batterie qui s’adjuge la part du lion et les guitares à corps perdu, le titre est un peu neuneu, mais vous ne pourrez vous empêcher de l’aimer, de l’aimer.

             J’ai parfois été un peu sévère, pas vraiment injuste, ils ont essuyé les plâtres du rock français et cela est respectable. Très râlant de se dire qu’ils étaient comme une fleur équatoriale dont la graine aurait été transportée en Alaska. Ils ont fait ce qu’ils ont pu et ce que l’on a voulu qu’ils fassent. Notre rock national est né hors sol, il n’y avait pas de directeurs artistiques et d’ingénieurs du son, pas de terreau culturel musical sur lequel s’appuyer. Ont imité les disques qu’ils avaient en leur possession. Comme à l’école quand on copiait sur la copie du voisin sans comprendre un traître mot de ce qu’il voulait dire. Risible et édifiant, mais éloquemment hommagial de mettre le titre original en langue anglaise pour faire plus rock !

             Si j’ai un conseil à vous donner c’est de vous procurer l’Intégrale de Magic Records mais de ne pas faire comme moi à écouter tous les titres à la suite, deux ou trois en même temps et laissez reposer avant de reprendre, ils se sont améliorés sur ces deux années mais ils n’ont pas significativement progressé, ne sont pas parvenus à bâtir une vision-rock de leur entreprise qui leur aurait permis d’évoluer. Ce n’est pas pour rien si cette première flambée rock - elle fut dévastatrice si l’on pense à tous les artistes installés et consacrés qui furent refoulés par cette première vague arrogante du jour au lendemain dans des oubliettes dont ils ne ressortirent jamais– ne dura guère. L’énergie initiale ne persista point, faute de matériaux propres les groupes ne bâtirent rien. Ne les oublions pas. Ce serait les tuer une deuxième fois.

    Damie Chad.

     

    *

    Inutile de résister à la nostalgie des époques résolues, voici donc :

     

    LES FANTÔMES

    Dean Noton : guitare lead /  Dany Maranne : basse / Jacky Pasut : guitare rythmique / Charles Benaroch : batterie /

    Z’ont du culot, sur tous leurs disques ils font suivre leurs noms de la mention : et leurs ‘’ Big Sound’’ guitares, ils ont raison comparez par exemple avec la mention ‘’ guitare aigrelette’’ avec laquelle je qualifie dans la chronique précédente le son des Vautours, les Fantômes sonnent électrique. Sont pris en main par les disques Vogue, maison de disques qui vient de perdre, au profit de Phillips, Johnny Hallyday.

    1962

    EPL 7918

    Pour cette première pochette je vous laisse chercher l’anomalie. Une activité qui fleure bon les années soixante, fallait découvrir les trucs bizarres dans les vitrines des commerçants, pour recevoir un cadeau. Mon aveu me coûte : je n’ai jamais rien gagné.

    z21912lediable en personne.jpg

    Le diable en personne : ne se refusent rien, attaquent bille en tête avec une version d’un des deux grands classiques du rock anglais, le Shakin’ All over de Johnny Kidd, Dany est au vocal, pose sa voix sans essayer de prendre des inflexions à l’américaine, derrière lui l’accompagnement est au plus près une superbe réussite. Un détail capital qui ne trompe pas Tony Marlow reprendra cette version française sur les deux disques qu’il a consacrés à Johnny Kidd et ses Pirates. Golden earrings : instrumental, Danny Maranne ayant signé un contrat en tant que chanteur avec les disques Barclay, les Fantômes continueront avec lui, se présentant comme un groupe instrumental, une reprise des Hunters groupe anglais émule des Shadows, en offrent une version plus policée que leurs homologues britanniques qui passent en force. Fort Chabrol : avec un tel titre l’on s’attend à une tuerie - l’est coécrit par Dean Noton, sera pendant de nombreuses années guitariste d’Eddy Mitchell,  et Jacques Dutronc, notons que si Dutronc fut le guitariste d’El Toro et Les Cyclones, Charles Benaroch est l’ancien batteur des Cyclones – l’on a droit à une belle ballade des plus harmonieuses, Françoise Hardy la reprendra sous le titre Le temps des Copains, certes l’on aurait préféré un envol tumultueux, mais faute de grive l’on mange des merles et tout compte-fait ce n’est pas mauvais. C’est même bon. Original twist : deuxième composition Noton-Dutronc, en quoi ce twist est-il original se demandera le lecteur curieux, parce qu’il évite la tarte à la crème des riffs à grosses cordes remplacés par de légers et subtils doigtés de guitares sans parler des effleurements battériaux des plus voluptueux.

    EPL 7945

    Belle pochette, seriez-vous aussi perspicace que moi, sans vous faire languir j’attire sur votre attention sur le fait que tout comme sur le disque précédent, le batteur n’est pas sur la couve. Je ne suis pas cruel, deuxième chance : au dos de la pochette il est affirmé que parmi nos quatre fantômes se cachent un véritable fantôme écossais. Cherchez l’intru !

    z21913shazam.jpg

    Shazam : crédité à un certain Eddy ( Mitchell  ). Une intro magique, y a de temps en temps quelques brefs passages qui fleurent la facilité, toutefois une brillante démonstration de ce que le groupe peut faire. Pas de problème, la solution c’est qu’ils peuvent tout. Cafard : composition de Dany Maranne. Comme par hasard la basse pleure à grosses larmes, ce n’est pas un blues, mais c’est triste, non pas comme la mort mais comme la vie. Les fantômes se débrouillent pour avoir une petite idée originale ou un gimmick de génie pour chacun de leurs titres. Train fantôme : attribué à Thomas Davidson, inutile de feuilleter votre Encyclopédie du rock en soixante-quatre volumes, vous le connaissez c’est le véritable nom du fantôme écossais Dean Noton qui nous vient comme il se doit d’Ecosse. Ferait un parfait générique pour un superbe film empli à ras-bord de fantômes.  De temps en temps vous avez des traces d’Apache des Shadows, pensez à Geronimo et vous serez heureux. S’-inspirent mais ne copient pas. Méfie-toi : faut toujours se méfier, je n’aurais jamais imputé ce titre triste comme un jour sans cigare à Dutronc. Entre noux, un peu faiblard et un peu facile. N’ont pas forcé leur talent. Trop attendu, même pas peur.

    EPL 7965

    Sont bien quatre sur la pochette ! Par contre ce vert glabre en fond de pochette, ce n’est pas la fête. Pour une fois ils ne sourient pas, ont l’air de s’interroger sur la manière de jouer. Sont sérieux. Est-ce pour cela qu’ils ont rajouté ‘’ Twist’’ et ‘’ Special danse’’. Quatre nuances de twist : successivement : twist, madison twist, marche twist, slowtwist !

    z21924twist33.jpg

    Twist 33 : pourquoi 33, nous sommes sur un 45 tours ! un twist comme tous les autres twists mais joué sans effet-bœuf, un beau solo de Benaroch au milieu juste pour avertir les esprits distraits, écoutez les gars on sait jouer, des guitares sans emphase mais pile-poil, elles ne grattent pas les oreilles, elles ne font que passer, dans leur rapidité elles vous séduisent mais disparaissent si vite que vous les regrettez aussitôt qu’elles s’éloignent. Pour le 33 j’ai  une semi-réponse à intervalles réguliers une voix énonce 33. Walk don’t run : enfin un madison qui n’est pas pour les handicapés, z’avez intérêt à ne pas vous emmêler les chaussures orthopédiques si vous désirez suivre le quadrillage masidonien, une guitare hors-bord vole au-dessus de l’eau, Benaroch devrait s’appeler Benarock. Marche twist : ce n’est pas le blue- rondo à la turk mais ça défile rondement, sur la fin le morceau ils se libèrent des entraves rythmiques et la guitare nous fait le vol du papillon qui déclenche une catastrophe dans vos oreilles à l’autre bout du monde. Je ne veux pas t’aimer : Clopin-galopant, je vous mets au défi de danser un slow sur ce rythme, pour les étreintes langoureuses vous repasserez, en toute logique puisqu’ils ne veulent pas l’aimer. Le premier et le troisième titre sont des compos du groupe.

    EPL 8013

    La grosse caisse au premier plan, les Fender derrière, sont alignés comme des représentants de commerce, impeccablement serrés dans leurs costumes sombres.

    z21925mustang.jpg

    Watch your step : un twist parfait pour de petits rats d’opéras affolés en tutus roses qui courent partout sur leurs pointes, étrange ils parviennent à ne pas rendre le twist ennuyant. Un beau chassé-croisé de guitares. Si vous jouez à chat, croyez-vous que vous réussirez à les rattraper. No man’s land : drôle de titre pour un slow, ce coup-ci, ils nous le font à la besame mucho, c’est beau, c’est lent, n’exagérons bien, ils s’appliquent comme des forts en math qui résolvent une équation, c’est parfait pour ennuyer les rockers. The mexican : pourvu que ce ne soit pas de l’exotico de pacotille, notre souhait est réalisé mais c’est pour les scènes d’amour dans un western mexicain, à la fin ils sortent leurs guitares comme s’ils dégainaient un colt, hélass aucun yankee ne se précite sous les balles. Manque un peu d’hémoglobine. Mustang : il suffisait d’attendre, la charge indienne fonce sur vous et la vie se teinte de toutes les couleurs, un petit parfum Apache, normal c’est aussi composé par Jerry Lordan, reprennent la version des Shadows mais se permettent une petite ruse de peaux-rouges sur le sentier de la guerre, ils ne copient pas, ils ne s’inspirent plus, ils innovent.   

    V 45 986

    Jamin’ the twist : Part 1 : morceau de Dean  Noton, puisqu’ils disent que c’est un twist on les croit, plutôt un morceau hors-norme où ils se laissent la bride sur le cou, c’est fabuleux à entendre, se donnent à fond, sont loin des cadresors, un morceau pour les juke-boxes, Fantômes en liberté. Jamin’ the twist : part 2 : quand c’est fini on recommence, on eût aimé que Vogue ait eu l’audace de leur filer non pas l’espace d’un 45 tours deux titres mais les deux faces d’un trente centimètres.

    L’année 62 s’achève : sortiront encore une ribambelle de 45 Tours deux titres pour les Juke-boxes déjà parus et un 33 tours :

    LD 580

    TÊTE-A-TÊTE AVEC LES FANTÖMES

    Une photo désastreuse : sont alignés comme des boites de petits pois sur l’étagère d’une épicerie.

    z21923têteàtête.jpg

    La Schlap / Je ne veux pas t’aimer / Walk don’t run / Cafard / Marche twist / Train fantôme / Shazam / Shazam / Méfie-toi / Golden earrings / Fort Chabrol.

    La schlap : dire qu’à l’époque fallait racheter ce 25 centimètres pour ce seul morceau qui ne figurait pas sur les 45 tours. Un de leurs meilleurs titres, une autoroute sans limitation de vitesse pour Benaroch !

    1963

    EPL 8055

    Un peu ridicules, en rang d’oignons dans leurs costumes marron et leur nœuds papillons noirs. Quel manque criant d’imagination !

    z21922archimède.jpg

    Archimède : un grand esprit dans une conversation change la donne, n’ont jamais sonné ainsi nos Fantômes préférés, en font peut-être un peu trop pour que l’on ne s’ennuie pas, démonstration réussie, l’originalité déconcerte mais finit par l’emporter. C’est un principe. Reflexion : devaient être dans une période d’incubation intellectuelle, c’est que l’on doit appeler de la science molle, un slow escargot, la compo est de Dean Noton. Suis sûr que votre cavalière a dû s’ennuyer. Nous aussi. Le grand départ : ils ont bien fait de partir, chaque fois que Dany écrit une compo il pose sa basse au premier plan du début à la fin, alors les copains sont bien obligés de se pousser dans leurs derniers retranchements pour se faire entendre. Résultat, sans être grandiose, ce n’est pas mal du tout. Lover’s guitar : en traduction éloignée ils l’ont surnommée : Je t’aime tant. La guitare se la joue à l’italienne, gaie et entraînante, pas très finaude… par contre les dernières vingt secondes exigent une écoute attentionnée. L’on retrouve parmi les signataires du morceau la ravissante Eileen qui enregistra Love is strange avec Mickey Baker.

             Zut Pasut est parti à l’armée il est remplacé à la rythmique par Jean-Claude Chane ancien chanteur des Champions. L’armée et la guerre d’Algérie ont été deux grands facteurs de destruction des groupes rock de la première génération… Re-zut, Pasut finira cadre-sup chez Total !

    EPL 8075

    Fond gris pour la pochette qui offre leur plus grand succès.

    z2191loop.jpg

    Loop de loop : j’en avais gardé un autre souvenir, magnifié par la beauté sonore du titre, ils cherchent à se renouveler, une démarche similaire à celle des Vautours, introduction de chœurs féminins et masculins qui occultent par leurs incessantes jacasseries les guitares.  L’on entend très distinctement les filles articuler Yé-Yé-Yé. Décevant. Pas raté, loopé. Marche des aigles : batterie et guitare cristalline, z’ont attrapé le son des Vautours. Un plom-plom de basse, l’on pense que c’est terminé mais non, nous n’en sommes qu’à la moitié. Ce n’est pas qu’ils se cherchent, c’est qu’ils ne se trouvent pas. Partisans : sont allés jusqu’en Russie ce qui nous vaut un morceau tonique, drivé par une batterie folle, sur laquelle les guitares brodent à satiété. Une réussite. Bastic : Dean se rattrape de sa Marche des aigles qui volaient trop bas, dans la continuité du précédent, tambours en avant-garde, cordes lugubres, de temps en temps graciles, juste ce qu’il faut pour rehausser la profondeur nocturne de l’atmosphère.

    EPL 8105

    Une pochette qui tranche sur toutes les autres, pleines têtes, préfiguration ou influence des premiers 45 tours français des Beatles…

    z21915moukinrouge.jpg

    Hully bach : la connexion via Eileen avec Mickey Baker n’était pas due au hasard, voici une reprise du Maître. Les Fantômes tels qu’on les aime, très électrique avec de chœurs qui ont quitté l’air nounouille qu’ils avaient sur Loop de Loop. Moulin Rouge : typically french, un sous-entendu de valse, les guitares flottent dessus comme des cigognes qui bâtissent leurs nids sur les cheminées. Que ton cœur me soit fidèle : un titre de Barbara Lynn, chanteuse et guitariste américaine. Introduction d’un orgue et de chœurs féminins qui accaparent toute la place et changent totalement le son de notre quatuor. Tolhrac : ne me demandez pas ce que signifie, pour ce titre il faut remplacer leur ‘’ big sound’’ guitare par ‘’enormous sound drummin’’. Explosif ! Un des meilleurs titres du groupe. Benaroch éblouissant.

    LD 61 130

    LES FANTÔMES

    Une pochette sympathique bien supérieure à leur premier 25 cm.

    Loop de loop / Black bird / Marche des aigles / Moulin Rouge / Que ton cœur me soit fidèle / Partisans / Summertime / Tolhac / Archimède / Bastic.

    z21916blackbird.jpg

    Black bird : une sucette à la fraise, toute douce, toute sucrée, parfaite pour un slow d’été, vous l’écoutez une fois et vous l’oubliez, des chœurs en pagaille, mais ce qui manque en fait c’est un chanteur pour faire passer la pilule. Summertime : dommage qu’il y ait ces chœurs qui n’apportent rien, les guitares dramatisent, la basse enfunèbre, la batterie imperturbablise. Une belle version tout de même.

    1964

    EPL 8205

    Belle couve d’André Nisak, trois guitares pour quatre garçons. Dans la continuité du 45 tours précédents.

    z21921lesyeuxnoirs.jpg

    Les yeux noirs : attention cette vieille romance tsigane a été magnifiée par Django Reinhardt, l’existe une vidéo sur YT, au bord de la mer, où nos boys fantomatiques l’interprètent à toute vitesse, pas fous qui oserait rivaliser avec les nuances de Django, ces yeux noirs pétillent de malice et ne sont voilés d’aucune nostalgie. Caravane : ne doutent de rien, après Django, Ellington ? La vérité c’es que depuis quelques mois ils se sentent à l’étroit dans cette formule instrumentale… Cet EP sera le dernier disque des Fantômes… Ne vous la ménagent pas cette vieille caravane, l’ont attelée et elle cahote méchamment sur une route non goudronnée, Michel Gaucher (Chaussettes Noires puis Eddy Mitchell ) est venu avec son saxophone, l’est capable de faire à lui tout seul autant de bruit que la section cuivrée de l’orchestre du Duke.  Elle est bien bonne : guitares bruyantes et rires caverneux, même pas une minute trente, plutôt un gimmick qu’un morceau. S’écoute avec plaisir.

    Stone city : dernier titre, le rideau tombe, la nostalgie nous étreint déjà…

     

    Dean Noton a disparu en 2020. Dany Maranne rattrapé par son passé de mauvais garçon sera abattu de sept balles devant chez lui à Alfortville, le 16 juin 1988… Le 16 décembre 2006 les Fantômes organiseront en hommage à Danny Marranne un ultime concert à Alfortville.

    Les Fantômes furent et de loin le meilleur groupe de rock instrumental français. Ils accompagnèrent beaucoup d’artistes et notamment Gene Vincent.

    Nous croyions être désormais tranquille mais :

    2022

    ANTHOLOGIE

    LES FANTÖMES

    ( Williamsong Music )

    Fort Chabrol / Walk don’t run / Loop de loop / Bastic / Hully Batch / Tolhrac / Cafard / Les Yeux noirs + 7 inédits

    z21911anthologiedevant.jpg

    No Stalgie : ( Charles Benarrach ) :bien sûr c’est nostalgique en diable, en plus cela dure presque quatre minutes, le temps de pleurer dans son mouchoir et de se demander si ces bandes retrouvées par Pasut et Benaroch remises en état par Joël Atlan n’ont pas été rallongées pour les besoins de la cause. Alabama song : ( Gérard Kawczynski ) : rien à voir avec les Doors, l’auteur du titre était-il présent le jour de l’enregistrement, le son ne correspond pas vraiment à celui des Fantômes. Le jeu de guitare me semble plus moderne. Agréable. Blue Sky : ( Gérard Kawczynski ) : même son et même tempo que No Stalgie. Trop long, trop différent. Twist 33 : ( Pasut – Marranne ) : n’a pas le brillant de l’original, manque de peps, et les soli de la guitare ne sont pas identiques. J’ai eu trente ans : ( Gérard Kawczynski / Maxime Le Forestier ) : ça pue la chansonnette, un son bien trop moderne, chronologiquement ça ne tient pas la route. Speedy : ( Gérard Kawczynski ) : dans la facture, ce morceau est celui qui se rapproche le plus des Fantômes, mais le son de la guitare et la manière d’en jouer ne correspondent pas. Marie Claire : ( Jean-Claude Shane ) : l’a une belle voix Jacky Shane, se remémore les belles virées sur la vieille Vespa vieux scooter de ses vingt ans, ce n’est pas mal mais rien dans l’orchestration ne rappelle Les Fantômes.

    z21926anthologiedos.jpg

             Sur une vidéo YT de Music TV Box le producteur Hervé Williamson - il a notamment produit Les Socquettes Blanches - nous révèle la clé du mystère, ce sont des bandes enregistrées par les Fantômes en 1984, ce qui explique la sonorité très moderne. Davantage que des inédits ce sont donc des documents qui possèdent une certaine authenticité mais qui n’ont plus trop rien à voir avec les années soixante…

             Dernières curiosités : un scopitone Loop de Loop les Fantômes qui n’est pas un chef-d’œuvre impérissable du cinéma… Beaucoup plus intéressant un extrait d’une émission de variété, on les voit interpréter Walk don’t run.

               Comme dans les tire-lires il reste toujours deux ou trois pièces qui ne veulent pas sortir, il reste encore quelques pépites fantomatiques pour une prochaine chronique.

    Damie Chad.